FINANCES PUBLIQUES. La Cour des comptes vient de publier son "rapport public annuel" portant sur l'année 2019 : maîtrise des dépenses publiques, prélèvement à la source, impact des mesures pour le pouvoir d'achat en réponse aux Gilets jaunes, bilan de la lutte contre la fraude au travail détaché... L'institution napoléonienne passe tout au crible. Détails.

Comme chaque année, la Cour des comptes a dévoilé ce mercredi 6 février son rapport 2019 sur les finances publiques. Tout est passé au crible, des collectivités aux entreprises en passant par les administrations et les transports, sans oublier quelques dossiers économiques et sociaux d'actualité. Et, comme à son habitude, l'institution fondée par Napoléon Ier s'alarme toujours plus de l'état déficitaire des comptes publics.

 

 

Incertitudes sur l'impact du prélèvement à la source

 

Concrètement, les Sages de la rue Cambon se penchent d'abord sur la situation d'ensemble des finances publiques à fin janvier 2019, reprenant des données de l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) et des prévisions du Gouvernement. En 2018, le déficit public (correspondant au solde budgétaire des administrations publiques) devrait ainsi s'établir à 2,7 points de PIB (Produit Intérieur Brut), soit le même niveau qu'en 2017, tandis que la dette publique a continué d'augmenter pour atteindre 98,7 points de PIB, à rebours de ce qui s'observe dans le reste de la Zone euro. Dans le cadre du projet de loi de Finances 2019, l'exécutif tablait sur un déficit public de 2,8 points de PIB pour cette année, un chiffre en hausse de 0,2 point à cause, entre autres, de la transformation du CICE (Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) en baisse de cotisations.

 

Au-delà de cette décision, des incertitudes demeurent : tout d'abord, la mise en œuvre du prélèvement à la source pourrait avoir un impact sur le rendement de l'impôt sur le revenu, et ainsi engendrer une hausse ou une baisse de 2 milliards d'euros sur le solde public. De plus, les réserves massives d'épargne dont disposent les collectivités territoriales, ainsi que l'approche des élections municipales de 2020, pourraient entraîner une croissance des investissements réalisés par les administrations publiques locales. Par ailleurs, "les mesures d'urgence économique et sociale" prises par le Gouvernement en décembre 2018 pour tenter d'apaiser la révolte sociale des Gilets jaunes ont un coût : d'après la Cour des comptes, elles ont baissé de 0,4 point de PIB la prévision de déficit public, qui atteindrait du coup les 3,2 points de PIB en 2019.

 

Les Sages demandent au Gouvernement de présenter des lois de Finances rectificatives

 

Les Sages s'interrogent également sur le "montage" budgétaire et législatif de l'exécutif, tout en signalant la dégradation de la situation économique européenne. "Au total, si la prévision de croissance française sur laquelle repose la LFI [Loi de Finances, ndlr], à savoir 1,7%, n'est pas hors de portée, elle présente un risque sérieux de ne pas être atteinte", notent-ils dans leur rapport. "Dans ces conditions, la Cour estime indispensable que le Gouvernement présente, dès que possible, des projets de lois financières rectificatives, pour l'Etat et la Sécurité sociale, intégrant de manière exhaustive et sincère l'ensemble des mesures annoncées ainsi que les conséquences de l'évolution de la situation macroéconomique."

 

Le verdict de la rue Cambon est donc, comme toujours, sans appel : "Ces constats ne font que confirmer que la France, du fait du caractère incomplet de l'assainissement de ses finances publiques, ne dispose que de peu de marges budgétaires pour faire face à un retournement conjoncturel ou à une situation de crise." Pour remédier à cette situation, l'institution estime "une réduction soutenue des déficits effectif et structurel [...] impérative", ajoutant : "Compte tenu du niveau élevé des prélèvements obligatoires, un tel assainissement, a fortiori si on veut l'accompagner d'une baisse de prélèvements obligatoires, passe nécessairement par une maîtrise accrue des dépenses publiques."

