INNOVATION. La route solaire Wattway, portée par l'entreprise Colas, et dont un prototype est expérimenté sur une départementale de l'Orne depuis 2016, ne semble pas rencontrer de franc succès, ni sur le plan économique ni sur le plan environnemental. Le Groupement des métiers du photovoltaïque (GMPV) revient sur les limites techniques de cette technologie.

Le ciel se couvre pour Wattway. Le concept de route solaire, porté par l'entreprise Colas et dont un prototype est expérimenté sur un kilomètre de départementale dans l'Orne depuis 2016, accumule les mauvais points. Cette installation pilote ne s'avèrerait en effet ni rentable sur le plan économique, ni efficace sur le plan environnemental, si l'on en croit nos confrères du Monde. Pour rappel, ce sont 2.800 m² de panneaux photovoltaïques qui ont été collés sur l'asphalte de cette route menant à la commune de Tourouvre-au-Perche. Inaugurée en décembre 2016 par la ministre de l'Environnement de l'époque, Ségolène Royal, la première route solaire au monde constituait en réalité un galop d'essai, dans l'optique de déployer cette technologie innovante sur un millier de kilomètres à travers le pays. La puissance publique a d'ailleurs participé au financement de Wattway à hauteur de 5 millions d'euros.

 

 

Sauf que plus de deux ans après sa mise en service, les résultats sont loin d'être au rendez-vous : une dégradation prématurée des dalles a été constatée, causée par la circulation et le pourrissement des feuilles d'arbres qui sont tombées dessus, de même que des nuisances sonores engendrées par le revêtement spécifique, et qui ont obligé les autorités locales à abaisser la vitesse à 70 km/h sur cette portion. L'installation électrique a même parfois disjoncté pendant des orages. Au bout du compte, la route Wattway aurait été "amputée fin mai d'une centaine de mètres trop abîmés pour être réparés", et "[ferait] désormais pâle figure avec ses joints en lambeaux, ses panneaux solaires qui se décollent de la chaussée et les nombreux éclats qui émaillent la résine protégeant les cellules photovoltaïques", d'après le quotidien.

 

"Ce n'est pas une technologie qu'on installe sur une route"

 

Contacté par Batiactu, le Groupement des métiers du photovoltaïque (GMPV, une entité de la Fédération française du bâtiment) est revenu sur l'intérêt technique d'une telle installation sur une infrastructure routière : "Le système qui capte l'énergie radiale du soleil pour la transformer en électricité se compose de cellules en silicium mises sous une couche à travers laquelle doit passer la lumière", rappelle le président du GMPV, Franc Raffalli. "Quand on fait des tests, on constate logiquement que dès qu'il y a une baisse de la lumière, il y a une baisse de la production d'électricité, car la technologie est très sensible. Une petite opacification peut entraîner une très grosse baisse de rendement. Dans le cas de la route solaire, le revêtement transparent utilisé est du verre, et les panneaux photovoltaïques sont situés en-dessous. L'opacification de la route a été causée par la saleté, et la résistance des panneaux a été mise à l'épreuve par le trafic. C'était donc totalement prévisible que ça ne marcherait pas. Je pense que ce n'est pas une technologie qu'on installe sur une route."

 

Les spécialistes soulignent par ailleurs que les panneaux photovoltaïques ne doivent pas être mis à plat mais au contraire être installés avec une inclinaison, de manière à ce que la pente favorise l'évacuation des saletés. "Si on avait demandé à la profession à l'époque, on l'aurait expliqué dès le départ ! Tout ça c'est une opération de communication, de marketing. On était alors dans une espèce d'euphorie environnementale. Il ne fallait pas s'attendre à que ça marche." Techniquement parlant, les professionnels assurent donc qu'un tel concept, bien qu'intéressant sur le plan intellectuel, ne pouvait donc fonctionner. D'autant que le rapport coût-bénéfice n'est pas rentable pour un équipement aussi réduit : aux yeux du secteur, l'intérêt est de produire de l'énergie de masse, et non de manière ponctuelle sur un kilomètre de route ou pour recharger un vélo. "C'est même contre-productif, car ce sont des gadgets. Cela a desservi la profession", regrette Franc Raffalli. "C'est toujours une bonne chose de faire des tests mais dans ce cas, ça n'en valait pas la peine."

 

"Notre système n'est pas mature sur le trafic interurbain et la logique de production d'énergie n'est pas pertinente"

 

Au vu des circonstances, le compte n'y est donc pas sur le plan énergétique. Initialement, les porteurs du projet tablaient sur une production journalière de 790 kWh pour assurer la consommation annuelle de l'éclairage public d'une ville de 5.000 habitants. Mais Wattway n'a réussi à en produire qu'un peu plus de la moitié durant sa première année de fonctionnement, soit plus de 395 kWh par jour, et donc un total de 149.459 kWh sur l'année 2017. L'infrastructure a ensuite généré 78.397 kWh en 2018, et 37.900 kWh sur le premier semestre 2019. Par conséquent, les résultats ne suivent pas non plus sur le plan économique : le département de l'Orne, qui espérait une rentrée d'argent de 10.500 € chaque année, issue de la vente d'électricité produite par la route solaire, doit se contenter de quelques milliers d'euros.

 

Du côté de Wattway, l'ambiance est plutôt à la déception : "Notre système n'est pas mature sur le trafic interurbain et la logique de production d'énergie n'est, en effet, pas pertinente", admet Etienne Gaudin, directeur associé de Wattway, auprès de nos confrères. "On n'est pas encore compétitif", et d'admettre que "le modèle de la route de Tourouvre n'est finalement pas celui que l'on va commercialiser. Nous privilégions désormais de petits modules de 3, 6 ou 9 m² destinés à fournir assez d'électricité pour une caméra de vidéosurveillance, l'éclairage d'un abribus ou une borne de recharge pour vélo électrique." Tant et si bien que l'avenir de Wattway est totalement incertain, 6 mois avant l'expiration du contrat de garantie liant le Conseil général de l'Orne à la filiale de Colas. Le département souhaiterait toutefois continuer à bénéficier de la notoriété induite par la route solaire, et a voté dans cette logique une subvention de 100.000 € fin juin dernier dans l'optique d'accueillir un autre projet de Wattway sur son territoire, parmi ceux que l'entreprise ambitionne de commercialiser d'ici la fin de l'année.

 

Dans un tweet, l'ancienne ministre Ségolène Royal a réagi à l'article du Monde, en indiquant que, "comme pour toutes les inventions il faut un prototype qui est fait pour tester et pour trouver des améliorations".

 

 

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