DECRYPTAGE. Au Royaume-Uni, le rapport préliminaire d'une commission indépendante vient d'être rendu, plus de six mois après le drame de la tour Grenfell. Ses auteurs insistent sur la nécessité d'une modification majeure de la réglementation.

Plus de six mois après le tragique incendie de la tour Grenfell, à Londres, qui selon le Gouvernement britannique a fait 71 morts, un rapport préliminaire vient d'être rendu par la commission indépendante de la réglementation dans les bâtiments et de la sécurité incendie. Présidée par Judith Hackitt, personnalité respectée, spécialisée notamment dans les questions de santé/sécurité, elle a pour mission de faire des recommendations dans le but de modifier les règles de construction et de sécurité incendie. Pour rappel, en France, le drame de Grenfell est aussi à l'origine d'un projet de modification de la réglementation incendie dans les bâtiments résidentiels.

 

Une idée principale ressort de la lecture de ce rapport de plus de cent pages, et elle est résumée par Judith Hackitt dans son introduction : "L'état d'esprit qui consiste à mettre en oeuvre les solutions les moins chères possibles et, en cas de problème, de faire porter le chapeau à d'autres personnes, ne doit plus avoir cours." Au lendemain du drame, des médias britanniques avaient sorti des informations selon lesquelles des pressions sur le coût de la rénovation de la tour Grenfell avaient pu contribuer à la gravité de l'incendie.

 

"La réglementation laisse trop de place à ceux qui veulent prendre des libertés"

 

Le rapport évoque également la question du rôle du bardage extérieur dans la propagation rapide du sinistre. "Le feu semble avoir été accéléré par le bardage extérieur du bâtiment, ce qui a conduit à un programme national de test du bardage d'autres immeubles de grande hauteur. Cela a révélé l'utilisation à grande échelle de matériaux en aluminuim composite qui ne respectaient pas les exigences de la réglementation en termes de résistance au feu", affirme ainsi Judith Hackitt.

 

 

Un autre souci repéré tout au long des premières investigations de la commission, est celui du manque de contrôles permettant de s'assurer que ce qui a été décidé "sur le papier" est bien ce qui est réalisé ensuite. "Il est clair que le système entier de régulation [...] laisse trop de place à ceux qui veulent prendre des libertés avec les règles", peut-on lire dans le rapport. "Ce qui est conçu initialement dans le projet n'est pas ce qui est ensuite construit, et l'assurance de la qualité des matériaux et de la compétence des salariés intervenants manque cruellement." Judith Hackitt affirme même avoir été "choquée par certaines des pratiques" dont elle a entendu parler durant les échanges avec des professionnels.


Les contrats de conception-réalisation considérés comme "très problématiques"

 

Un sujet qui est, selon la commission, en lien avec l'emploi de contrats de conception-réalisation (design and build), également connus en français sous le nom de "contrats globaux". "La mode actuelle pour ce type de contrats (où un contractant principal est désigné pour concevoir et construire le projet, au lieu que ce soit le client qui nomme deux entités différentes pour chacune des taches) a été identifiée comme étant particulièrement problématique. Car elle facilite les modifications du projet par rapport à ce qui était prévu au départ, et ces modifications ne sont alors pas assez documentées et contrôlées", affirme le rapport.

 

L'Institut royal des architectes britanniques (Riba) avait justement avancé cet argumentaire dans les colonnes du Guardian. "Les architectes doivent reprendre le leadership dans le cadre de la construction de logements, après plusieurs décennies durant lesquelles ils ont été mis sur la touche du fait de l'utilisation de contrats complexes comme celui utilisé pour la tour Grenfell", affirmait ainsi Ben Derbyshire, président du Riba.

 

Rapport final remis au printemps 2018

 

Et en France, la situation est comparable, comme l'avait assuré Catherine Jacquot, ancienne présidente du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa), à Batiactu. "En France, le rôle de chaque intervenant n'est pas assez bien déterminé. L'utilisation de plus en plus fréquente des contrats globaux en est la principale cause. Ils font que le rapport de force est plus en faveur de l'entreprise que de l'architecte, ce qui ne va pas dans le sens de la qualité architecturale des projets. L'architecte se trouve ainsi cantonné à une mission très limitée, avec peu de présence voire aucune sur le chantier", nous déclarait-elle.

 

 

Le rapport final de la commission sera remis au printemps 2018, après la tenue d'un sommet réunissant toutes les parties prenantes. "Mon but est de faire en sorte que nous parvenions à édifier, dans le cadre d'une réglementation plus robuste, une manière de faire comprenant une surveillance effective des matériaux, des personnes et des modes d'installations", conclut Judith Hackitt.

 

Les points-clés du rapport intermédiaire de la commission

- La réglementation est trop complexe, n'est pas assez claire, ce qui peut mener à des confusions ou des mauvaises interprétations.
- Les rôles et responsabilités de chaque intervenant d'une opération ne sont pas assez bien déterminés.
- Les contrôles et les sanctions sont trop faibles.
- La compétence de tous les acteurs intervenant sur un projet n'est pas assez bien vérifiée, contrôlée.

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