Bonnes feuilles. Avec l'ouvrage Le style années 50, l'intégrale, paru aux éditions Parenthèses, Dominic Bradbury nous offre une somme indispensable pour tous ceux qui s'intéressent à cette période qui compte comme l'une des plus marquantes et créatives de l'histoire du design et de l'architecture. Retour sur la richesse et sur les grandes lignes de ce qu'on appelle "le style années 50."

Sonnette. Des talons résonnent sur la pierre puis un gargouillement se fait entendre : la fontaine poisson se met en route, signe que madame Arpel a de la visite. Cette scène mémorable du film "Mon Oncle" de Jacques Tati, tournée en 1956, reste ancrée dans les esprits comme la critique contemporaine du style d'une époque, où la ménagère découvrait la modernité domestique. À travers ses films, notre monsieur Hulot national raconte une époque et s'en moque. Mais il reste que cette caricaturale villa Arpel, par ses volumes, ses formes et avec tout son "confort moderne", reste emblématique de cette époque, où la création, qu'elle soit architecturale ou dans le design, connaît une période faste et essentielle de son histoire.

 

Dans les années 50, naît un style, qui marquera non seulement son époque mais aussi tout ce qui va suivre. Dans son ouvrage, Le style années 50, l'intégrale, paru aux éditions Parenthèses, Dominic Bradbury nous offre ainsi un tour d'horizon, très complet et documenté - près de 1000 photographies et 544 pages ! - de cette période qui compte comme l'une des plus marquantes et créatives de l'histoire du design et de l'architecture. Un style ayant cours non seulement pendant les années 50, mais aussi pendant les sixties et qui, encore aujourd'hui, fascine, inspire les créateurs et les grandes enseignes de décoration et reste recherché par des collectionneurs et les adeptes du design, éclairés ou non.
Fête au bord de la piscine de la Maison du désert de la famille Kaufmann en 1970
(Palm Springs, Californie, conception Richard Neutra). Photo extraite de l'ouvrage Le style années 50, l'intégrale, éditions Parenthèse, 2020. © Photo Slim Aarons/Hulton Archive/Getty Images

 

"Pour les designers et les architectes, ce fut une période extraordinaire, tant la soif de créativité, de renouvellement et d'originalité était forte et pressante" explique Dominic Bradbury. Rêve, optimisme et espérance de l'après-guerre aidant, les chantiers de reconstruction se multiplient, l'économie repart, les chaînes de production se modernisent, de nouveaux matériaux émergent... Les architectes et les designers s'en donnent à cœur joie et leurs propositions conquièrent les foules. Voici venue l'heure de la consommation que la publicité met en vedette. À la lecture de l'ouvrage, nous voici ainsi plonger dans la réalité des créations et des ambiances de l'époque, tels que nous les montraient les auteurs de la série à succès Mad Men.

 

Design : la révolution

 

Le monde du design vit ainsi sa révolution, une explosion qui "ne toucha pas seulement l'architecture, la décoration intérieure, les textiles et les équipements domestiques, mais aussi des produits phares tels que les réfrigérateurs et les automobiles" explique l'auteur. La période voit aussi l'émergence du design graphique, du marketing, de la culture de l'image et de l'identité, où le logo des entreprises devient un ouvrage travaillé, indispensable.

"L'idée même de modernité se transforma au milieu du XXe siècle. C'est ainsi que le design des années cinquante et soixante fut largement soumis à la notion d'actualité et aux visions futuristes. Il est vrai que le modernisme s'était déjà imposé dans les années vingt et trente lorsque des pionniers tels que Le Corbusier, Auguste Perret, Rudolph Schindler, Frank Lloyd Wright et d'autres avaient posé les premières pierres du Mouvement moderne."

 

Maison du designer Russel Wright, Dragon Rock, État de New York, 1961.
Vaisselle en céramique de style moderniste. Photo extraite de l'ouvrage Le style années 50, l'intégrale, éditions Parenthèse, 2020. © ph. Richard Powers.

 

L'époque est marquée par différentes avancées technologiques et fut ainsi celle de plusieurs ères, nous explique Dominic Bradbury : "ère atomique, ère spatiale, ère du moteur à réaction, ère de l'informatique." "Les technologies et les méthodes de fabrication évoluant rapidement, les designers devaient se montrer à la fois réactifs, pour s'adapter le plus vite possible, et inventifs, pour créer de nouvelles générations de produits" raconte-t-il, donnant les exemples du contreplaqué pour Ray & Charles Eames, comme pour Arne Jacobsen ; ou encore du plastique pour Verner Panton, Olivier Mourgue et Pierre Paulin. Comment ne pas citer également Dieter Rams, qui avec le design des produits Braun, fut l'un des premiers designers produits de l'électronique, élevant ainsi le design industriel comme discipline à part entière. "Fonctionnels et rationnels", sans oublier "élégants", ces produits sont aujourd'hui encore des modèles du genre que beaucoup cherchent à imiter.

