ARCHITECTURE. Au lendemain du discours d'Emmanuel Macron en l'honneur du Pritzker 2019 Arata Isozaki, des architectes français contactés par Batiactu sont dubitatifs quant à "la place toute particulière" que le Président de la République entend leur donner. Là où le bât blesse: le décalage entre un discours élogieux et un cadre législatif qui a affaibli la profession.

Le 24 mai dernier, le président de la République Emmanuel Macron accueillait la fine fleur de l'architecture mondiale et française en l'honneur du lauréat Pritzker Arata Isozaki, couronné en 2019 du Nobel de l'architecture qui se tiendra en France pour sa prochaine édition.

 

Lors de ce rendez-vous qui se tenait au confluent de l'incendie de Notre-Dame et des élections européennes, Emmanuel Macron n'a pas été avare en éloges à destination des architectes. Dans un discours fleuve empreint de poésie, le locataire de l'Elysée a élevé l'architecture comme "l'art le plus politique de tous", invitant ses pratiquants à occuper un rôle plus important dans la société.

 

Si les architectes français présents dans la salle des fêtes de l'Elysée se sont délecté des chants, ils n'ont pas cédé aux sirènes. Tout du moins, la réalité a rapidement pris le pas sur le lyrisme macronien pour les architectes, qui, un temps reconnus par la loi LCAP, se sentent dévalorisés par une loi ELAN venue détricoter la précédente, et au passage, l'autorité des architectes qui craignent d'être relégués au rang de "gratte-permis de construire".

 

"Aux actes M. le Président"

 

Appréciant "l'ode à l'architecte et à l'architecture" chantée par Emmanuel Macron, le président du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa) Denis Dessus oppose rapidement le "contre-sens" des mots avec les actes. "La loi Elan votée en 2018 a fait beaucoup de dégâts (…) en n'imposant plus le concours pour les grandes opérations de logement social ou en généralisant le recours aux contrats globaux", regrette l'expéditeur d'un courrier au président, l'invitant à une rencontre.

 

"Aux actes M.le Président ! ", défie de son côté la présidente francilienne de l'Ordre des architectes Christine Leconte. Se montrant une nouvelle fois ouverts aux discussions et propositions, les défenseurs des architectes et de l'architecture aimeraient cette fois que leur message soit entendu, et pas brouillé par les voix d'autres intérêts. Quand Denis Dessus estime que "les lois récentes sont faites pour permettre aux grands groupes du BTP de capter la commande publique sans considération ni objectif de qualité architecturale", Christine Leconte juge qu'il faudra veiller "à ce que le Président positionne des architectes à ses côtés".

 

Pour discuter avec des architectes, encore faut-il un projet, ce que le président Macron n'a pas vraiment esquissé le 24 mai dernier. Un flou soulevé par l'architecte Francis Soler, instigateur d'Initiative Logement, pour qui le discours présidentiel se heurte à l'absence de projet directeur, et d'un cadre institutionnel permettant aux architectes d'assumer leur rôle nouveau.

 

L'architecture au carrefour de quatre ministères

 

Se faisant l'écho d'une mesure historiquement attendue par les architectes, Francis Soler rappelle la nécessité de positionner l'architecture sous une tutelle partagée entre ministère de la Culture, de la Cohésion des territoires, de la Transition écologique et de l'Economie. "Comment peut-on être dans un ministère qui est passéiste sur le patrimoine, quand la modernité se passe dans la Cohésion des territoires avec la Ville et le Logement, il y a quelque chose qui ne marche pas", fustige l'architecte.

 

En référence au discours de Nicolas Sarkozy tenu en 2007 à l'occasion de l'inauguration de la Cité de l'architecture et du patrimoine (qui lui avait servi de tribune pour dérouler son projet du Grand Paris), Francis Soler estime que l'allocution du président Macron demeure moins concrète.

 

Saupoudrant quelques lignes de réflexion sur la transition écologique, et la lutte contre les fractures territoriales par des "Grand Paris" ou "Grand Marseille", "Emmanuel Macron devient intéressant dans son discours lorsqu'il remet l'architecture comme un acte politique", juge Francis Soler. Pour le Grand prix national de l'architecture 1990, cette phrase a valeur d'électrochoc, envers une communauté d'architectes peu mobilisée, et qui se serait trop focalisée sur une architecture d'esthétique plutôt que d'usage. "Je pense qu'on a été appelés par Emmanuel Macron à se réveiller d'une façon ou d'une autre", interprète-t-il.

 

 


actionclactionfp