DÉCISION. Enfin la sortie de crise ? Le Gouvernement et les professionnels viennent de s'entendre pour relancer l'activité du secteur de la construction, gravement entravée par l'expansion de l'épidémie et les questions de responsabilité qu'elle soulève.

Le Gouvernement vient de faire savoir qu'un accord avait été trouvé avec les professionnels du BTP pour assurer le maintien d'une certaine activité sur les chantiers. C'est ce qui ressort d'un communiqué de presse diffusé ce samedi 21 mars, à la mi-journée. "Les représentants des entreprises du BTP et le Gouvernement se sont accordés sur plusieurs principes permettant de renforcer, dans les tout prochains jours, la continuité de l'activité du secteur et la poursuite des chantiers", peut-on y lire. Les pouvoirs publics souhaitent ainsi rassurer les acteurs sur des points qui pouvaient les décourager de reprendre leurs activités, notamment leurs responsabilités en matière de prévention des risques et de respect des délais et d'exécution des chantiers.

 

Un guide de bonnes pratiques bientôt publié

 

Première inconnue à lever : les risques pour la santé des salariés. A celle-ci répondra la publication dans les prochains jours par les fédérations du secteur d'un "guide de bonnes pratiques, préalablement validé par les ministères du Travail et des Solidarités et de la Santé", est-il indiqué. "Réalisé en lien avec les professionnels intervenant sur les chantiers et avec l'appui des experts de l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), il donnera, pour toutes les entreprises de toutes tailles, une série de recommandations pour assurer des conditions sanitaires satisfaisantes sur les chantiers et poursuivre les activités." En matière de travaux publics, les grands maîtres d'ouvrage au niveau national et les préfets au niveau local coordonneront et prioriseront les chantiers à poursuivre ou à relancer.

 

Coronavirus : l'employeur doit "assurer la traçabilité des mesures de protection des salariés", M. Ledoux (avocat)

 

L'avocat Michel Ledoux, spécialisé dans les questions de santé au travail, réagit pour Batiactu à l'annonce des pouvoirs publics. "Ce texte vient rassurer les entreprises sur leur responsabilité", nous explique-t-il. La principale précision qu'il apporte est que la responsabilité de l'employeur, dans ce cadre, est de moyens et non de résultats. Autrement dit, l'entreprise doit mettre en place tout pour éviter une contamination d'un salarié au coronavirus, mais n'est pas obligé de réussir à le protéger. Pourquoi ? "Car le coronavirus - comme l'était la grippe H1N1 - est un risque environnemental, que le chef d'entreprise ne peut pas maîtriser, à la différence d'un risque professionnel stricto sensu", comme par exemple le risque de chutes de hauteur.

 

Concrètement, comment l'employeur peut-il se protéger et éviter que ses responsabilités civile et pénale soient engagées ? "Il s'agit de mettre à jour son document unique d'évaluation des risques, et de mettre en place la politique de prévention adaptée", explique Michel Ledoux. En l'occurrence, cela signifie une sensibilisation aux gestes barrières, la mise à disposition de gel hydroalcoolique partout où c'est nécessaire, des rappels réguliers de ces règles par les responsables d'équipes sur les chantiers, et bien sûr des conditions de travail permettant de respecter la distance de sécurité entre les personnes - le document prochainement diffusé par l'OPPBTP devrait apporter davantage de précisions.

"Les règles doivent être respectées sur le terrain"

"L'employeur a intérêt à assurer la traçabilité de la mise en place de ces mesures, en laissant des traces écrites, pour pouvoir prouver le cas échéant qu'il a bien mis les moyens adaptés." L'avocat insiste par ailleurs sur le fait que ces mesures ne doivent pas être uniquement écrites, mais appliquées, effectives. "Les règles doivent être respectées sur le terrain." Ce qui ne veut pas dire qu'il faudrait être en mesure de contrôler tous les faits et gestes de chaque salarié (par exemple, vérifier que chacun se lave bien les mains plusieurs fois par jour). "L'employeur ne peut pas être sur le dos de chaque salarié en permanence : mais s'il peut prouver que tous les éléments étaient en place pour que le salarié soit protégé, sa responsabilité est couverte."