"Ce qui qualifie avant tout l'esprit de ce design, c'est son caractère pionnier et novateur. C'est à cette époque qu'émergea notre mode de vie actuel - et les objets que nous utilisons - avec les meubles modulaires, les objets en plastique ou la miniaturisation de nos appareils électroniques. Il est difficile d'imaginer les iPod d'Apple ou d'autres produits sans le travail expérimental des designers de Braun ou Sony. Il est tout aussi impossible d'envisager l'architecture contemporaine sans les leçons de Mies van der Rohe et de ses contemporains. Le monde d'aujourd'hui est né hier, dans les années cinquante et soixante."

 

Une architecture ouverte, "radicalement remodelée et réinventée"

 

Côté architecture, la maison "fut radicalement remodelée et réinventée" : "Un grand nombre des caractères de l'habitat contemporain, tels que les espaces ouverts, les cuisines intégrées, les relations intérieur/extérieur, etc., virent le jour ou furent affinées au cours de cette période" rappelle l'auteur, soulignant que "L'association d'une ingénierie de pointe et d'innovations techniques dans l'utilisation du verre, de l'acier et du béton ouvre de nouvelles possibilités aux architectes et aux designers, tandis que la préfabrication sert à accélérer et rationaliser le processus de construction." Les grands noms de la période ne manquent pas : Walter Gropius, Marcel Breuer, Ludwig Mies van der Rohe développent leur architecture aux Etats-Unis, mais aussi Oscar Niemeyer au Brésil, Luis Barragán au Mexique, ou encore Jean Prouvé en France, pour ne citer qu'eux.

 

Comme monsieur et madame Arper, les habitants de ces maisons aux lignes claires et aux plans de circulation fluide, aiment à montrer leurs espaces communs de détente et de repas, leurs cuisines à l'électroménager dernier cri et faisant la part belle aux matériaux innovants que sont alors le stratifié et le formica.
La salle à manger d\'une maison conçue par Richard Dorman à Mulholland Drive, Los Angeles, 1958.
Photo extraite de l'ouvrage Le style années 50, l'intégrale, éditions Parenthèse, 2020. © ph. Richard Powers.

 

Un livre indispensable

 

Plusieurs entrées sont possibles pour le lecteur de "Le style années 50, l'intégrale" : se plonger dans la vaste introduction pour tout comprendre ; prendre au hasard la fiche d'un designer ou d'un architecte et découvrir son apport à cette période ; retrouver des références grâce à l'index des créateurs et fabricants recensés en fin d'ouvrage ; s'intéresser à découvrir une thématique après l'autre, la céramique ou le textile, le graphisme ou l'architecture intérieure... L'ouvrage permet tout cela et encore plus : Dominic Bradbury, journaliste et conférencier, auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur l'architecture, l'immobilier et le design, s'est ici entouré également d'auteurs et de spécialistes de renoms. Les contributions d'Alberto Rossi, Michael Boyd, Sophie Churcher, Matt Gibberd, Alun Graves, Judith Gura, Steven Heller, Klaus Klemp, Joy McCall, Sue Prichard, Jana Scholze, et Richard Wright apportent autant à l'antiquaire qu'au collectionneur, mais aussi au simple amateur.
Maison et atelier Charles Gwathmey.
Une maison en bois, synthèse d'abstraction, de pureté et de fonctionnalité, États-Unis, 1965-1966. Photo extraite de l'ouvrage Le style années 50, l'intégrale, éditions Parenthèse, 2020. © ph. Richard Powers.

L'on apprend ainsi comment collectionner du mobilier des années 50, quel est le marché immobilier des maisons d'architectes de cette époque... Nous nous interrogerons également à la suite de Michael Boyd, sur la restauration du modernisme, "entre purisme et pragmatisme", alors qu'il nous raconte la recherche d'un équilibre entre l'art et la vie. Il nous rappelle que le lieu a été pensé par l'architecte, "son intention fondamentale étant de concevoir un espace de vie offrant santé, bonheur et aisance" et qu'il faut se rappeler ce mot de Le Corbusier, lorsqu'on lui fit remarquer l'état des terrasses de ses immeubles de Chandigarh, encombrées de toutes sortes d'objets : "La vie a toujours raison."

 

"Le style années 50, l'intégrale", une somme indispensable, à offrir ou s'offrir pour tout amateur, éclairé ou non, de l'architecture et du design.

 

"Le style années 50, l'intégrale", de Dominic Bradbury, éditions Parenthèse, en librairie depuis le 8 octobre 2020.
21*27 cm, 544 pages, 1000 photographies, prix éditeur 49€.
La maison Spence, Royaume-Uni, 1961
Photo extraite de l'ouvrage Le style années 50, l'intégrale, éditions Parenthèse, 2020. © ph. Richard Powers

actionclactionfp