CONCOURS. Les prix du concours Trophée béton Ecoles ont été décernés en janvier à de jeunes architectes. Alexandre Grutter, président du jury, revient sur cette dixième édition qui montre une sensibilité sociale et environnementale chez des postulants.

Les jeunes architectes de demain se tournent vers l'international et l'environnement. Tel est le constat de la dixième édition du concours Trophée béton Écoles, qui récompense chaque année des étudiants des écoles d'architecture françaises. Les prix ont été remis aux lauréats le 13 janvier dernier à la Maison de l'architecture Île-de-France. Organisé par l'association Bétocib, le Centre d'information sur le ciment et ses applications (Cimbéton) et la fondation école française du béton, sous le patronage du ministère de la Culture, le concours est divisé en deux catégories. La première, "PFE" (projet de fin d'étude), récompense les jeunes diplômés dont le projet de fin d'étude met à l'honneur les qualités esthétiques, environnementales et techniques du béton. La seconde catégorie, "Studio", invite les étudiants en architecture de premier et second cycle à réinterpréter une œuvre architecturale majeure en béton, selon une expression graphique libre (dessin, peinture, collage, maquette).

 

 

117 postulants se sont inscrits au concours en 2021, de manière individuelle ou dans le cadre d'équipes comportant des architectes et/ou des ingénieurs. Au total, douze projets ont été nominés par un jury composé de personnalités du monde de l'architecture. Les lauréats bénéficieront d'un suivi par les organisateurs et de publications dans des revues professionnelles. "Lors de la présélection des postulants et de l'oral qu'ils ont dû présenter, certains thèmes sont revenus, comme celui de la confrontation au réel", raconte à Batiactu Alexandre Grutter, architecte, directeur du département Architecture à l'Insa Strasbourg - École d'Architecture, et président du jury. "Les candidats étaient parfois dans des situations urbaines compliquées au regard de leur projet. Certains bâtiments se trouvent sur des sites contraints, pentus, et les postulants ont dû se confronter au réel en suivant un cahier des charges." Si Alexandre Grutter se réjouit de la variété des projets proposés, il regrette l'absence de femmes parmi les lauréats mais se défend. "Nous ne faisons pas de sélection sur des critères de sexe. Nous masquions les noms des candidats lorsque nous discutions des projets." Il note aussi l'absence de la question du logement dans les projets.

 

Les lauréats de la dixième édition du concours Trophées béton écoles sont :

 

- 1er prix PFE : Majoie Tsadok Kpoviessi, de l'École nationale supérieure d'architecture de Strasbourg pour son projet "Un activateur culturel pour le rayonnement d'une capitale méconnue".

 

- 2ème prix PFE : Quentin Risaletto, de l'École nationale supérieure d'architecture de Clermont-Ferrand, pour son projet "Les silos de Withington - Paysage énergétique et poétique de la matière".

 

- 3ème prix PFE : Guillaume Porche, de l'École nationale supérieure d'architecture de Strasbourg, pour "L'Historial de Vauquois et de sa Région - Un lieu de mémoire de la guerre des mines en Argonne de 1914 à 1918".

 

- 1er prix catégorie Studio exæquo : Nicolas Nugue, de l'École nationale supérieure d'architecture de Versailles, pour "Félix Candela - La fabrique de rhum Bacardi à Mexico".

 

- 1er prix catégorie Studio exæquo : Zaid Chafaqi et Clément Chafaie de l'École nationale supérieure d'architecture de Marseille-Luminy pour leur projet "Les frères Auguste et Gustave Perret - L'église du Raincy".

