CONJONCTURE. Très inquiets face à des chiffres moins bons qu'attendus, les professionnels du bâtiment alertent sur la dégringolade des permis de construire, qui risque de faire de 2021 "la pire année, en termes de construction neuve, depuis 1986". Les difficultés d'approvisionnement en matériaux constituent l'autre crainte majeure du secteur.

La chute est finalement plus dure que prévu : en 2020, les mises en chantiers et les permis de construire se sont respectivement rétractés de 9,3% et de 14,7%, ce qui a permis de faire sortir de terre 351.000 logements. L'année 2021 ne se présente apparemment pas non plus sous les meilleurs auspices, avec des autorisations et des ouvertures de chantiers qui baissent respectivement de 13,1% et de 9,1% sur les trois premiers mois, en comparaison à la même période un an plus tôt. Si le segment individuel semble mieux résister que le collectif, les ventes des promoteurs ont en revanche dégringolé de 24,1% en 2020, tandis que les ventes dans l'individuel diffus ont été les seules à enregistrer une note positive, de l'ordre de +4,3%, là encore sur les trois premiers mois de l'année 2021. C'est en partant de ces résultats que la Fédération française du bâtiment (FFB) a donc établi ses prévisions pour l'exercice en cours : un recul de 12,6% des logements commencés est ainsi envisagé, ce qui les ferait tomber à 307.000 unités.

 

 

Le non-résidentiel n'est pas épargné

 

Des chiffres qui ne rappellent pas de bons souvenirs aux professionnels du bâtiment puisqu'un tel niveau serait synonyme de la crise du début des années 1990 : "Attention à la panne en fin d'année 2021 et au début 2022, car la construction neuve est en danger", lance sans détours Olivier Salleron, le président de la fédération. "La chute des permis de construire continue, et 2021 s'annonce très mauvaise pour le logement collectif. Comment allons-nous faire pour rattraper le million de logements qui manque, comme l'a indiqué récemment la Fondation Abbé Pierre ? Donc urgence logement, urgence construction neuve ! Ce sera la pire année, en termes de construction neuve, depuis 1986." Certes, le carnet de commandes des entreprises de construction se porte plutôt bien, celles-ci disposent de bonnes capacités de production et envisagent de continuer à recruter, mais ces bons indicateurs ne semblent pas suffisants à enrayer le cycle négatif que subit le secteur.

 

En 2020, les surfaces commencées et autorisées dans le non-résidentiel neuf ont été encore plus impactées, diminuant respectivement de 16,3% et de 19,2%. In fine, 23,8 millions de mètres carrés sont sortis de terre, soit plus de 8 millions en-deçà de la moyenne de long terme. En glissement annuel sur trois mois arrêté à fin janvier 2021, les chiffres restent mauvais avec -21,4% pour les surfaces mises en chantier et -15,6% pour celles autorisées. L'ensemble des segments est orienté à la baisse et la situation ne laisse donc pas présager d'une année fructueuse : à l'heure actuelle, 22,4 millions de mètres carrés de surfaces commencées ont été comptabilisés, un plancher là encore jamais atteint depuis 1986.

 

La rénovation pourrait profiter de la montée en puissance du Plan de relance et de Ma prime rénov'

 

Le tableau est un peu moins sombre sur le marché de la rénovation, où le volume d'activité accuse tout de même -8,2% en 2020. Le 4e trimestre de l'année dernière a encore déçu en enregistrant -2% en glissement annuel, mais les professionnels ont malgré tout constaté que les chantiers de rénovation énergétique parvenaient à se stabiliser. Au final, l'amélioration-entretien n'a reculé "que" de 5,2% en 2020, et même si les perspectives ne se sont pas franchement éclaircies pour le premier trimestre 2021, les entreprises veulent rester confiantes : "La tendance devrait s'améliorer dans les prochains mois, grâce à la montée en puissance du Plan de relance et de Ma prime rénov', pour laquelle il faudra d'ailleurs que l'Administration arrive à suivre", relève Olivier Salleron. "Pour autant, cela n'arrivera pas à compenser la violente chute du neuf."

