La maison individuelle attire de plus en plus de Français. Dans ce contexte, Christian Louis-Victor, président de l'Union nationale des constructeurs de maisons individuelles (UNCMI) depuis 1988, dresse un état des lieux du marché. Et livre son point de vue sur la politique actuelle du gouvernement en matière de logement. Entretien.

Batiactu : Quel bilan tirez-vous de l'année 2006 ?
Christian Louis-Victor :
Le marché du logement vient de terminer une année un peu asymptotique. On est au sommet de la vague. On s'aperçoit que le marché s'est très légèrement tassé, mais plutôt sur l'ancien. Sur ce marché du logement, la maison individuelle se porte très bien. Si on a constaté, au cours de l'année, une légère décélération de la croissance, il n'y a pas eu d'effondrement. Comme il n'y a pas d'indicateur étatique sur le diffus, quand on annonçait des baisses très significatives de la maison individuelle, cela concernait les maisons en village, celles que réalisent les promoteurs à la périphérie des grandes agglomérations.

Sur la partie du secteur diffus, commercialement, l'année a toujours été très soutenue, avec 190.000 à 195.000 unités, en hausse de 3,5 à 4%, soit un niveau encore supérieur à l'année précédente. Cela représente un peu plus des trois-quarts du marché global de la maison individuelle.

Batiactu : Comment expliquez-vous aujourd'hui cette progression'
C. L.-V. :
Cela s'explique par un besoin réel. En matière d'accession à la propriété, les gens arbitrent plutôt pour la maison individuelle. Ils veulent de plus en plus avoir leur propre toit, sécuriser leur présent. Ils veulent aussi sécuriser leur futur et leur patrimoine. Les dispositions gouvernementales, comme le viager hypothécaire, vont d'ailleurs faire de la maison individuelle le véritable coffre-fort des Français dans la durée. Grâce à la propriété de leur maison, ils auront ainsi une capacité pratiquement infinie d'endettement, à partir du moment où la maison sera qualitativement pérenne. Enfin, ils veulent aussi sécuriser leurs retraites. Cette notion redevient une des motivations prioritaires dans le fait d'accéder à la propriété d'une maison individuelle. On voit en effet plutôt sa retraite dans un espace maîtrisé, où l'on se sent bien. Or, ce sont plutôt des notions que l'on retrouve dans ce type d'habitat.

Batiactu :Quel est aujourd'hui le prix de vente moyen d'une maison individuelle ?
C. L.-V. :
Il est de 108.000 ? environ, pour une surface moyenne de 110 m2, hors terrain. A périmètre de surface constante, il a beaucoup moins augmenté que celui des appartements et des logements collectifs. L'essentiel des augmentations est lié aux surfaces plus grandes. Elles sont également liées à toute l'accumulation des réglementations environnementales. Mais c'est un investissement, puisque c'est au bénéfice plus tard, des diminutions des budgets de chauffage? Et puis c'est aussi un acte citoyen.
Mais d'une manière générale, la concurrence au niveau des constructeurs, des soucis d'amélioration de la productivité? ont permis un bon maintien des coûts.

Batiactu :Que pensez-vous aujourd'hui de la politique de logement menée par le gouvernement ?
C. L.-V. :
Je pense qu'il y a eu une prise de conscience progressive. On a senti un sursaut en juin 1993, puis en 1995 avec le dispositif Périssol et ses deux jambes : le prêt à taux zéro auquel l'UNCMI a fortement contribué ; et l'attribution aux particuliers du statut de bailleur privé professionnel. Ensuite, il y a eu un consensus assez général sur le maintien du prêt à taux zéro, sur le financement. Par contre, il n'y a pas eu de consensus sur l'élaboration de la loi SRU, ni de dispositions incitatives, notamment fiscales, à mettre sur le marché suffisamment de foncier pour réaliser ce qu'il était nécessaire de réaliser. Avant 1995, on a donc fabriqué la pénurie, par le manque de projets logement dans le cadre de l'aménagement du territoire?
Objectivement, je pense que la politique menée aujourd'hui par Borloo est une bonne politique globale, puisqu'il essaie d'agir sur le foncier. Elle porte le nom de loi d'engagement national pour le logement, donc c'est bien une priorité politique globale qu'il donne au secteur.