 

- Mention spéciale AAIIA : Loris Bied de l'École nationale supérieure d'architecture de Saint-Étienne pour le projet "Un centre social et culturel pour Beausoleil : La réhabilitation du Domaine Charlot"

 

Entre tradition et modernité

 

Pour Alexandre Grutter, le lauréat Majoie Tsadok Kpoviessi possède "une sensibilité et un engagement". Il a développé son projet dans la ville de Porto-Novo, capitale administrative du Bénin, où le gouvernement cherche, à travers son programme d'action touristique et culturelle, "le Bénin révélé", à redonner son statut de capitale. Les autorités ont ainsi pensé à faire construire un musée ethnographique d'Histoire et d'art de Porto-Novo afin de revaloriser la ville. En réponse, Majoie Tsadok Kpoviessi a imaginé "un activateur culturel" qui incarne l'identité architecturale de Porto-Novo, de manière contemporaine, tout en prenant en compte des enjeux urbains, historiques, climatiques et politiques. Inséré à l'entrée de la ville, le projet cherche à refléter l'identité et la tradition locale. La réinterprétation des techniques de construction traditionnelle est valorisée, tout comme l'usage du béton latérite, une terre de barre rouge, présente partout dans le pays et sur le site du musée.

 

 

L'architecte choisit de le mélanger à des matériaux locaux, propose une réflexion sur l'ancien pont fermé qui pourrait accueillir plusieurs fonctions (passage piéton, vélo…) et la mise en place d'un transport fluvial pour réduire le trafic routier très important. Le jury a apprécié le lien que le lauréat a su tisser entre la tradition et la contemporanéité. "Il a présenté une belle maquette et fait passer une émotion lors de sa présentation, ce qui a emporté le cœur du jury", explique Alexandre Grutter. "En travaillant avec une composante locale, le béton latérite, il fabrique un projet d'une grande humilité, où le béton devient porteur d'un signal de renouveau."

 

Le béton comme objet de mémoire

 

"Cette édition a montré un engagement social et environnemental fort de la part des candidats", atteste Alexandre Grutter. "Un postulant avait proposé le démantèlement de la centrale nucléaire Fessenheim, en Alsace. Un autre a travaillé sur une usine au Royaume-Uni." De nombreux auteurs de projets ont "souligné la dimension sensible du matériau au service de l'espace, du programme et de l'architecture". C'est notamment le cas du lauréat Guillaume Porche et de son projet de lieu de mémoire autour de la Première Guerre mondiale. L'étudiant a travaillé sur les enjeux d'accueil et de transmission de l'histoire au public, en concevant un historial, qui se veut comme un lieu d'apprentissage, de mémoire et de vie, dans un paysage qui constitue déjà un lieu de mémoire.

 

Trophée béton Ecoles 2021 Porche
Perspective de la galerie basse du projet de Guillaume Porche. © Trophée béton Ecoles

 

Son projet se niche dans la Meuse, dans l'ancien village de Vauquois, où la construction de galeries et l'explosion de nombreuses mines souterraines avaient détruit la commune. Le jeune architecte a imaginé un musée linéaire à l'image des anciennes galeries de la guerre et met en lumière la gaize, une roche qui constituait la butte pour fabriquer du béton. Le projet met en œuvre des déblais de gaize issus des excavations pour bâtir l'ouvrage. La gaize est concassée, remplace les granulats et teint le béton en ocre grisé. Le béton est ensuite bouchardé pour rendre hommage aux soldats creusant la roche. "La justesse de l'interaction entre la muséographie et les espaces imaginés font de ce bâtiment un projet spectaculaire", juge Alexandre Grutter.

 

Allier architecture et agriculture

 

Un autre projet, qui n'a pas été récompensé, a cependant retenu l'attention du jury. "Le candidat a présenté un projet très original, un centre funéraire à Saint-Étienne dédié aux obsèques laïques. Il a travaillé sur des bétons stratifiés et lisses pour fabriquer un dialogue autour du temps qui passe." La thématique de la transformation et de la conception de l'existant est revenue dans les projets présentés. "C'est une tendance que nous observons même dans notre école, où nous nous dirigeons de plus en plus vers des projets de réhabilitation et de transformation du bâti actuel."