 

Un tel contexte économique plombe évidemment l'activité des entreprises et se répercute sur l'emploi : 2.900 postes ont ainsi été détruits en 2020, ce qui représente une très légère baisse de 0,2%, dans la mesure où les 22.300 salariés recrutés dans le même temps ont permis de compenser une très large part des 25.200 emplois intérimaires à temps plein qui ont été perdus. Sur ce point, le Bâtiment affirme avoir bénéficié des "puissantes mesures de soutien prises rapidement" lors de l'arrivée de la crise du Covid en mars 2020, tout en ayant géré avec "succès" le déconfinement de l'été suivant et le maintien de l'activité lors du second confinement. Les quelque 1,2 million de salariés du bâtiment ne sont toutefois pas à l'abri d'après le président de la FFB : "Nos salariés sont en danger si rien n'est fait pour le neuf : ce sont 70.000 emplois qui seront notamment menacés à l'horizon 2022 dans cette filière. Là encore, la rénovation énergétique ne pourra pas compenser, même si des recrutements seront faits pour la progression de l'amélioration-entretien." Sur le plan de la formation professionnelle, le secteur maintient par ailleurs son objectif de 100.000 apprentis à la fin 2022.

 

Alerte sur les prix et l'approvisionnement des matériaux

 

 

Mais les motifs d'inquiétude ne s'arrêtent pas là pour les professionnels de la construction : les trésoreries des entreprises, qui se sont nettement améliorées vers la fin 2020, contre-balancent des marges toujours aussi comprimées, face à des prix de matériaux qui s'envolent depuis le début 2021. Après le cuivre et l'acier, c'est au tour du bois, du PVC ou encore des systèmes électriques de connaître d'importantes difficultés d'approvisionnement, qui peuvent s'expliquer par le déséquilibre entre l'offre et la demande et une désorganisation des capacités de production et de distribution à l'heure où la reprise d'activité s'observe à l'échelle mondiale. Dans le cas plus spécifique du bois, les importations de matériaux en provenance des États-Unis et du Canada font en plus l'objet de surtaxes. "Le danger, c'est la rupture d'approvisionnement, et pour les entreprises, des chantiers systématiquement en pertes", prévient Olivier Salleron. Pour contrer le problème, le secteur demande donc à "partager" les surcoûts directs comme indirects liés aux chocs sur les prix, ce qui pourrait passer par une "réactivation" des ordonnances, prises au printemps 2020, qui avaient temporairement "gelé" les pénalités de retards. La FFB demande de plus au Gouvernement d'indexer obligatoirement les marchés.

 

Plus largement, le secteur en appelle à la mobilisation des élus locaux, notamment des édiles écologistes accusés de bloquer, ou du moins de geler, les permis de construire sur les territoires de leurs communes. Mais c'est en réalité à toute une classe politique que le Bâtiment demande de se saisir de nouveau des enjeux de logement en inversant la baisse des constructions observée depuis quelques années. Pour accompagner les donneurs d'ordre, la fédération demande en outre la mise en place d'un permis déclaratif. Et bien que satisfaite des derniers arbitrages sur la Réglementation environnementale 2020, qui permettent selon elle de mixer les systèmes constructifs avec des seuils envisageables, l'organisation reste dans l'attente de certains sujets comme la VRD et le tertiaire, et guette donc la clause de revoyure. D'autant que les professionnels exigent que les surcoûts engendrés par la RE2020 soient eux aussi compensés. Afin de redynamiser la demande, il est proposé un crédit d'impôt sur les annuités d'emprunt pour les primo-accédants, une majoration de la réduction d'impôt Pinel pour le parc locatif privé, et enfin une relance de l'investissement public local. Enfin, la FFB met en garde sur les risques de la division par deux de l'artificialisation des sols telle que présentée dans le projet de loi Climat et résilience (reprenant en partie les propositions de la Convention citoyenne pour le climat). Un concept jugé "trop large et mal maîtrisé", qui ne prendrait pas en compte "les besoins socio-économiques des territoires visés".

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