BAILLEURS SOCIAUX. Alors que la financiarisation du logement social a été érigée comme un épouvantail tout au long de ce 80e Congrès HLM, la restructuration du secteur suscite également une inquiétude grandissante pour les organismes HLM.

On le dit apaisé au cours de ce congrès anniversaire, mais le monde HLM est encore loin de dormir sur ses deux oreilles. Après deux années de soubresauts, où le secteur a été soumis à d'importants prélèvements, et malgré la signature d'une clause de revoyure en avril, la confiance des bailleurs sociaux envers l'État "a été abîmée", comme l'a admis le président de l'Union sociale pour l'habitat Jean-Louis Dumont dans son discours inaugural.

 

Un climat de méfiance entretenu cette année par l'attente d'un rapport sur l'ouverture des capitaux des bailleurs à de nouveaux financements, que le monde HLM enrobe sous la menace de la "financiarisation" du secteur. Peu évoqué jusqu'ici, le regroupement des "petits" bailleurs comme l'impose la loi Elan, interroge de plus en plus le secteur quant à son coût, son impact sur la gestion financière et sur la proximité avec les locataires.

 

Pour Jean-Louis Dumont, c'est le calendrier même de mise en œuvre qui doit être remis en cause. Les bailleurs sociaux disposant d'un parc inférieur à 12.000 logements ont jusqu'au 1er janvier 2021 pour opérer leur regroupement avec d'autres structures. Mais "la tâche est loin d'être évidente. Il ne s'agit pas d'une simple addition de moyens", relevait mardi le président de l'USH. Plus qu'"un simple ajustement technique", le regroupement des bailleurs interroge les stratégies propres à des territoires, quand les fusions menacent la représentativité des locataires.

 

250 mouvements de rapprochements, à rythme inégal

 

Le ministre du Logement Julien Denormandie, lui, a plutôt décidé de voir le verre à moitié plein, pointant l'avancée des regroupements, "entamés par 8 bailleurs sur 10". Lors d'une conférence consacrée au sujet, Olivier Sichel, directeur de la Banque des territoires a précisé cet état d'avancement : "Il y a environ 250 mouvements de rapprochements, mais c'est très hétérogène. 45 sont très aboutis, 45 organismes n'ont pas encore trouvé de solution. A un moment, des fiançailles ont été rompues, et d'autres alliances se composent."

 

Car pour évoquer la problématique du regroupement, les acteurs concernés utilisent souvent le vernis du "mariage". Dans un mouvement de noces forcées par la loi Elan, les bailleurs sociaux se cherchent des affinités, sans l'assurance que leur mariage soit réussi. Il y a aussi ceux qui n'étaient aucunement contraints par la loi, et qui se sont unis dans des structures de coopération.

 

"Il faut se séduire, se choisir et ne pas se forcer", ironise Frédéric Richard, directeur général de l'Office métropolitain de l'habitat du Grand Nancy, qui a opéré le regroupement de 5 organismes, espérant obtenir un agrément en février 2020. Cas concret de l'imperfection de cette alliance, la structure HLM d'Épinal "a souhaité faire une pause, et rediscuter avec son office départemental, dont acte. Il faut aussi respecter ce choix et réaffirmer notre volonté de respecter notre timing", développe Frédéric Richard, même si l'organisme naissant leur laisse une porte ouverte.

 

Pour justifier l'obligation de regroupement, le président de la République Emmanuel Macron avait mis en avant l'émiettement des organismes, dont la mutualisation serait vertueuse sur le plan financier. Dubitative, Valérie Debord, vice-présidente du Grand Nancy en charge de l'habitat estime que "l'avenir nous le dira".

 

Pour l'heure, le regroupement a déjà un coût, notamment celui de l'étude d'impact "qui se chiffre à plusieurs dizaines de milliers d'euros", estime Frédéric Richard. La Banque des territoires et la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) ont déjà des lignes de budget pour couvrir ces dépenses. "Il est certain que ces regroupements auront d'abord un coût avant de permettre des économies d'échelle", observe le sénateur (LR) Philippe Dallier, auteur d'un récent rapport sur le financement du logement social.

 

"Les effets du grand chambardement se font déjà sentir"

 

Une chose est certaine, l'addition des moyens n'est pas synonyme d'une santé plus chancelante pour les organismes en difficulté : "s'il y a bien une chose que la loi ne réglera jamais, c'est que ce n'est pas en regroupant des organismes moribonds qu'on solutionnera leurs problèmes", statue Frédéric Richard.

 

En marge du Congrès HLM, la Fédération CGT des services publics juge que "les effets du grand chambardement se font déjà sentir" dans les Offices publics, les Entreprises sociales pour l'habitat et les coopératives HLM. "Nos employeurs sont déjà obnubilés par ce qu'ils nomment pudiquement 'la maîtrise des coûts de gestion'", lit-on dans un tract, où le syndicat associe à la restructuration du secteur "la dégradation sensible des conditions de travail, le non-remplacement des départs". Et la CGT de craindre que les personnels soient pris en étau entre "logique de réduction des coûts" et colère grandissante des locataires, faute de "structures de proximité".

 

C'est peut-être là la menace la plus patente dans la restructuration du secteur, celle de la représentativité locative dans les conseils d'administration des organismes. Les représentants élus auront toujours leur place dans le cas de sociétés anonymes de coordination (SAC) créées après un regroupement, même si leur présence avait été négociée au rabais.

 

A contrario des fusions, contre lesquelles la Confédération nationale du logement dit "rentrer en résistance". "Fusionner, c'est la perte de proximité, nous avons déjà perdu 50 représentants de locataires depuis le 1er janvier", fustige Eddie Jacquemart, président de l'association de locataires majoritaire qui a remporté 606 sièges dans les conseils d'administration aux dernières élections. Ironie du sort, certains représentants élus en novembre 2018 n'auront siégé qu'une ou deux fois avant que l'organisme dans lequel ils siégeaient ne fusionne au 1er janvier 2019.

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