EMPLOI. D'après un bilan chiffré réalisé par les pouvoirs publics, le nombre de travailleurs détachés a très fortement augmenté durant l'année 2017.

Hors transport routier, la France en 2017 a comptabilisé 516.000 salariés détachés, un chiffre en augmentation de +46% par rapport à 2016. Ces chiffres qui confirment le succès rencontré par le dispositif du détachement sont issus d'un Bilan intermédiaire du plan national de lutte contre le travail illégal que le quotidien Le Monde a pu consulter. Seuls, bien sûr, les travailleurs détachés légaux, déclarés, sont compris dans ces données.

 

Les pouvoirs publics précisent toutefois que cette hausse peut s'expliquer en partie par une meilleure remontée des déclarations de détachement, du fait de la mise en place d'une nouvelle base de données. Pour rappel, depuis octobre 2016, les déclarations se font via le télé-service Sipsi.

 

Les salariés Portugais arrivent en tête

 

Un quart des salariés détachés (24%) travaillent dans le secteur de l'intérim (dont très probablement une partie dans le BTP), 20% dans le bâtiment et 18% dans l'industrie. Les nationalités les plus représentées sont les Portugais (74.000 en 2017), les Polonais (61.000), les Allemands (45.000) et les Roumains (44.000).

 

Les pouvoirs publics, repris par Le Monde, signalent par ailleurs l'étrangeté de voir 37.000 Français être détachés... en France. Cette situation est "liée, en grande partie, aux pratiques de 'sociétés d'intérim basées à l'étranger' - notamment au Luxembourg -, qui proposent de la main-d'œuvre tricolore à des entreprises établies en France".


Dans le BTP, de nombreux chantiers font l'objet de dénonciation

 

Autre élément inquiétant dans ce bilan chiffré : la diminution d'activité de l'inspection du travail. En effet, en 2017, elle est intervenue 965 fois en moyenne dans le cadre de la lutte contre le travail détaché, contre 1.330 en 2016, soit une baisse de 27%. Ce qui laisserait entendre que ce combat n'est plus forcément une priorité pour le Gouvernement. Sans surprise, le BTP est le premier secteur concerné par les visites des inspecteurs (59%), "en raison, notamment, des 'fraudes particulièrement importantes' dans cette branche et des signalements 'de la profession'" (autrement dit, des dénonciations).

 

Si les inspecteurs du travail semblent moins actifs sur ces dossiers, les sanctions sont plus nombreuses : plus de 1.000 en 2017 (pour un peu moins de 6 millions d'euros), contre 456 en 2016. Auxquelles il faut ajouter trois fermetures d'établissement et onze suspensions de prestation de service. Cette hausse des sanctions malgré une baisse du nombre de contrôles vient probablement du fait que ceux-ci sont mieux ciblés, s'appuyant sur des signalements. José Ramos, président de la Fédération des travaux publics d'Île-de-France, nous rappelle que l'avenant à la convention régionale de lutte contre le travail illégal, signé en juin 2016, prévoyait "l'instauration de fiches de signalement pour que les organisations professionnelles du BTP alertent plus aisément l'administration des situations litigieuses". "Il y avait eu un consensus autour de cette idée", nous explique José Ramos. "Le détachement légal de travailleurs est l'un des outils dont disposent les entreprises. Et notre fédération est très attentive à ce que les règles soient respectées sur le terrain. Mais je rappelle également l'importance de faire de la formation."

 

"Le détachement est un phénomène qui a été trop longtemps négligé. Et aujourd'hui, les chiffres deviennent hallucinants", P. Liébus (Capeb)

Cette hausse du travail détaché intervient alors que le secteur du BTP peine de plus en plus à recruter de la main d'œuvre formée. Une problématique qui prendra de l'ampleur à mesure que seront lancés les gigantesques chantiers du Grand Paris. Le travail détaché semble ainsi avoir de beaux jours devant lui.

 

Un constat qui désole Patrick Liébus, président de la Capeb. "Nous sommes en train d'assister à tout ce que craignions. Cette hausse est, certes, en partie due au fait que davantage de salariés sont déclarés via la plateforme Sipsi. Mais il y a de quoi être inquiet", affirme-t-il auprès de Batiactu. "Si cela continue comme ça, nous allons connaître de grandes difficultés sociales dans notre pays. De l'embauche de ces salariés, il n'y a rien qui reste dans les caisses de l'Etat. Voilà un phénomène qui a été trop longtemps négligé, et aujourd'hui les chiffres deviennent hallucinants. De plus, les chantiers du Grand Paris ne feront probablement qu'amplifier le phénomène."

 

Relancer l'apprentissage, une urgence

 

Pour le représentant des artisans du bâtiment, cette importante hausse va également affecter l'image du secteur, notamment auprès des pouvoirs publics. "A l'heure où sont ouvertes de nombreuses négociations, sur l'apprentissage, la formation, l'assurance-chômage, on va nous accuser de ne plus vouloir former de jeunes ! Nous attendons donc des politiques qu'ils prennent leurs responsabilités : il faut multiplier les contrôles et prendre des mesures pour relancer l'apprentissage et le marché du travail, notamment dans le cadre de la réforme de l'assurance-chômage. Et ne surtout pas reporter les décisions à 2022." Pour autant, pour le président de la Capeb, "la pression monte au sein des entreprises", de plus en plus conscientes des risques de sanctions lourdes. "Il y aura de plus en plus de signalements et de sanctions."

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