Batiactu : Justement, dans cette politique, que pensez-vous de la maison à 100.000 ? ?
C. L.-V. :
Elle joue le rôle de brise-glace au niveau de la perception que nous avons du foncier par rapport au bâti. Le fait de rendre dissociable les deux en terme de propriété comme en terme de paiement «réinitie» une nouvelle démarche en matière de politique foncière en France. Globalement, une politique où la loi entérinerait systématiquement ce genre de démarche ne peut se faire que dans le cadre précis d'une opération de maison à 100.000 ? dans des zones déterminées pour bénéficier des effets cumulatifs de la TVA à 5,5%... Je pense que c'est une bonne disposition et qu'il faut la creuser peut-être pour des applications plus générales.

Batiactu : Mais les constructeurs proposaient déjà des maisons à ce prix?
C. L.-V. :
Oui, pour des maisons plus grandes, mais sans le terrain. Le dispositif Borloo, c'est une maison de 85 m2 terminée, avec un peu de terrain autour, ce qui évite un système de paupérisation du produit. Quand le dispositif a été lancé, les constructeurs construisaient des maisons de 105 m2 pour 100.000 ?. Donc si on ramène à 85 m2, on voit qu'ils construisaient à 80.000 ? environ. Il suffit de rajouter un petit terrain de 300-400 mètres et on y arrive. La démarche n'était pas inaccessible.

Batiactu : Que pensez- vous de la nouvelle campagne pour l'accession sociale à la propriété ?
C. L.-V. :
J?y suis favorable car je pense que ce gouvernement et le ministère du Logement ont fait beaucoup de choses favorables à l'accession à la propriété. Quand il existe beaucoup de mesures, on a du mal à aller faire son marché. Le fait de rassembler tout cela de façon synthétique dans une campagne de communication peut déclencher chez nos concitoyens l'envie d'aller se renseigner. C'est la première démarche vers le succès de l'opération et le passage à l'acte.

Batiactu : Quelles mesures aimeriez-vous voir inscrites dans le programme des candidats aux élections présidentielles ?
C. L.-V. :
Une grande mesure : c'est le respect du bon sens. Je souhaiterais que cette nouvelle ère qui va s'ouvrir pour cinq ans soit un nouvel espace de simplification et dans lequel l'on va «re-prioriser» les choses. Une bonne politique du logement est une politique qui se base sur des constats. Elle ne doit pas être une politique tachiste, mais une politique en continu, qui part du besoin, et qui, consciente de ce besoin, planifie les moyens pour éviter que l'on fabrique régulièrement des crises ou que l'on soit obligé tous les 20 ans de remonter à 500.000 logements pour redescendre après' Depuis quelque temps, elle va dans ce sens.

Batiactu : Et en matière de maison individuelle ?
C. L.-V. :
Je suis pour toutes les dispositions qui iront dans le sens d'une redynamisation des surfaces foncières, mais dans la cohérence. Il n'est pas question de favoriser le mitage ou ce genre de choses. En France, les villes ont toujours grandi à partir d'un centre et en faisant des développements périphériques. Cela nécessite une planification des politiques foncières à un rythme nécessaire et suffisant par rapport à la réalité du besoin, ainsi que des cellules d'observation qui permettront d'anticiper ce besoin en fonction des tendances sociétales qui ont toujours des conséquences en matière d'habitat.

Batiactu : Dans son livre blanc, l'Ordre des architectes appelle à une redensification des villes, que répondez-vous ?
C. L.-V. :
La densification n'est pas la règle. On peut très bien densifier là où c'est nécessaire, mais il y a des zones où il faut oxygéner. Des études montrent que si nous étions restés uniquement dans le cadre de la loi SRU, on aurait construit à peu près 230.000 logements en 2005. Il a bien fallu que des gens partent en 3ème, 4ème couronne dans des maisons individuelles, dans des villages ruraux, pour réussir à construire 450.000 logements. Le dogmatisme fabrique des rigidités. En France, le logement est trop une manière de penser. Il faut qu'il redevienne une manière de vivre, un cadre de vie.

