AMÉNAGEMENT. La renaturation n'est pas une simple désimperméabilisation. Dans le cadre imprécis - et mouvant - de l'affirmation de plus en plus forte d'un objectif de "Zéro artificialisation nette", l'Institut Paris Région a réuni plusieurs experts pour cerner le concept.

Le Zéro artificialisation nette (Zan), ce concept apparu en 2018 dans le Plan biodiversité, et affiché comme élément central de la politique d'aménagement du territoire désormais, pose de nombreuses questions. C'est pour tenter d'y répondre que l'Institut Paris Région (ancien IAU Ile-de-France) a organisé un cycle de conférences sur le sujet. Confinement oblige, c'est chacun chez soi que s'est tenue la séance consacrée à la renaturation, qui se veut le pendant de l'artificialisation brute dans le calcul de l'artificialisation nette. Là où l'artificialisation brute est définie comme le passage d'un espace naturel, agricole ou forestier à toute autre catégorie, la renaturation est "la reconquête par la nature des milieux dégradés, délaissés ou détruits par les activités humaines". Elle peut être atteinte par une large gamme d'actions, explique Marc Barra, écologue à l'Agence régionale de la biodiversité d'Ile-de-France, allant du réensauvagement, qui consiste à conserver le site en l'état "en laissant la nature faire son travail", et qui est quasi gratuit, au génie civil, très coûteux (en redessinant les berges d'un cours d'eau, par exemple). France Stratégie chiffre le coût de la renaturation entre 100 et 400 euros du mètre carré.

 

En Ile-de-France, le potentiel de renaturation estimé est important. Les délaissés routiers, d'abord, représenteraient 6.650 hectares recyclables en espaces naturels. Les berges franciliennes apparaissent également prometteuses, avec 460 km de bords de cours d'eau renaturables. En revanche, les carrières, qui pèsent pour 6.000 ha, doivent être renaturées dans le cadre de la loi, ce qui ne les rend pas mobilisables dans le cadre du Zan. A tout cela, le chercheur ajoute les zones d'activité et les équipements sportifs, qui représentent 30.000 ha imperméabilisés "qui pourraient, et devraient, être considérés comme du potentiel de renaturation, même s'il la question est pour l'instant taboue".

 

Cadre légal imparfait

 

Quid des friches déjà existantes ? Depuis 2012, peu de friches ont été renaturées dans la région. La raison ? "La moitié des friches a disparu en 40 ans". "C'est dommage, car elles sont en moyenne plus riches en biodiversité que les parcs et jardins. Mais il faut bien sûr distinguer friches imperméabilisées et/ou polluées, à travailler, et friches naturelles, à préserver", explique Marc Barra. Dans les friches comme pour toutes les autres catégories de sols, on peut trouver, de fait, les sols les plus riches comme les plus inertes. Ainsi, "un parking avec les bons arbres, avec le bon espace pour se développer, avec des racines qui couvrent toute la surface en sous-sol, peut être plus riche qu'une pelouse d'un parc urbain", estime l'écologue. "Le cadre légal de définition des surfaces artificialisées est imparfait, car il ne prend pas en compte la qualité biologique des sols. Or nous avons les moyens de mettre en place un indice de qualité écologique des sols".

 

 

"C'est effectivement à l'intérieur des catégories légales de sols qu'on trouve tout le spectre de la qualité des terres", renchérit Xavier Marié, du bureau d'études d'ingénierie Sol Paysage. Il constate, par exemple, "la même absence totale de dynamique dans le sol parisien que dans les champs de la Brie". Or le sol doit être vivant. L'ingénieur en appelle également à l'émergence d'"un bioindicateur un peu solide". Son agence a cartographié, dans la région parisienne, les sites dits à besoin, où des projets urbains vont nécessiter un apport de terre saine, situés principalement dans le cœur de la métropole, et les sites dits ressources, porteurs de sols de qualité. Parmi ces derniers, il cite le plateau de Saclay, territoire de projets urbains contenant "parmi les meilleurs limons de France", et Marne-la-Vallée, autre territoire important d'extension urbaine.

 

Mettre le sol en "conformité d'usage"

 

Transporter des tonnes de terre d'un site à un autre, même à l'intérieur de la région, est-il la bonne méthode ? Selon Xavier Marié, il faut trouver des solutions pragmatiques, projet par projet. "Selon les endroits, la solution peut être de laisser le sol se renaturer seul qui est la bonne solution. Mais parfois, et en particulier dans les zones urbaines denses, mettre le sol en conformité d'usage c'est recouvrir les terres polluées de terres dites saines. Ce n'est pas dans les sols des Groues [à Nanterre, où un projet urbain voit le jour sur d'anciennes emprises d'industries lourdes], pollués et dégradés, qu'on aura les qualités de disponibilité en eau pour les plantes permettant les îlots de fraîcheur. Il faut donc apporter de la terre. A Strasbourg, dans le cadre du projet urbain des Deux-Rives, en bord du Rhin, on s'est aperçus que si sur les 75 hectares de la Zac les terres étaient polluées, les limons en profondeur étaient de très bonne qualité. Nous avons donc inversé l'ordre de la terre, en mettant la bonne terre sur la terre polluée".

 

Si la désimperméabilisation des sols ne rentre pas forcément dans la définition de la renaturation - puisque, par exemple, un parc urbain reste un sol artificialisé -, "c'est un enjeu majeur de préservation de l'environnement", rappelle Sebastien Derieux, de l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Son principal atout, selon lui : permettre l'infiltration des eaux de pluie, et d'éviter qu'elles ne soient mêlées aux eaux usées, et qu'en cas de grosses précipitations, le tout ne soit déversé dans les milieux naturels, ce qui est, en pratique, toujours le cas. L'infiltration, "solution fondée sur la nature", qui présente l'avantage de coûter beaucoup moins cher que le traitement des eaux de pluies, fait l'objet d'une aide de l'Agence de l'eau. Avis aux aménageurs.

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