 

Parmi les projets des candidats, celui du lauréat Quentin Risaletto prend place à Manchester. L'architecte porte aussi la casquette d'aménageur et apporte une réflexion sur les mutations d'un territoire, en s'intéressant aux terrains de golf qui occupent une partie du paysage de la région mais dont une partie a été fermée. En se penchant sur la question du réchauffement climatique et des inondations, sur un terrain à risque inondable, l'architecte propose de sauvegarder le site et de lui permettre d'affronter les aléas climatiques. "Quentin Risaletto possède une approche architecturale atypique. Il prend à bras-le-corps le devenir de ce terrain de golf, non pas en surdensifiant le site mais en réfléchissant au devenir du territoire", décrypte le président du jury. "Il propose la culture d'une plante productrice de méthane, qui permettra par la suite de l'utiliser pour produire de énergie." Le jury a qualifié ce projet d'"ambitieux", à "visée énergétique", qui offre des édifices "agricoles, énergétiques et de loisir". Le béton occupe ici une place majeure dans "l'esthétique et la cohérence" du projet.

 

Trophée béton Ecoles 2021 Risaletto
Projet de Quentin Risaletto, de l'École nationale supérieure d'architecture de Clermont-Ferrand, "Les silos de Withington - Paysage énergétique et poétique de la matière". © Trophée béton Ecoles

 

Quant au prix Studio, le jury a apprécié le travail de déconstruction qu'a mené Nicolas Nugue pour le projet de la fabrique de rhum Bacardi à Mexico, construite en 1960. L'architecte a imaginé une transformation de ce site complexe et énergivore grâce aux innovations actuelles du béton. Il a réfléchi à dégager une grande surface libre et a décomposé la structure originale pour ne garder que les grands arcs de la coupole, typiques de cet ouvrage.

 

Trophée béton Ecoles 2021 Nugue
La maquette du projet de Nicolas Nugue qui travaille sur la fabrique de rhum Bacardi à Mexico. © N. Nugue

 

Le jury a également récompensé le travail de Zaid Chafaqi et Clément Chafaie, qui ont réinterprété l'église du Raincy des frères Perret, la première église en béton armé. De la toiture à l'enveloppe, le béton se retrouve partout et donne une place importante à la lumière. "Leur approche sensible et leur travail sur la lumière" a particulièrement touché le jury.

 

Trophée béton Ecoles 2021 Chafaqi Chafaie
La maquette du projet de Zaid Chafaqi et Clément Chafaie l'église du Raincy des frères Perret. © Z. Chafaqi

 

Enfin, une mention spéciale AAIIA a récompensé Loris Bied, qui a travaillé sur un centre social et culturel de la ville de Beausoleil, proche de Monaco. La parcelle, située dans une forte pente, compte une ville du XIXème siècle, entourée d'un jardin d'apparat. "Ce domaine constitue un héritage à part entière pour la ville." Le projet répond à plusieurs enjeux, patrimonial, culturel et social au sein d'un espace ouvert sur la ville. L'excavation de la pente existante a permis à l'architecte de trouver sa matière principale, une pierre excavée rouge ocre aux reflets orangés, réinjectée à l'intérieur des murs béton. Loris Bied a favorisé l'économie et la réutilisation de matière.

 

Trophée béton Ecoles 2021 Bied
Coupe transversale du projet de Loris Bied à Beausoleil. © L. Bied

 

Qu'attendait le jury des postulants de cette édition ?

 

"La question du béton et de l'emploi de la matière au service de l'architecture était centraux", indique Alexandre Grutter. "La qualité architecturale était attendue, tout comme la façon dont le projet s'insère dans un site. Les postulants devaient montrer la complexité du projet, présenter des plans et coupes de qualité. Le jury était sensible à la présence de maquettes." La problématique environnementale devait également être présente. "Nous ne pouvons plus décorréler l'architecture des questions climatiques. Nous avons donc été vigilants afin que ces questions soient portées à la connaissance du jury." La thématique des matériaux utilisés et notamment de la réutilisation du béton pouvait également faire pencher la balance. "Beaucoup de projets ont réutilisé du béton, dans le cadre de projets de restructuration ou de réemploi de l'existant", détaille le président du jury, qui ajoute qu'il faisait aussi attention à la qualité du rendu, de manière globale.

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