Les effroyables conditions de logement de millions de Sud-Africains, contraints par la pauvreté de vivre dans des taudis, sont l'un des défis majeurs de ce pays, près de douze ans après l'avènement de la démocratie.

Depuis la fin de l'apartheid en 1994, plus de 1,5 million de familles ont bénéficié d'une maison «en dur» subventionnée et équipée de l'électricité, de l'eau courante, de toilettes.

Paulina Zikalala n'a pas cette chance. Née en 1951 dans l'une des cabanes de tôles d'Elandsdrift, elle vit encore aujourd'hui dans ce bidonville de la périphérie nord-ouest de Johannesburg. «Nous avons besoin de beaucoup de choses ici: poubelles, toilettes, électricité. Il n'y a qu'un robinet. Pas assez d'eau pour les quelque 900 personnes qui habitent là», dénonce cette femme.

Au moins 5,6 millions des quelques 12,7 millions de foyers sud-africains vivent dans des conditions insalubres, selon des estimations gouvernementales. Sur ces 5,6 millions, environ 2,4 millions survivent dans «des logements informels», cabanes de bric et de broc qui s'entassent à la périphérie des villes et des townships où le régime d'apartheid reléguait autrefois les noirs. «En dépit d'un énorme investissement de 29,5 milliards de rands (4,9 milliards USD/4 milliards EUR) ces dix dernières années dans le logement, l'héritage de l'apartheid reste extrêmement tenace», déplorait en septembre la ministre du Logement Lindiwe Sisulu.
Le gouvernement s'est engagé à éradiquer les bidonvilles d'ici 2014. Mais le retard accumulé a été au centre de la campagne pour les élections municipales du 1er mars, après avoir été à l'origine d'émeutes récurrentes depuis plus d'un an. «Pas de terre, pas de maison, pas de vote», scandaient ainsi des habitants du gigantesque bidonville de Khayelitsha, près du Cap, en juillet.
Paulina est plus indulgente: «Le gouvernement ne va pas tout faire en un jour. Nous devons lui donner une chance». Mais sa voisine, Gevena Sahabangu, 26 ans, est désabusée: «Je suis triste parce que nous les avons enrichis et ils nous oublient. Je ne me suis pas inscrite pour les élections municipales, cela ne changera rien».
Mère d'une fillette de trois ans, Gevena prend des cours d'informatique trois fois par semaine à Johannesburg. Faute de transports publics, elle doit prendre trois taxis collectifs pour parcourir les 40 km qui la séparent du centre-ville, soit quatre heures pour l'aller-retour.
Cette jeune femme, qui rêve d'«une jolie maison avec l'eau et l'électricité», a demandé un logement social. «Nous sommes allés voir les autorités locales, mais elles ne nous ont jamais répondu» déplore-t-elle.
Elle craint d'attendre autant qu'Esther Sibeko, 93 ans, qui a passé sa vie à cuisiner pour les blancs avant d'échouer dans le bidonville de Zevenfontein.
Comme 440 autres familles, cette arrière-grand-mère vient d'aménager dans une maisonnette de 32 m2 à Cosmo City, projet de 12.300 logements, dont 5.000 entièrement subventionnés par la province du Gauteng, non loin d'Elandsdrift.
«C’t ma première maison et je l'aime. Je n'ai plus à m'inquiéter» lâche Esther dans un sourire édenté.
Ironie de l'histoire, Cosmo City, qui entend mêler pauvres et classe moyenne et doit être achevé en 2008, se construit sur des terrains qui appartenaient à Robert van Tonder, militant du mouvement d'extrême droite Boeremag.
Son fils Hans, 53 ans, va bénéficier de l'une des maisons subventionnées, réservées aux revenus inférieurs à 3.500 rands mensuels. «Mon père voulait restaurer la république boer. Il n'aurait pas aimé que je vive ici. J'y suis le seul blanc», explique ce chômeur pour lequel si l'expérience, unique en Afrique du Sud, réussit «ce sera un modèle pour le reste du pays»

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