INFO BATIACTU. Les pouvoirs publics tirent déjà des conclusions de l'expérimentation E+C-. Emmanuel Acchiardi, sous-directeur de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), nous détaille les modifications qui devraient être prises en compte dans la Réglementation environnementale 2020.

Batiactu : Le secrétaire d'État Julien Denormandie a annoncé, le 8 mars dernier lors d'EnerJmeeting, que les critères « énergie » et « carbone » du label E+C- allaient être «décroisés». Pourriez-vous nous apporter davantage de précisions à ce sujet ?

 

Emmanuel Acchiardi : Le secrétaire d'État Julien Denormandie a indiqué qu'il fallait concevoir une future réglementation qui conforte les orientations actuelles mais préserve les possibilités d'innovation en faveur de bâtiments à énergie positive et très bas carbone. Le cadre qui préside au Plan climat présenté par le Gouvernement en juillet dernier est l'objectif de neutralité carbone en 2050 et le bâtiment doit y prendre sa part d'effort. C'est l'esprit bien sûr du plan de rénovation énergétique des bâtiments mais la construction neuve doit aussi apporter sa pierre à coût maîtrisé.

 

Concrètement, tout en préservant les dispositions actuelles d'E+C- qui restent expérimentées, seront testées en parallèle des mesures permettant de préserver une dimension énergie et carbone avec : un socle unique à remplir combinant les deux vecteurs, et en plus une ambition à atteindre que les acteurs pourront satisfaire soit par le vecteur énergie, soit par le vecteur carbone, soit par une combinaison des deux. Ainsi, dès lors qu'ils respecteront le socle minimal «énergie» et «carbone», les maîtres d'ouvrage pourront développer des solutions très bas carbone ou à forte énergie positive, voire des solutions hybrides pour pousser l'innovation et le savoir-faire.

 

La modernité d'une réglementation, c'est de fixer un objectif et laisser les acteurs libres dans les moyens pour l'atteindre. Les travaux techniques ont d'ores et déjà commencé en ce sens avec la filière sous l'égide du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE - lire notre interview de Thierry Repentin à ce sujet, NDLR).

 

Batiactu : Avec le risque de voir une solution privilégiée par rapport à d'autres…

 

Emmanuel Acchiardi : L'objectif n'est pas d'opposer énergie et carbone. Je rappelle que le Gouvernement s'est engagé, via le Plan climat, sur la neutralité carbone en 2050 : nous devons donc collectivement nous mobiliser en ce sens. L'objectif est donc de fixer un socle minimal exigeant «énergie » et «carbone», puis de fixer un objectif qui doit pouvoir être atteint par le levier «énergie» ou le levier «carbone» : c'est cohérent avec l'esprit de la loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc) qui demande de fixer des résultats et laisser les maîtres d'ouvrage libres des moyens de les atteindre. Les travaux techniques permettront d'éviter toute distorsion de cette nature.

 

 

Batiactu : Quels retours des acteurs vous ont fait opter pour cette solution ?

 

Emmanuel Acchiardi : Le critère carbone 1 (C1) est assez accessible, semble-t-il. Le C2, nettement moins selon le mode constructif. Ainsi, de nombreux acteurs nous ont demandé de créer un niveau intermédiaire, entre C1 et C2, pour valoriser leurs efforts, qui sont réels, sans pour autant leur permettre d'atteindre le C2. Quelques acteurs, nous ont par ailleurs suggéré de fixer un seuil de carbone encore plus exigeant, un «C3». En ce qui concerne l'énergie, il se trouve que les premiers retour d'acteurs sont assez disparates : E1 et E2 sont plutôt accessibles, car proches de la RT 2012 en vigueur, mais E2 génère déjà des surcoûts ; et E3 et E4 sont clairement plus exigeants. D'où l'idée de recaler ces niveaux qui ne semblent pas assez bien équilibrés et progressifs. Par ailleurs, beaucoup nous ont fait remarquer que lorsque vous êtes déjà très bon sur l'un des deux critères, il est d'autant plus difficile d'être bon sur l'autre. Clairement, il existe une multitude de combinaisons possibles entre «énergie» et «carbone», et la logique consistant à fixer un niveau sera tôt ou tard dépassé par l'innovation. Ainsi, en proposant une exigence minimale sur l'énergie et le carbone, tout en laissant la liberté aux acteurs d'aller plus loin de la manière dont ils le souhaitent, nous maintenons l'ambition de la réglementation, tout en tenant compte de contraintes dont nous n'avions pas connaissance en 2016. Cette évolution tire donc les enseignements des premiers retours d'expérience.

 

Batiactu : Quel est le calendrier de la future réglementation ?

 

Emmanuel Acchiardi : Initialement, la loi prévoyait que le volet carbone entre en vigueur dès 2018, et que les bâtiments devaient être Bépos en 2020. Ce calendrier paraît difficilement tenable aux différents acteurs, mais il faut maintenir l'ambition de la dynamique collective. Il est nécessaire de bien expérimenter pour apprécier les surcoûts induits par cette future réglementation : l'objectif est certes de produire des bâtiments performants mais aussi des logements à prix abordables. Cet équilibre entre performance et coût induit doit encore être travaillé. 2018 est clairement hors de portée aujourd'hui mais 2020 reste un objectif qui demandera d'accélérer car nous souhaitons aussi préparer les textes réglementaires avec les professionnels, donc leur mobilisation est plus que nécessaire.

 

Batiactu : Pourriez-vous nous faire un bilan de l'expérimentation E+C- à avril 2018 ?

