"Bientôt il nous faudra une camionnette pour transporter l'ADN administratif d'un projet"

"Nous sommes arrivés à un état extraordinaire d'accumulation de normes, nous déclare le dirigeant d'Unibail-Rodemco. Et, aujourd'hui, s'ajoute le fait que dans le terreau de la décentralisation, naît une démultiplication des autorités, et donc des décideurs..." Et des commissions. Dans son essai, il explique : "C'est la réponse française à tous les enjeux modernes (sécurité, écologie, etc.) passés à la moulinette du principe de précaution". Mais est-ce un mal ? Oui, lorsque cela en devient ubuesque. Surtout, insiste-t-il encore lors de notre rencontre, "personne n'a imaginé ce processus décisionnel sous le prisme du temps, personne n'a dressé le bilan coût/avantage de ces mesures, personne n'a évalué ni chiffré les dommages liés à la perte du temps." Et d'ajouter : "Nous sommes capables d'apporter une réponse intelligente sans baisser les exigences, il suffit juste de repenser l'application des normes." Il y a urgence, car les "perdants" se multiplient et, en premier lieu, la croissance, "sacrifiée" sur l'autel du temps. "Le PIB n'est qu'un ratio : au numérateur, la production de biens et services ; au dénominateur, la durée. En clair, si la France produisait en 355 jours ce qu'elle réalise en 365, elle renouerait de facto avec une croissance de 3%".

 

La crise est là. Il est donc grand temps de prendre les choses en main et de mener une "revue générale du temps public", à l'image de celle réalisée pour les dépenses publiques.

 

Guillaume Poitrinal a d'ailleurs le sentiment que les consciences se réveillent, nous confie-t-il : du côté des élus "qui s'aperçoivent qu'ils ne sont plus capables de livrer leurs programmes dans le temps de leur mandature" ou encore des Français eux-mêmes, "qui sont aussi en attente, notamment quand ils voient des sites à l'abandon".

 

"Yes, we can"
Même les recours en justice contre les projets sont plus "matures". "Mais il faut juste désormais que l'appareil politique et juridique s'interroge sur le workflow..." Le changement est-il maintenant ? "La lenteur n'est ni de droite, ni de gauche, comme le bon sens." Il y a donc un espoir nous confirme cet "optimiste de nature".

 

Outre la "revue du temps public", il propose d'ailleurs plusieurs solutions : en matière judiciaire, par exemple, pourquoi ne pas créer une chambre spécialisée pour les questions d'urbanisme ? Aujourd'hui, "un dossier immobilier n'est jamais un dossier urgent pour le tribunal qui ne voit pas de grand impératif social derrière ces projets". Il faudrait également "généraliser les annulations partielles, suggère-t-il, le promoteur obtiendrait son permis sous réserve de corriger dans un délai imparti la ou les parties non conformes. Ce faisant, on ne bloquerait pas un chantier colossal pour une infime contestation".

 

Aller vite, enfin, ne veut pas dire aller trop vite. À Gilles Finchelstein et Matthieu Pigasse qui, dans Le Monde d'après. Une crise sans précédent, réclamaient "l'urgence est de sortir de la dictature de l'urgence ; l'urgence est de retrouver le temps long", Guillaume Poitrinal répond ainsi que "la question [lui] semble bien davantage de retrouver le 'temps juste' (...) celui de l'équilibre. Avec la vitesse qui s'imposerait quand elle doit s'imposer, par exemple pour la résolution de nos urgences sociales et environnementales et la restauration de notre compétitivité. Mais avec une place égale pour le temps lent : celui de la réflexion, de la création, de la culture, de la famille".

 


Guillaume Poitrinal, Plus vite, la France malade de son temps, essai, coll. Petite Blanche, Grasset, 2012. 10€, prix éditeur.

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