CONJONCTURE. Le marché français du bricolage est parvenu à se maintenir à flot en 2018 : avec un chiffre d'affaires de 26 milliards d'euros, il a enregistré une très légère progression de 0,4%. Mais en coulisses, les acteurs font face à de lourdes tendances de fond, qui remodèlent la profession.

Le marché français du bricolage résiste, et prouve ainsi qu'il existe. C'est ce qui ressort de la présentation des résultats annuels de ce secteur d'activité pour l'exercice 2018 : l'année dernière, les entreprises du secteur ont connu une très timide augmentation de leur chiffre d'affaires, de l'ordre de 0,4%, leur permettant ainsi de maintenir ce dernier à 26 milliards d'euros. Au vu du climat mitigé que peut connaître le bâtiment, ce résultat fait même office de performance, les spécialistes considérant que le bricolage devient ainsi le segment le mieux préservé du monde de l'habitat - en comparaison, l'électroménager pèse 8 milliards d'euros, et l'ameublement 10 milliards. "Le marché du bricolage reste, en 2018, le premier marché des biens de consommation dans l'habitat et nous nous en félicitons", a indiqué Jean-Eric Riche, président d'Inoha (la fédération des industriels du nouvel habitat). "Malgré une année irrégulière et deux derniers mois incertains, notre marché a résisté. Il est à noter que les industriels que nous représentons ont poursuivi efficacement leur accompagnement des acteurs de la distribution du marché de l'habitat."

 

 

La partie était en effet loin d'être gagnée, car nombre d'indicateurs conjoncturels sont passés à l'orange en cours d'année. D'un point de vue général, le niveau élevé de transactions dans l'immobilier ancien a été positif pour le secteur du bricolage, a contrario de la construction neuve. De même, le moral des ménages, en "déperdition perpétuelle", et la révolte sociale des Gilets jaunes, qui s'est souvent traduite par des blocages d'enseignes et donc par une baisse de leur fréquentation, ont contribué à plomber un peu plus le marché. "L'immobilier ancien constitue cependant un véritable réservoir de projets à diffusion lente, qui offre un effet de résilience au secteur", note Juliette Lauzac, chargée d'étude auprès de la FMB (Fédération des métiers du bricolage) et d'Inoha. "En 2018, on peut même dire que le bricolage s'en sort plutôt bien par rapport à d'autres segments d'activité. Les produits du bâtiment affichent également une bonne forme depuis deux ans, grâce à une météo favorable - les étés 2017 et 2018 ont été chauds et secs."

 

Les grandes surfaces de bricolage restent maîtresses du jeu mais voient leurs superficies diminuer

 

D'après les chiffres de la profession, les grandes surfaces de bricolage (GSB) concentrent toujours 76% du marché, soit un chiffre d'affaires de 19,8 milliards d'euros. Une prépondérance qui tend toutefois à reculer : d'autres acteurs émergent et consolident leur place, comme les "pure players" du e-commerce (+18%) et les négoces (+1%). "Nous tenons à saluer la résistance de notre secteur qui, dans un contexte 2018 particulièrement difficile pour la consommation, a su tirer son épingle du jeu", s'est félicité le président de la FMB, Mathieu Pivain. "Afficher la meilleure solidité sur le marché de l'habitat est la preuve de la pertinence du travail réalisé par nos enseignes et de l'expertise de nos équipes. Nos résultats 2018 sont aussi le fruit de notre bonne entente avec les industriels représentés par Inoha, avec laquelle nous poursuivons une collaboration en bonne intelligence." C'est plus exactement le groupe ADO qui domine plus d'un tiers du marché (Leroy Merlin 36%, Weldom 4%, Bricoman 3%), suivi par le groupe Kingfisher (Castorama 15%, Brico Dépôt 14%) puis quelques challengers (Bricomarché 9%, M. Bricolage 7%). Globalement, les enseignes dont les magasins comptent plus de 10.000 m² en moyenne représentent 36% de la surface commerciale totale, mais ces derniers génèrent tout de même 50% du chiffre d'affaires du circuit des GSB. Il y a donc un effet de rationalisation du parc de surfaces commerciales.

 

Côté catégories de produits, les résultats sont néanmoins inégaux. Du côté des hausses d'activité, on retrouve le bâtiment (+2,2%), l'outillage (+0,7%), le chauffage (+2,3%), le bois et la menuiserie (+2,4%), les revêtements (+1,2%) et le jardin (+0,4%). A l'inverse, les segments suivants sont en recul : la quincaillerie (-0,7%), la plomberie/salle de bains/cuisine (-0,3%), l'électricité (-0,3%), la peinture/droguerie/colles (-0,6%) et surtout la décoration (-3,3%). Les spécialistes de la FMB et de l'Inoha attirent d'ailleurs l'attention sur la rénovation thermique, rappelant que nombre de logements présentent, selon une étude de l'Insee en 2013, des signes d'humidité, des problèmes d'isolation thermique ou des fenêtres laissant passer l'air. Pour rappel, le Gouvernement estime à 7 millions le nombre de passoires énergétiques. Et l'une des principales interrogations de l'année 2019 portera sur le maintien ou non du CITE (Crédit d'impôt transition énergétique), après que 2018 ait été marquée par un bond de 7% des menuiseries extérieures.

 

 

L'évolution des catégories de produits pour le bâtiment

 

En 2018, les ventes de matériaux se sont rétractées de 2%, alors que les poudres et agrégats ont progressé de 2%. Les cloisons et isolations n'ont enregistré qu'un timide +1%, pendant que les charpentes et toitures ont bondi de 7%, les systèmes d'assainissement de 6% et les matériels de chantiers de 5%.

 

A noter : les produits de domotique continuent à reculer, ne parvenant visiblement pas à traduire leur valeur ajoutée auprès des consommateurs.

 

 

"La hausse des volumes de ventes est masquée par une déflation, car les acteurs se livrent une véritable guerre des prix"

 

 

Mais, à l'image d'autres secteurs de l'économie, le bricolage voit ses modes de consommation évoluer. A commencer par le concept "faites-le vous-même", popularisé par les sites de e-commerce : "Les pure players progressent chaque année, mais cette hausse reste encore faible par rapport à d'autres secteurs comme l'électroménager", tempère Juliette Lauzac. Mais les phénomènes de travail au noir et d'ubérisation des travaux de bâtiment doivent aussi être pris en compte, bien que difficilement identifiables par la filière. "On assiste à une transition entre le 'faites-le vous-même' et le 'faites-le pour moi'. Mais la hausse des volumes de ventes est masquée par une déflation, car les acteurs se livrent une véritable guerre des prix. Je pense que notre marché a atteint sa maturité, et qu'il y aura prochainement une décroissance des surfaces commerciales. Plus exactement, les surfaces seront réallouées, passant de magasins transactionnels à des magasins de conseil, qui traduisent l'évolution de nos métiers vers le digital", confirme Mathieu Pivain. Et Juliette Lauzac de compléter : "Il y a de plus en plus de porosité entre les marchés. Chaque circuit regarde ce qui se passe chez le voisin ; le secteur est très concurrentiel."

 

Pour ce qui est des perspectives 2019, elles s'avèrent positives : l'année a bien commencé, avec une activité au premier trimestre en hausse de 3,6 à 3,7% en comparaison aux trois premiers mois de 2018. "Le potentiel de travaux reste élevé et on peut être confiant pour l'année 2019", conclut Juliette Lauzac.

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