ENTRETIEN. L'incendie de la tour Grenfell, à Londres, puis le rapport du CSTB sur la réglementation incendie dans les bâtiments résidentiels, ont placé les isolants thermiques et les produits de façade au coeur des discussions. Quelle est la position et l'analyse de Kingspan Insulation, spécialiste dans ce domaine ? Olivier Naulin, directeur commercial, répond à Batiactu.

Le drame de la tour Grenfell n'est pas resté sans conséquences en France. Le CSTB, à la demande du ministère de la Cohésion des territoires, a rendu un premier rapport sur le risque incendie dans les bâtiments d'habitation. Un durcissement de la réglementation, notamment en ce qui concerne l'utilisation d'isolants combustibles en façade d'immeubles de quatrième famille, n'est pas à exclure.

 

 

Mais quelle est l'analyse des industriels du secteur ? Olivier Naulin, directeur commercial chez Kingspan, a répondu à Batiactu.

Batiactu : Quelle est votre analyse du rapport du CSTB sur la sécurité incendie dans les bâtiments résidentiels ?

Olivier Naulin : Le CSTB a rendu un rapport de qualité malgré le délai relativement court qui lui avait été donné - seulement dix jours - pour traiter un sujet d'une telle ampleur mêlant dimensions technique et juridique. Sans bouleverser la réglementation relative à la sécurité incendie dans ses fondamentaux, il identifie certaines de ses faiblesses, notamment concernant les immeubles de 4ème famille, et propose différentes mesures et/ou évolutions. Il est sans doute nécessaire que le législateur et les acteurs du secteur du bâtiment trouvent le juste équilibre afin que réglementation incendie, réglementation thermique et réglementation sismique puissent coexister sans que l'une remette les autres en cause afin de ne pas entraver la nécessaire mutation écologique/énergétique engagée en France.

Batiactu : Le rapport du CSTB insiste bien sur l'un des effets de la transition énergétique : l'augmentation de la masse de combustible en façade, du fait de la massification de l'ITE...

Olivier Naulin : En effet, pour satisfaire aux exigences de performance thermique et aux contraintes réglementaires, l'épaisseur des isolants n'a cessé d'augmenter au fil des ans. Selon le rapport du CSTB cela se traduit par «une épaisseur moyenne d'isolation de l'ordre de 15 cm, et des épaisseurs pouvant aller jusqu'à 38 cm dans certains bâtiments». Ceci est vrai pour la plupart des isolants traditionnels, néanmoins les isolants les plus performants comme la mousse résolique Kooltherm minimise cet effet aujourd'hui: ce nouveau type d'isolant à très haute performance thermique (λ 0,022 W/m.K) est environ 35% plus mince qu'un isolant standard à résistance thermique égale. A titre de comparaison, 140mm d'isolant traditionnel avec un lambda classique de 0,035W/m.K équivaut à seulement 90mm de mousse résolique rigide.

Batiactu : Jugez-vous pertinentes les observations du CSTB portant notamment sur la fragilité de la réglementation incendie pour les immeubles de quatrième famille ?

Olivier Naulin : Si la différence d'exigence entre un bâtiment de quatrième famille et un IGH paraît à l'évidence très importante et devrait par conséquent sans doute être comblée, limiter les isolants de façade aux seuls produits de niveau minimum A2-s3,d0 ne constitue pas la solution pour autant. En effet, bien plus que l'euroclasse d'un élément pris de manière individuelle, c'est surtout la performance globale du système de façade dans son ensemble qu'il convient d'apprécier. C'est en effet le système dans son ensemble avec ses divers constituants (parement, isolant, ossature, fixations, ventilation éventuelle, barrière feu, fenêtres, etc.) et ses multiples paramètres qui doit faire l'objet d'une appréciation concrète pour connaître leurs interactions.

