L'ambiance houleuse des copropriétés se transporte dans les tribunaux : après une longue enquête, la justice aura à juger, à partir de mardi, de 12 affaires de pots-de-vins versés à des syndics par des entreprises, au préjudice de milliers de propriétaires en région parisienne.

Si l'on en croit les connaisseurs du dossier, au début des années 1990, la pratique était très répandue: pour s'attirer les grâces des gestionnaires d'immeubles, entreprises petites et grandes, de dératisation ou de ravalement, versaient, des "commissions" de 5 à 10% aux syndics.
Elles s'assuraient du coup le marché. Quant au syndic, il arrondissait ses fins de mois.

Le hic, souligne-t-on de source proche du dossier, c'est que le jeu de la concurrence était ainsi largement faussé et que certaines entreprises n'hésitaient pas, en contrepartie, à rentrer dans leurs frais en alourdissant la facture des travaux de... 9 à 20%.

"Certaines entreprises proposaient ces commissions tandis que d'autres - surtout des petits artisans en situation de dépendance - n'avaient pas le choix", explique une source proche du dossier.

Quant au mode opératoire, il était plus ou moins professionnel: certains syndics touchaient des espèces ou des avantages en nature, comme des voyages, et d'autres allaient jusqu'à créer des sociétés écran, voire des associations, auxquelles les fonds étaient reversés, selon cette source.

Le manège aurait pu continuer longtemps sans l'intervention du cadre licencié d'une entreprise complice, Technique Plastique, basée à Brunoy (Essonne), qui a décidé, en juillet 1994, de tout déballer à des enquêteurs de la cellule de recherches de la gendarmerie.

Documents à l'appui, il a raconté les méthodes de son entreprise qui avait même établi, sur papier à en-tête, une grille de commissions à verser aux syndics. Pourtant, une loi du 2 janvier 1970 régissant l'ensemble de la profession, la loi Hoguet, interdit aux syndics ce type de rémunération.

Les enquêteurs ont alors décidé d'aller éplucher les comptes des administrateurs de biens cités dans la grille établie par Technique Plastique... non sans découvrir que la pratique était partagée par quelque 800 entreprises prestataires en région parisienne.

A partir de mardi et jusqu'en décembre, ce dossier tentaculaire, qui avait dû être réparti entre cinq juges d'instruction - de Nanterre, Bobigny et Paris -, fera l'objet de 12 premiers jugements à Paris.Au total, une centaine de chefs d'entreprise et 22 syndics sont renvoyés devant le tribunal.

Mardi, Guy B., administrateur de biens, mis en examen pour "abus de confiance", devra ainsi expliquer devant la 13ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, pourquoi il a touché entre 1993 et 1994 une somme totale évaluée à 98.428 francs au préjudice de la copropriété Le Plateau à Ris Orangis (Essonne), de la SECMA, entreprise de maintenance énergétique.

Paradoxalement, il n'est pas un intervenant qui ne se dise victime: "Cette affaire va conduire à la destruction de l'image d'une profession", déplore Me Denis Delcourt-Poudenx, avocat de la chambre FNAIM (Fédération nationale des agents immobiliers) d'Ile-de-France, partie civile dans les douze procès.

"40 à 50 ans d'efforts pour moraliser une profession incontournable vont être mis à mal par quelques personnes", ajoute-t-il, précisant que cette pratique a surtout faussé la concurrence entre syndics poussés par des copropriétaires qui "trouvent toujours que c'est trop cher".
Certains copropriétaires, pingres "au point de discuter du prix d'une ampoule", ne sont pas blancs, note une source proche du dossier: certains sont à blâmer "par manque de vigilance sur les factures", alors que d'autres se sont rendus complices en fermant les yeux et en touchant eux-mêmes des ristournes.

Dans cette affaire, "tout le monde tord le cou à tout le monde", renchérit l'avocat d'un entrepreneur poursuivi.

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