 

Tous les types de chantiers sont concernés

 

Si la tenue des opérations d'un chantier est particulièrement complexe, "un délai pourra être nécessaire afin de définir des procédures adaptées". Enfin, les chantiers chez les particuliers, lorsque ceux-ci sont présents, fera l'objet d'une "attention particulière". Ce sont ainsi l'ensemble des activités, du plus petit chantier au plus important, qui sont censées pouvoir repartir dans les jours à venir, avec des méthodes de travail adaptées, acceptées par tous et validées au plus haut niveau.

 

L'État invite les acteurs "à ne pas rechercher la responsabilité contractuelle des entreprises"

Les pouvoirs publics confirment une nouvelle fois dans le communiqué de presse que les sociétés de BTP ont évidemment droit au dispositif exceptionnel de chômage partiel, et plus largement à tous les dispositifs annoncés ces derniers jours. Ils devraient être rapidement opérationnels . "Enfin, le gouvernement invite les donneurs d'ordre et entreprises à ne pas rechercher la responsabilité contractuelle des entreprises, de leurs sous-traitants ou fournisseurs qui, lorsque les conditions d'exécution ne permettaient plus de garantir la santé et la sécurité de leurs salariés, ont dû suspendre leur activité." Autrement dit, une société de la filière construction au sens large ne devrait pas être victime de pénalités si elle a décidé de ne pas intervenir sur un chantier pour protéger ses salariés, ou si elle enregistre un retard - du moins c'est la directive que donnent les ministères qui n'ont pas moyen de rendre obligatoire cette démarche, si ce n'est pour les chantiers où l'État lui-même est maître d'ouvrage.

 

Pour l'ordre des architectes, "les conditions ne sont pas remplies pour une reprise rapide des chantiers"

 

 

"Les conditions ne sont pas remplies pour une reprise rapide des chantiers", assure Denis Dessus, président du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa), dans un communiqué de presse daté du 21 mars 2020. "Nous ne le permettrons pas si nous estimons qu'un seul acteur, maître d'ouvrage, entreprise ou maîtrise d'œuvre prend des risques inconsidérés pour des motifs macroéconomiques." L'ordre concède toutefois que les services de travaux d'urgence doivent être maintenus, mais qu'il ne faut pas aller "au-delà" aujourd'hui. L'organisme rappelle également que les architectes, en tant que responsables des constructions, doivent être associés à ces démarches.

 

L'Union des syndicats français d'architectes (Unsfa) a également exprimé son désaccord par un communiqué de presse du 22 mars. Et ne souhaite pas que les architectes, qui n'ont pas été invités aux discussions, soient "otages" de décisions prises sans eux. "Si la volonté gouvernementale consiste à redémarrer les chantiers, notre organisation demande à préciser : quels sont les chantiers prioritaires, à ce que les protocoles de redémarrage soient faits avec ses représentants", peut-on lire dans le texte. "Nous ne devons pas être les otages d'une décision alors que notre responsabilité sociétale, sanitaire et professionnelle est engagée."

"Nous ne voulons pas être de la chair à béton"

Autre voix discordante, celle de la CGT, syndicat de salariés, qui demande aux compagnons de "rester confinés chez [eux]", par un communiqué du 21 mars 2020. "Nos professions sont déjà touchées par un mort par jour travaillé, nous ne voulons pas être la chair à béton, ni du patronat, ni de la ministre Pénicaud." La CGT estime que le travaillera pourra reprendre une fois la pandémie passée, quand les salariés auront donné leur accord.

 

Enfin, en matière de responsabilité des entreprises par rapport à la santé de leurs salariés, l'État rappelle que "selon le droit du travail, la responsabilité de l'employeur n'est engagée que s'il ne prend pas les mesures de prévention utiles pour la protection des salariés et qu'il s'agit d'une obligation de moyens". L'employeur devra donc s'assurer que les moyens sont mis en place, auquel cas sa responsabilité ne pourra être engagée en cas de contamination au coronavirus d'un salarié intervenant.

 

 

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