Batiactu : Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Olivier Naulin : Une simple fenêtre peut par exemple être à l'origine de la pénétration des flammes dans un logement quel que soit l'isolant, si le parement de façade est en feu. L'analyse doit donc se faire à deux niveaux : les systèmes constructifs d'une part, puis l'ouvrage concerné d'autre part. En ce sens, recourir à la démonstration par IT249 paraît être un prérequis. Un isolant combustible performant dans un système performant peut tout à fait atteindre le niveau de performance nécessaire, sous réserve d'une démonstration pertinente et d'un contrôle efficace de l'application des dispositions réglementaires. Les divers systèmes testés ont montré que les panneaux isolants en mousse résolique par exemple peuvent avoir un comportement au feu très proche de celui de certains isolants affichant une euroclasse A.

Batiactu : Comment faites-vous face, en tant qu'industriel, au risque incendie ?

Olivier Naulin : Nous procédons notamment à des tests en grandeur réelle via les organismes officiels certifiés [voir vidéo ci-dessous]. Ainsi, voici la conclusion de l'appréciation de laboratoire délivrée par le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) suite à l'essai Lepir2 (Local expérimental pour incendie réel à deux niveaux) effectué sur le système de bardage rapporté avec le panneau isolant Kooltherm K15 (1) sur ossature (bois ou acier), avec lame d'air ventilée. Je me permets de citer cette conclusion : "L'isolant Kooltherm K15 n'est pas de nature à contribuer à la propagation d'un sinistre d'un niveau N à un niveau N+2 ou à amoindrir le niveau d'efficacité des solutions de protection proposées par l'Instruction Technique n° 249. Par conséquent, il est interchangeable avec les isolants présentant une euroclasse A1 ou A2 de tout système de bardage rapporté répondant aux conditions de l'essai."

 


Sur la vidéo Rockwool ci-dessus, on peut voir le comportement au feu de trois produits placés en ITE : de gauche à droite, laine de roche, mousse phénolique (ou résolique) et polystyrène.

Batiactu : Ainsi, interdire les isolants combustibles en quatrième famille ne vous paraîtrait pas pertinent ?

Olivier Naulin : Limiter l'usage d'isolants thermique en quatrième famille aux seuls produits dits 'incombustibles' ne résout pas le problème en présence d'un parement de façade présentant un profil feu très défavorable. On se souvient tous par exemple du spectaculaire incendie de la tour 'Torch' à Dubaï ravagée par les flammes en août dernier (pour la deuxième fois en deux ans) alors même que l'isolant utilisé était une laine de roche. Par ailleurs, comme le savent les experts incendie, même les isolants dit 'incombustibles' peuvent brûler, et ils ne constituent aucunement à eux seuls une garantie de sécurité.

Batiactu : Le plus important, pour vous, est donc la réalisation d'essais Lepir2 pour valider le comportement au feu des systèmes de façade ?

Olivier Naulin : Effectivement, apprécier le comportement au feu d'un système de façade au moyen d'un essai aussi drastique que le Lepir2 semble être la seule manière réellement adéquate de procéder, quelle que soit l'euroclasse des matériaux qui le composent. Parallèlement des essais feu à plus petite échelle demeureront nécessaires aussi car réaliser un test comme le Lepir2 pour tester un nombre quasi infini de combinaisons possibles serait difficile en pratique.

Batiactu : Enfin, qu'en est-il des risques liés aux fumées potentiellement toxiques dégagées par des isolants en feu ?

Olivier Naulin : Il est sans nul doute nécessaire de poursuivre et de renforcer les travaux de recherche sur l'étude de la toxicité des fumées, comme le souligne le rapport du CSTB. C'est là sans doute l'un des points les plus complexes à appréhender tant les facteurs à prendre en compte sont nombreux (multitude de matériaux, contribution, température, dispersion, etc.) en gardant également à l'esprit qu'une grande partie des fumées provient de l'intérieur du logement lui-même.

 

 

(1) NDLR : un produit qui était présent en petite quantité, moins de 5%, sur la tour Grenfell.

 

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