A quelques jours de la fermeture de la Philharmonie pour travaux, Jean Nouvel contre-attaque. Il reçoit le soutien de Brigitte Métra, architecte à l'agence Métra & Associés, associée à la création et à l'exécution de la salle de concert, qui regrette elle aussi que "les coûts initiaux aient été sous-évalués". Détails.

Après avoir attaqué en justice ses commanditaires pour n'avoir pas honoré, pendant la construction, les 26 points du dessin initial, le concepteur de la Philharmonie de Paris, Jean Nouvel, a choisi le 18 juin pour réaffirmer sa colère à l'encontre du maître d'ouvrage, La Philharmonie de Paris. Refusant d'assister à l'inauguration de la salle de concert, le 14 janvier dernier, Jean Nouvel avait saisi par la suite le Tribunal de grande instance (TGI) afin d'obtenir la réalisation de travaux corrigeant les 26 points de non-conformité à son projet. Déboutés de leur demande par le tribunal de Paris, le 15 avril 2015, ne pouvant "appréhender l'œuvre telle que revendiquée dans son état définitif", les Ateliers Jean Nouvel se sont pourvus depuis en appel. D'ailleurs, leurs avocats munis d'un dossier désormais "complet" contre-attaquent.

Tordre le cou aux idées reçues

De son coté, l'architecte s'est donc dit, ce jeudi 18 juin, "traumatisé, muselé par un contrat qui [l]'a empêché de dire quoi que ce soit" et voulant "en finir avec les idées reçues". Et d'affirmer dans un communiqué : "Dans quelques jours, la Philharmonie de Paris va fermer ses portes pour deux mois de travaux (Ndlr : entrepris par Bouygues Construction) dont je ne sais rien. Quels seront-ils ? Qu'en sera le coût ? Financés comment ? Le caractère public de ce projet mériterait une totale transparence. Or je suis confronté depuis plusieurs années déjà à la totale opacité des décisions de la maîtrise d'ouvrage sur laquelle il est nécessaire et utile de s'interroger. Qui connaît aujourd'hui le coût réel de la Philharmonie ? Tordons le cou à cette idée reçue que les surcoûts de la Philharmonie seraient de la responsabilité de l'architecte. Ils sont dus à son programme ambitieux - la volonté de créer une salle transformable, six salles de répétition, une salle de conférence, des espaces d'exposition, seize salles du pôle pédagogique, etc. Aurait-elle été construite par moi-même ou un autre architecte, le coût serait le même."

Bataille de chiffres

Financée pour l'essentiel par l'Etat et la ville de Paris, la construction de ce complexe musical et de sa salle de concert dotée de 2.400 places et à l'acoustique inédite, était estimée au moment du concours en avril 2007 à 118 millions d'euros ; 208 millions d'euros en études d'avant-projet sommaire (APS) en décembre 2007. "En parallèle le maître d'ouvrage la Philharmonie de Paris transmet à ses tutelles notamment à Bercy une estimation à 138 millions d'euros", nous signale une source proche du dossier. L'équipement aura alors coûté, officiellement, 386,5 millions d'euros en 2015.

 

De son côté, la Philharmonie avance la décomposition suivante : "130 millions d'euros de coût de construction de base (en 2007) ; 74 millions d'euros d'honoraires (dont environ 20 millions d'euros pour la maîtrise d'œuvre ; 30 millions d'euros de premier équipement ; 62 millions d'euros liés à l'inflation et au calendrier réclamés en 2009 ; 40 millions d'euros liés à des choix stratégiques (réclamés en 2009) ; 35 millions d'euros liés à des révisions de prix (réclamés en 2012) et enfin 10 millions d'euros liés à des aléas (réclamés en 2012)."

"Une fausse estimation du prix"

Aujourd'hui, la maîtrise d'œuvre, les Ateliers Jean Nouvel et l'agence Métra & Associés chargée elle de la création et de l'exécution de la salle de concert, se défendent en nous expliquant qu'"il y a eu dès le départ lors du concours une fausse estimation du prix, dont le but était de faire passer le projet à Bercy."

 

"Je regrette profondément que les coûts initiaux aient été sous-évalués et qu'on n'ait pas pu travailler en transparence sur ce projet dès le départ notamment sur un projet de marché public de grande envergure, nous confie Brigitte Métra, précisant bien qu'elle est solidaire du projet confié à Jean Nouvel. Cette salle de concert reconnue aujourd'hui à l'échelle mondiale est magique notamment pour son acoustique. Toutefois, je regrette que la finition n'a pas été prise en compte : les garde-corps dans la salle ne sont pas achevés sans oublier des bouts de balcon pas terminés."

 

Vers un observatoire des coûts ?

"C'est pourquoi, suite à cette déconvenue, je demande clairement à l'Etat de réfléchir à un observatoire des coûts, chargé d'annoncer le vrai prix du projet le jour du concours", conclut-elle.

 

La maîtrise d'ouvrage qui est la cible principale de la colère de Jean Nouvel, ne souhaite pas répondre à la polémique. "Au moment du lancement des abonnements pour la deuxième saison de la Philharmonie de Paris et 100 jours après son ouverture, les chiffres de fréquentation indiquent qu'au-delà de l'effet nouveauté, le nouvel établissement réussit son implantation dans le paysage culturel parisien, grâce à l'architecture de ses deux bâtiments, l'acoustique de ses salles de concerts et sa programmation riche et ouverte à tous, nous signale la Philharmonie de Paris. La preuve en chiffres : dès les 100 premiers jours, 452.000 personnes ont, été accueillies par la Philharmonie."De son côté, le ministère de la Culture et de la Communication n'a pas souhaité réagir. Affaire à suivre.

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