FOCUS. En collaborant, les jeunes et les entreprises artisanales du bâtiment pourraient mutuellement y trouver leur compte. Entre la quête de sens des premiers, et la nécessité pour les secondes de s'adapter à un monde qui change, les synergies seraient bien plus nombreuses qu'il n'y paraît.

D'un côté, des jeunes générations à la recherche de sens et davantage sensibilisés - en théorie du moins - aux enjeux climatiques. De l'autre, des entreprises artisanales du bâtiment qui rencontrent toujours des difficultés à recruter et qui doivent a fortiori prendre le train de la modernité en marche. Et entre les deux, une collaboration qui pourrait se révéler fructueuse.

 

 

Il a été question de cette rencontre entre la génération dite Z (correspondant aux personnes nées entre 1996 et 2012) et les professionnels de la construction lors d'une série de tables rondes organisées par la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) en février à Paris. Attractivité des métiers, développement des compétences, préservation de l'environnement, urgence climatique, technologies numériques : les sujets abordés par les différents intervenants n'ont pas manqué.

 

"Des arguments qui, hier, ne fonctionnaient pas, fonctionnent aujourd'hui"

 

Il y a d'abord ces cas de reconversions professionnelles, à l'image de Pierre Kerconduff, diplômé d'architecture qui est dans un premier temps parti dans cette voie... Avant de vouloir reprendre contact avec le terrain et faire correspondre ses convictions, notamment environnementales, avec ses actes du quotidien : il est depuis devenu maçon en Ille-et-Vilaine.

 

"Le fait de travailler avec des outils simples, c'est quelque chose d'essentiel. Il n'y a pas d'industrie pour transformer nos matières, on trouve des ressources locales comme la terre, à mettre en relation avec la paille par exemple, pour une mise en œuvre ne nécessitant pas une multitude d'intermédiaires", explique l'artisan.

 

Un cas loin d'être isolé, d'après Dominique Naert, directeur du mastère en immobilier et bâtiment durables de l'École des Ponts Paris Tech, qui confirme avoir vu depuis trois ans une proportion croissante d'actifs s'inscrivant dans son cursus en vue d'une reconversion. "Des arguments qui, hier, ne fonctionnaient pas pour ramener des jeunes vers nos métiers, fonctionnent aujourd'hui", relève le responsable.

 

"Les questions de surconsommation, de sobriété, de préservation de l'environnement… sont autant de sujets éducatifs." Avec une moyenne d'âge de 41,5 ans au sein du mastère, la formation accueille des "étudiants" qui sont "encore en capacité de modifier leur façon de vivre", assure-t-il. Parallèlement, les pratiques des entreprises et les techniques de construction changent d'ores et déjà.

 

Prise de conscience

 

Peintre et cheffe d'entreprise artisanale également basée dans le département d'Ille-et-Vilaine, Virginie Chevalier raconte utiliser une peinture à l'algue, donc un matériau biosourcé, issue d'un circuit court, sur ses chantiers. "Souvent, je me dis qu'on revient en arrière sur beaucoup de choses", note-t-elle en souriant. "Faire attention à son matériel, ses ressources, son environnement, on nous l'a toujours appris dans nos entreprises artisanales car c'est quand même souvent lié à l'économie !"

 

L'artisane se dit toutefois plus partagée sur la réalité des préoccupations environnementales des jeunes d'aujourd'hui. "Je pense qu'il y a des tranches d'âge et d'études où la prise de conscience est plus ou moins importante. Les plus jeunes n'ont certainement pas tous cette conscience", estime-t-elle, renvoyant à la "surconsommation sur tous les plans" pratiquée par la génération actuelle, de l'utilisation des réseaux sociaux aux commandes sur Internet en passant par les voyages à l'autre bout du monde.

 

Pas question pour autant de donner une quelconque leçon de morale envers les uns ou les autres. "Nous avons un travail qui nous a été transmis, qu'on aime, et qu'on aimerait maintenant transmettre aux jeunes générations", s'enthousiasme Virginie Chevalier. Qui en appelle à la massification des rénovations globales pour espérer réduire les émissions de CO2 (dioxyde de carbone), bien qu'elle ne soit pas certaine "qu'on ait le temps de tout rénover d'ici 2050".

 

 

Qualité du travail

 

Un certain nombre d'éléments auraient en effet été omis dans "l'équation" des objectifs de décarbonation que la France s'est fixé à cet horizon. "Dans l'état actuel des choses, nous n'atteindrons pas ce but à temps. Il y a des problématiques économiques, d'emploi, de formation", abonde Dominique Naert.

 

Pourtant, le secteur du bâtiment serait en mesure de fournir aux jeunes comme aux moins jeunes cette possibilité de ne plus attendre passivement que les choses évoluent, mais au contraire d'obtenir des résultats immédiats, en l'occurrence lors d'améliorations énergétiques apportées à l'habitat. Selon Alain Chouguiat, directeur du pôle économique de la Capeb, "l'entreprise artisanale du bâtiment peut être le lieu où les jeunes vont construire du sens, avec des gestes, des matériaux, des énergies. C'est une façon d'être dans le concret et d'être durable."

 

Des savoir-faire qui conjugueraient donc quête de sens, activité économique et préservation de l'environnement. Portés par les chantiers de rénovation, eux-mêmes remis à l'ordre du jour du fait de la crise énergétique et de l'urgence climatique, les professionnels de la construction auraient ainsi une carte à jouer auprès de la génération Z.

 

"On pourrait peut-être faciliter encore les choses, en créant des GME, des groupements momentanés d'entreprises, par exemple. Ce n'est pas tellement la quantité de travail que la manière de travailler, la qualité du travail qui nous préoccupe", poursuit le représentant de la Capeb. Mais les jeunes et les actifs en reconversion trouvent-ils forcément des réponses à leurs attentes ? Les interrogations semblent encore nombreuses, si l'on en croit Gauthier Petiniot, un autre ex-architecte devenu tailleur de pierre.

 

"Il faut peut-être davantage de formations concrètes, qui mettent la main à la pâte", suggère le trentenaire. "Par rapport à une agence d'architecture, il y a moins d'inertie dans une entreprise du bâtiment. On obtient des réponses plus directes. Nous ne sommes pas des intermédiaires et nous avons une maîtrise des sujets plus importante." Pouvoirs publics comme entreprises, acteurs de la formation professionnelle comme apprentis, la démarche devra visiblement être, comme toujours, collective.

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