 

Trois grands types de fraudes au travail détaché identifiés

 

La lutte contre la fraude au travail détaché constitue l'un des dossiers d'actualité analysés par le rapport 2019 de la Cour des comptes. Rappelant que 516.000 salariés détachés avaient été déclarés dans l'Hexagone en 2017 (le Grand Est en totalisait le plus, avec 75.276), l'institution précise qu'elle a enquêté auprès de l'ensemble des acteurs concernés par ce sujet : l'Etat, deux régions, trois départements, ainsi que la Commission européenne, la Belgique, la Roumanie et le Portugal. Pour rappel, la France est le deuxième pays d'accueil et le quatrième pays d'envoi de travailleurs détachés. En termes de secteurs d'activité, le BTP y concentre 68.500 salariés en détachement, et l'intérim 144.000. Les effectifs en travail détaché représenteraient 5,7% du total de l'emploi dans le BTP.

 

A l'issue de leurs travaux, les Sages ont délimité trois catégories majeures de fraude, qui peuvent se cumuler : l'omission des formalités déclaratives et notamment de la déclaration préalable de détachement ; le non-respect des règles attachées au "noyau dur" de droits garantis aux travailleurs détachés ; et enfin, la fraude complexe, en particulier la fraude à l'établissement. Car comme le souligne le rapport : "Ce n'est pas le statut en lui-même de travailleur détaché qui pose problème, d'autant qu'il sera encore mieux encadré en 2020, mais la fraude au travail détaché, sous toutes ses formes. [...] [Les formes de fraude] font toutes intervenir un bénéficiaire final installé en France, qui peut agir dans le cadre de marchés publics, et sont parfois organisées à partir du territoire national."

 

Bien que des progrès aient été enregistrés depuis 2014, il resterait encore "[d'] importantes marges d'amélioration" dans ce domaine. En premier lieu, la Cour dresse le constat d'une méconnaissance des règles applicables en la matière et d'une centralisation peu efficace des données : "[...] beaucoup d'entreprises ignorent que, dès lors que ses règles sont respectées, le travail détaché n'est pas économiquement plus intéressant au niveau du Smic que l'emploi local. Par ailleurs, les données sur le recours au travail détaché ne permettent pas encore de cerner le phénomène avec précision : les statistiques produites par la Commission européenne en sous-estiment la réalité, et le ministère du Travail français ne dispose que depuis l'automne 2016 d'un système robuste de déclaration préalable au détachement. Celui-ci mérite encore d'être amélioré."

 

 

L'insuffisance des données empêcherait donc d'établir précisément le niveau des fraudes. De même, bien que les contrôles de l'Inspection du travail aient fortement augmenté depuis 2015, les services manquent encore d'outils performants leur permettant de centraliser les fichiers. Et en bout de chaîne, "les sanctions finalement prononcées au niveau pénal sont peu nombreuses et peu dissuasives". La France est en outre épinglée pour sa lenteur à répondre aux demandes d'information des autres Etats membres de l'Union européenne.

 

Une meilleure coordination et un partage d'informations accru

 

Partant de ce constat, la Cour formule un grand nombre de recommandations à différents acteurs. Les ministères du Travail et de l'Economie sont, pour leur part, invités à "organiser la mesure et l'analyse statistique commune du nombre de travailleurs détachés, de son évolution et de sa répartition dans les zones géographiques et les secteurs économiques les plus concernés", ainsi qu'à "améliorer la connaissance par les entreprises, les salariés et les agents publics du régime juridique applicable au détachement de travailleurs et les sanctions encourues pour prévenir le détournement de ce statut". En complément de ces mesures, un meilleur ciblage des contrôles de l'Inspection du travail est recommandé, "grâce à une cotation des risques". De son côté, l'Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale) devrait "faire appliquer la procédure de redressement de cotisations liées aux fraudes au travail détaché en cohérence avec le droit européen et accroître le nombre de contrôles dans ce domaine".

 

Mais plus largement, c'est l'intégralité des services gouvernementaux et administratifs qui sont appelés à se mobiliser pour endiguer le phénomène : pour la Cour, une meilleure coordination et un partage d'informations accru entre structures assureraient des contrôles mieux ciblés et plus efficaces. Concernant la coopération européenne, le ministère du Travail est également invité à accélérer ses délais de réponse aux demandes d'information des autres Etats membres. Enfin, sur le plan des sanctions, les Sages recommandent de les renforcer, aussi bien sur le plan administratif que pénal, particulièrement dans les cas de fermetures de chantiers ou d'établissements, et de mise en cause des donneurs d'ordre et des maîtres d'ouvrage.

 

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