 

Emmanuel Acchiardi : Aujourd'hui, 123 bâtiments sont engagés dans l'expérimentation. C'est à la fois beaucoup et trop peu. Cela ne constitue pas un échantillon statistique (qui est plutôt autour de 1.000), mais cela représente tout de même 700 logements. Sur ces 123 constructions, 45 sont déjà labellisées. Soixante-quatorze sont des maisons individuelles, 39 de l'habitat collectif (23 en logement social, le reste en promotion privée). Le niveau moyen de performance est situé à E2-C1, qui ne sont pas les niveaux les plus ambitieux mais dont on doit apprécier les surcoûts induits. Pour le moment, le secteur tertiaire n'est pas trop représenté, mais comme c'est un segment traditionnellement plutôt en avance sur les autres, nous ne sommes pas inquiets. Enfin, sur les 123 bâtiments, tous les types de matériaux sont représentés. D'après nos estimations, 800 bâtiments devraient être comptabilisés dans l'observatoire. Comme vous le voyez, la dynamique est puissante.

 

Batiactu : Quel est le retour des acteurs sur les évolutions des critères énergie et carbone ?

 

Emmanuel Acchiardi : Nous leur avons présenté notre projet dans le cadre du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE). Les retours ont été plutôt positifs. Cela a entraîné beaucoup de débats, ce qui est tout à fait normal pour un
sujet de cette importance. Le socle commun énergie-carbone obligatoire ainsi que la préparation de la future réglementation seront définis en partenariat avec le comité de pilotage d'E+C-, qui compte plusieurs membres du CSCEE. Nous avons également abordé d'autres sujets. Tout d'abord, dans le critère énergie, nous tiendrons davantage compte des équipements d'intelligence dans le bâtiment qui peuvent apporter des économies d'énergie : gestion active des équipements de chauffage, par exemple, détection automatique des fenêtres ouvertes ou de présence…

 

Batiactu : J'imagine que vous prendrez soin de séparer le bon grain de l'ivraie dans ce cadre, puisque toutes les solutions proposées n'ont pas le même niveau de performance…

 

Emmanuel Acchiardi : Tout à fait. Nous avons d'ailleurs lancé un travail de fonds pour identifier quelles sont les technologies les plus performantes, les coûts induits et quel est le niveau réel de performance de ces équipements entre ce qui est affiché commercialement et la réalité. Des simulations ont cours au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Cela influera sur le calcul du critère énergie.

 

Batiactu : Vous souhaitez également retoucher la durée de vie des bâtiments, aujourd'hui fixée à 50 ans…

 

Emmanuel Acchiardi : Ce projet vient également d'une demande des professionnels issus de différentes filières de matériaux. Actuellement, le calcul se fait sur une durée de vie de cinquante ans pour un bâtiment. Cela revient à faire l'hypothèse qu'il sera déconstruit dans cinquante ans, avec l'impact carbone déclenché à ce moment-là. Mais ce délai ne correspond visiblement pas à la réalité de ce qui est observé par les professionnels. Nous allons donc revoir la copie à ce sujet, en nous disant qu'à l'horizon 50 ans, une partie des bâtiments seront certes détruits, mais beaucoup d'autres seront rénovés plus ou moins lourdement. Ainsi, nous allons faire tenir un peu plus longtemps le gros œuvre (la structure) des bâtiments dans le calcul. Ce qui modifiera significativement les calculs de l'ACV. Nous souhaitons aussi, ce faisant, favoriser la réflexion pour le réemploi des matériaux. En effet, intégrer à la réglementation l'idée qu'un bâtiment durerait seulement cinquante ans aurait pu avoir des effets pervers sur la qualité des constructions neuves. Or, il faut que nous réfléchissions dès aujourd'hui à la gestion de la fin de vie des
bâtiments. Chaque paramètre que l'on définit aura des conséquences importantes sur les décennies à venir.

 

Batiactu : En matière d'ACV, corrigez-vous les soucis rencontrés par les acteurs sur la base Iniès où sont répertoriées les FDES ?

 

Emmanuel Acchiardi : Nous travaillons en effet avec les industriels pour développer ensemble des configurateurs de fiches environnementales, ou FDES. Plutôt que de valider des FDES une par une, nous validerons un logiciel qui générera autant de fiches qu'on le souhaite, en fonction de nombreux paramètres. Ainsi, les filières n'enverront plus des FDES, mais un configurateur validé. De quoi répondre aux attentes des acteurs, d'avoir un calcul d'ACV plus conforme et non plus des valeurs par défaut, pénalisantes.

 

Batiactu : L'observatoire des bâtiments E+C- a-t-il permis de faire ressortir un surcoût lié aux nouvelles règles du jeu, et si oui de quelle ampleur est-il ?

 

Emmanuel Acchiardi : Nous n'avons pas encore fait une extraction des données, mais d'après les premiers retours dont nous disposons, si surcoût il y a, il n'est pas très significatif - en tout cas pour les niveaux les plus faciles à atteindre en énergie et en carbone. Par ailleurs, l'échantillon est, comme nous l'avons vu, encore incomplet, avec une surreprésentation des maisons individuelles. Je rappelle, quoi qu'il en soit, que les renseignements économiques que nous demandons aux maîtres d'ouvrage sont essentiels et que le bon calibrage de la future réglementation dépendra donc de cela. Cela doit être assez précis pour en tirer des enseignements, sans pour autant contraindre les acteurs à nous livrer trop d'informations. Aujourd'hui, avec E+C-, nous sommes dans une situation où les acteurs alimentent concrètement la préparation de la future réglementation. C'est là toute l'originalité de notre démarche qui va intégrer les objectifs annoncées à EnerJmeeting le 8 mars dernier.

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