ENTRETIEN. Il y a tout juste six ans se produisait l'incendie de la tour Mermoz, à Roubaix, qui faisait une victime. Damien Guth, directeur de l'exploitation et de l'approvisionnement chez Lille Métropole habitat, qui gère l'immeuble encore inoccupé aujourd'hui, fait le point pour Batiactu alors que la réglementation sur les feux de façades devrait être durcie dans les mois à venir, en France.

Cinq ans avant le tragique incendie de Grenfell, un feu de façade se propageait, avec la même rapidité qu'à la tour de Londres, le long d'une façade d'un immeuble HLM de quatrième famille : la tour Mermoz, à Roubaix. Six ans plus tard, l'affaire n'a pas encore été jugée, et le bâtiment, inoccupé, fait l'objet de travaux de réhabilitation. Damien Guth, directeur de l'exploitation et de l'approvisionnement de Lille métropole habitat, qui gère la tour Mermoz, répond aux questions de Batiactu et réagit notamment aux récentes annonces concernant un renforcement (rétroactif ?) de la réglementation sur les feux de façades.

 

Batiactu : Six ans après l'incendie de la tour Mermoz, où en êtes-vous dans la gestion du sinistre ? Les appartements ont-ils été reloués ?

 

Damien Guth : L'affaire est entre les mains de la justice en ce qui concerne le volet des responsabilités. Et la tour est toujours inoccupée. Elle a fait ces dernières années l'objet d'expertises et de contre-expertises. Des travaux de réhabilitation, concernant notamment les appartements dans lesquels le feu a pénétré du fait de fenêtres laissées ouvertes, sont en cours depuis quelques mois. Nous effectuons des travaux d'envergure avant de remettre le bâtiment à la location.

 

Batiactu : Quelles actions correctrices avez-vous prises à la suite du sinistre de 2012 ?

 

Damien Guth : Trois tours identiques, dont celle de Mermoz, avaient été réhabilitées avec deux produits conformes à la réglementation : des éléments en terre cuite et des panneaux en aluminium composite avec un cœur en polyéthylène (ACM-PE). Ces derniers étaient du même type que ceux posés sur la tour Grenfell. Après l'incendie, nous avons mené notre propre enquête pour trouver les causes de la propagation si rapide des flammes, sans attendre les conclusions des bureaux d'études. Notre investigation nous a amenés à considérer que les panneaux aluminium composite avaient joué ce rôle d'amplification de l'effet-torche. La direction a ainsi décidé d'engager sur les deux tours 'jumelles' de celle de Mermoz une dépose des matériaux en question. Ils ont été remplacés par une version résistant mieux au feu, dotés d'une âme minérale, un peu plus chers. Lorsque nous avons pris connaissance de l'incendie de Grenfell, nous avons été un peu surpris du fait que ce genre de sinistre arrive encore.

 

 

Batiactu : Quel est le coût d'une telle opération de remplacement de produits de façade ?

 

Damien Guth : Le remplacement de ces matériaux, sur l'une de nos tours, a représenté 750.000 euros HT, soit 1,5 million pour deux tours. A quoi il faudra ajouter les frais liés à la réhabilitation de la tour Mermoz. Nous avons également, dans la foulée du sinistre de 2012, effectué un recensement au sein de notre parc immobilier pour savoir si l'ACM-PE avait été utilisé sur d'autres bâtiments : ce n'était heureusement pas le cas. Aujourd'hui, nous sommes évidemment sensibilisés à ce sujet, et proscrivons l'utilisation de ce type de produits sur nos opérations.

 

"Une éventuelle rétroactivité du durcissement de la réglementation remettrait en question toutes les réhabilitations effectuées depuis vingt ans."

 

Batiactu : Le Gouvernement va, dans le cadre de la loi Elan, créer une nouvelle catégorie d'immeubles, les immeubles de moyenne hauteur (IMH), qui remplaceront ceux de quatrième famille. La réglementation pour limiter le risque de feux de façade sera modifiée en ce qui les concerne. Quelle est votre analyse de la situation ?

 

Damien Guth : Nous sommes bien sûr en veille sur ce dossier. Et nous nous demandons si cette évolution réglementaire sera rétroactive ou non. Car si l'on doit ré-intervenir sur des façades à la suite de travaux d'isolation thermique par l'extérieur (ITE) réalisés depuis une vingtaine d'année, cela poserait bien évidemment un problème financier pour les bailleurs. Je vous rappelle que l'on nous demande déjà d'améliorer la performance énergétique des logements sociaux. Et les ITE représentent l'écrasante majorité des réhabilitations thermiques que nous conduisons, du fait de tous les avantages présentés par cette solution technique (éviter les ponts thermiques, intervention en site occupé...). Une éventuelle rétroactivité du durcissement de la réglementation remettrait en question toutes les réhabilitations effectuées depuis vingt ans. J'espère que les pouvoirs publics mesureraient l'impact d'un tel choix.

 

Pour ma part, j'estime que l'interdiction de produits combustibles tels que celui qui était posé sur la tour Mermoz en troisième et quatrième famille aurait du sens. Mais, comme on l'a vu, remplacer ces produits représente un certain coût. Si, en plus, on introduit une obligation d'installer des recoupements incombustibles tous les deux niveaux, par exemple, le coût des interventions sur les bâtiments serait encore décuplé. De telles dépenses se feraient au détriment de nos programmes d'entretien habituels, sauf si nous étions aidés financièrement.

 

Batiactu : Au Royaume-Uni, les pouvoirs publics ont tranché : ils prendront en charge, à hauteur de 450 millions d'euros, le remplacement de 184 bardages de logements sociaux...

 

Damien Gruth : Au vu de l'état des finances publiques et de la récente politique du Gouvernement en matière de logement social, j'imagine mal ce scénario se produire en France. Ce que j'espère, toutefois, c'est que les pouvoirs publics pèseront bien leur décision. Il faut que le coût des opérations ne soit pas démesuré lorsqu'il est mis en regard du progrès effectué en matière de sécurité des habitants. Car nous ne pourrons pas à la fois améliorer la performance thermique des logements et reprendre des chantiers pour remettre des façades aux normes.

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