ENTRETIEN. Dans un entretien pour Batiactu, l'architecte marseillais, président de l'association "Va jouer dehors" et fondateur du Festival de la ville sauvage, Matthieu Poitevin, propose des solutions pour concevoir le monde de demain et s'adapter au changement climatique. Loin des conceptions standardisées, du tout-bétonné, et de l'accumulation de barres d'immeubles, il invite à réfléchir à une autre architecture, tournée vers le vivant et les habitants. Rencontre…

Marseille a vibré au rythme de l'architecture. Du 15 au 17 septembre 2022, le Festival de la ville sauvage a célébré la discipline lors d'une première édition mêlant débats et projets présentés. A travers cet événement, l'architecte marseillais Matthieu Poitevin, président de l'association "Va jouer dehors" (organisatrice du festival), fondateur de l'agence Caractère spécial et concepteur de la tour Panorama à la Friche de la Belle de Mai, a cherché à rendre hommage à la ville. Le festival visait à être un moment convivial où le partage de "toutes les pensées" sont possibles, "même les plus fantasques, les plus folles […] sans craindre les réactions des autres" et "sans en redouter les conséquences". Un week-end pour réinterroger la conception des projets face à des crises multiples, qu'elles soient climatique ou migratoire, et redonner un rôle d'utilité publique à l'architecture. Interview avec un professionnel qui entend casser les codes…

Batiactu : Le Festival de la ville sauvage vient de fêter sa première édition. Quel message vouliez-vous faire passer à travers cet événement ?

Matthieu Poitevin : Il n'y avait pas un mais plusieurs messages. Le festival était une façon de libérer la parole et la pensée sur l'architecture. L'idée était d'organiser un événement joyeux et collaboratif. Les festivaliers n'étaient pas spectateurs mais acteurs des ateliers et conférences. Aussi, je pense qu'il faut arrêter de regarder la ville comme un objet inerte mais plutôt comme un organisme vivant. Il faut aussi sortir du prisme de la beauté et se demande si la cité est créatrice de liens. Si on pouvait juger les projets sous cet angle, peut-être que la ville serait alors moins stéréotypée et standardisée.

La ville de Marseille est confrontée à des crises multiples (climatique, logement…). Souhaitiez-vous le rappeler durant le festival ?

Marseille n'est pas la seule. Nous sommes dans une urgence climatique sans précédent et devons construire la ville autrement. La crise que vit la planète a été causée par les hommes. C'est donc à nous de trouver des solutions pour s'adapter au réchauffement climatique. Les architectes ont des solutions à proposer, il faut les écouter. Le Festival de la ville sauvage a voulu faire le pont entre les jeunes et les plus âgés. C'est un lieu d'hybridation qui s'adresse non seulement aux architectes mais aussi aux promoteurs, aux élus et à ceux qui font la ville, ses habitants. Nous devons entrer dans un monde où la dimension sociale prend le pas sur l'intérêt particulier. N'oublions pas que la ville est un terrain d'invention depuis toujours. Elle a été faite par et pour ça, pour permettre le vivre ensemble. Mais aujourd'hui, nous ne savons plus loger, accueillir, inventer. Nous devons nous rappeler de ces principes pour que la ville redevienne un terrain d'invention.

 

"Nous devons entrer dans un monde où la dimension sociale prend le pas sur l'intérêt particulier."

 

Festival de la ville sauvage architecture
Le Festival de la ville sauvage a été organisé par l'association Va jouer dehors, du 15 au 17 septembre 2022 à Marseille. © Sébastien Normand

Comment réussir à remettre l'architecture au centre du débat ? Les élus doivent-ils davantage s'emparer de ce sujet ?

Souvent, lorsque l'on demande à un élu ou à une personne en général ce qu'est l'architecture, le secteur est vu comme un passage obligé et non comme une discipline culturelle ou technique. L'architecture est mal aimée. N'importe quel élu ou promoteur ne sait pas lire un plan et réfléchit souvent à l'intérêt particulier et non collectif. Avec le Festival de la ville sauvage, notre association voulait remettre l'architecture au centre du jeu et rappeler que c'est avant tout une discipline culturelle et non un dérivé du BTP. L'architecture peut transformer et accompagner un monde qui change.

Vous avez des idées que certains pourraient juger radicales. Vous imaginez un monde avec moins de béton et souhaiteriez par exemple marier les commandes publique et privée…

Le problème, c'est que la ville ne sait plus vieillir. A chaque fois, nous devons recommencer une histoire, comme si les autres n'existaient pas. Je constate que nos bâtiments sont inadaptés à la transition écologique. J'appelle à utiliser la pierre, le bois, la terre mais aussi la paille, des matériaux employés depuis des siècles. Le béton a certes de nombreuses qualités mais il ne sait pas vieillir. Nous savons pourtant construire sans béton mais cette idée embête les lobbies. Le concassage de béton sur site existe. Nous devons nous tourner vers la ventilation naturelle, vers l'inertie ou encore remplacer certains matériaux par des biosourcés. Ce n'est pas grave si, pendant un temps, ces transformations coûteront plus cher. Elles sont nécessaires face à la crise climatique. Arrêtons de penser au profit au détriment du bien-être des habitants. Mais attention, je ne dis pas que j'ai la réponse à tout. Je pense plutôt que c'est ensemble, collectivement, que nous pourrons apporter des réponses.

 

"Il nous faut des espaces publics, des places. Des endroits accessibles à tous, gratuits, anonymes."

Quid des espaces publics ? Faut-il les repenser à Marseille ?

Je suis Marseillais et marqué par mon identité méditerranéenne. Le problème, c'est que Marseille a toujours été tiraillée entre la Méditerranée et l'Europe parce que notre pays jacobin a été dessiné par des Parisiens. Or, ils n'avaient, à l'époque, pas imaginé des lieux de ralliement. Pourtant, il nous faut des espaces publics, des places. Ce sont des endroits accessibles à tous, gratuits, anonymes où il n'existe pas de ségrégation de classe. Ces endroits sont essentiels car ils créent du lien entre les habitants, comme on peut le voir en Italie ou en Grèce. Selon moi, Marseille doit embrasser son côté méditerranéen. Le centre-ville est pauvre et le port, un lieu de transit. Dans le quartier sud de la ville, il n'y a pas de place. Dans les quartiers nord, certaines zones n'ont pas de rues. Ce ne sont que des gros blocs d'immeubles. Dans les années 1970, on a casé des habitants dans des tours et des barres d'immeubles, sans jamais penser à créer de vrais rez-de-chaussée. C'est affligeant. Ces ensembles fonctionnalisent un tout mais tuent le lien social. Pour qu'il existe, il faut des rues, des jardins et des places. Dans les normes, il faudrait, pour le bien-être de la population, avoir 12 m² d'espace vert par habitant mais il n'y a que 4,5 m² de verdure par résidant à Marseille. Aussi, je pense qu'il n'y a pas d'autres alternatives que de créer de la densité en hauteur. La ville doit accepter que les nouvelles constructions montent en hauteur et soient généreuses en termes de volume afin de libérer des espaces au sol. Ces zones pourront, par exemple, être réservées à la végétation. Soixante-dix-sept pour cent des Marseillais interrogés durant le Festival de la ville sauvage ont déclaré qu'ils préfèrent vivre dans un logement en hauteur qui bénéficie d'une vue plutôt que de posséder un jardin. C'est une réponse étonnante qui n'est pas alignée à la vision des élus. Ces derniers s'imaginent des tours alors qu'il est possible de concevoir des immeubles à la fois hauts, beaux et nobles.

 

 

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