Batiactu : Les mutations sociologiques ont-elles été intégrées par les constructeurs de maisons individuelles'
C. L.-V. :
L'UNCMI participe à la prise de conscience des constructeurs sur la nécessité qu'il n'y ait pas de dichotomie entre la maison et son environnement, entre la maison et l'évolution du comportement sociologique du consommateur? Elle a intégré dans sa politique produit le fait que la maison doit s'intégrer dans un phénomène d'évolution de son environnement. Nous avons créé une commission produit nationale qui fait réfléchir les constructeurs avec des architectes, des «cosméticiens» de la maison, des industriels' Elle permet de mettre en symbiose la connaissance que les constructeurs ont du client et les capacités de recherche & développement des industriels. On a créé une sorte de marketing idéal entre le consommateur et l'industriel pour que le produit soit le plus conforme possible aux désirs du consommateur et à la phase d'évolution dans laquelle on va se trouver.

Batiactu : En l'espace de 20 ans, comment avez-vous perçu l'évolution de la maison individuelle ?
C. L.-V. :
J?ai toujours cherché à jalonner la démarche avec des étapes de contrôle qui permettent de baliser l'évolution qualitative, notamment avec la mise en place du contrat de construction, de la caution financière d'achèvement, de la marque NF, de la licence professionnelle... Ces plots, ce sont aujourd'hui les concours nationaux (Challenge des maisons innovantes, ndlr), avec autant de disciplines qu'il y a d'objectifs globaux : économie d'énergie, esthétique, créativité... On est passé de la maison économique dans les années 60 à la maison économe après les années 75. Maintenant, il va falloir des maisons à la fois économiques, économes et design. Il faut suivre ce que fait l'automobile. On peut aujourd'hui avoir des voitures qui consomment moins, plus belles, plus sécurisantes' Je souhaite que la maison individuelle s'inscrive dans ce processus classique d'étapes qualitatives.

Batiactu : Est-on justement aujourd'hui parvenu à cette maison économique, économe et belle ?
C. L.-V. :
On y tend. C'est la quête du Graal. Une profession, comme un chef d'entreprise, doit avoir l'objectif de tendre à toujours améliorer ce qu'elle fait. Le problème de la maison, c'est qu'elle porte des valeurs très traditionnelles, qui sont culturelles. Elle doit vous protéger physiquement des agressions de la collectivité, du climat, et être aussi capable de créer un confort de vie. C'est également un espace dans lequel on fait vivre des gens qui ont un âge différent, une vision du monde et des responsabilités différentes. Une maison, ce sont des espaces séparés et des espaces partagés. C'est très difficile à réaliser. C'est pour cela qu'il faut de l'enthousiasme, de la créativité, de la lucidité?

Batiactu : Justement, quelle serait selon vous la maison idéale ?
C. L.-V. :
C'est la maison que je n'ai pas encore construite, mais que les constructeurs construiront demain.

Batiactu : Comment voyez-vous le marché en 2007 ?
C. L.-V. :
Le marché en 2007 devrait être encore de bonne tenue. Bien sûr, la clientèle est très dépendante des niveaux d'endettement. Les revenus ne sont pas extensibles à l'infini et les taux d'intérêt ont plutôt tendance aujourd'hui à frétiller vers le haut. On voit bien qu'il faut qu'il y ait une politique du logement saine, lucide? Le soutien de la collectivité à l'accession à la propriété, sous forme d'encouragement, de bonification, de système de défiscalisation' est une nécessité.
Les délais plus longs pour financer un bien immobilier et l'hypothèque rechargeable sur la maison peuvent être de nature à favoriser une fluidification du marché. Mais ce n'est pas non plus élastique ad vitam eternam, puisqu'on est dans un système économique et culturel avec des marquages sociaux forts. On n'a pas encore trouvé le Paul Poiret qui a libéré le corset culturel de la France en matière économique.

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