C’est sans langue de bois que le Président Maugard évoque l’indépendance et la légitimité du CSTB. Bien sûr, il nous donne aussi son interprétation du Grenelle, sa vision de l’urbanisme de l’avenir et nous dévoile les secrets des innovations futures. Entretien.

Batiactu : Tout a été dit sur le CSTB… Que faut-il retenir à ce jour ?Alain Maugard : Tout d’abord, je crois que nous pouvons être fiers vis-à-vis du secteur du bâtiment. Car, à une époque, certains se demandaient même s’il fallait garder le terme de « bâtiment » à notre appellation, tant il était contradictoire avec l’idée d’un domaine « scientifique ». Le bâtiment avait en effet l’image d’un secteur plutôt vieillot, immobile : qu’est-ce qu’il pouvait donc y avoir comme science du bâtiment ?

Aujourd’hui, c’est positif de parler du bâtiment. Ce n’est pas le CSTB qui a réussi, c’est le secteur qui a su évoluer et montrer ses potentialités en matière de progrès scientifiques et techniques. Ensuite, la deuxième idée à retenir, c’est que le CSTB est avec les acteurs, que l’on cherche à faire quelque chose ensemble. A ce titre, le CSTB « joue moins perso » qu’à une époque ! Il n’est plus le gendarme de la construction, l’évaluateur qui ne s’implique pas : il est avec les autres acteurs dans la grande aventure de la construction. L’évolution a été très rapide car l’état des taches à accomplir est tel qu’il faut avancer vite : on n’est jamais trop, on a besoin de tous ! Ce qui amène à la question des experts : nous risquons plutôt d’en manquer que d’avoir un trop-plein ! Quant aux experts plus ou moins dépendants qui font du lobbysme déguisé, si on laisse s’atomiser ce secteur, on tombera dans de l’expertise orientée ! On en connaît les risques… Le CSTB n’est d’aucune religion, il est laïque !



Batiactu : On reproche au CSTB de faire l’objet de pression de certains lobbies ?

A. M. : Je ne vois pas lesquels…



Batiactu : Alors, abordons le sujet polémique des isolants minces

A. M. : C’est en effet le bon exemple ! Mais pour résumer, nous ne sommes pas achetables ! Nous sommes neutres et pas à la botte d’industriels qui dicteraient leurs exigences. Sur ce sujet, nous sommes très sereins. Le vrai sujet, c’est que certains isolants traditionnels, parce qu’ils sont mal mis en œuvre, ont des résultats qui n’affichent pas leur potentialité d’isolation. Ce n’est pas pour cela que les produits d’isolation mince ont des meilleurs résultats que ce qu’ils annoncent. Essayez d’imaginer, le CSTB aux mains de tel ou tel industriel ? Pour preuve, un des acteurs du marché des produits minces réfléchissants a travaillé avec le CNRS, pensant qu’il allait faire des découvertes mirobolantes… Au vu des résultats, peu probants, ça a été la rupture.



Batiactu : Est-ce à dire que sur ce type de produit, il existe des interrogations ?

A. M. : Oui, en effet. L’isolant mince, ce n’est pas équivalent à 10 centimètres de polystyrène ou de laine de verre, ce n’est pas vrai ! Il n’y a pas de miracle ! Nous avons publié des choses là-dessus en montrant que la résistance thermique était forcément inférieure. Je suis serein sur les produits et très ferme sur l’indépendance de notre institution.



Batiactu : Vous venez de lancer le Pass Innovation… Est-ce un pas supplémentaire vers l’atteinte des objectifs du Grenelle de l’environnement ?

A. M. : Sur ce thème, le CSTB s’est donné beaucoup d’ambitions quant aux objectifs, en passant directement aux bâtiments à 50kw/h et même ceux à énergie positive. Sur la réhabilitation, en tentant l’objectif à 80kw/h, c’est déjà un très fort challenge. J’insiste sur le fait que cela nous oblige à repenser et à refondre toutes les règles de l’art et leur compatibilité avec les ambitions du Grenelle, ainsi que faciliter les innovations qui seront nombreuses. Mais le Grenelle ne se résume pas au Pass Innovation ! Comme je préside le comité opérationnel du Grenelle, je peux vous en dire un mot. Sur la construction neuve, publique ou privée, nous disons en résumé : autant passer de suite à l’étape 50kw/h et aux énergies positives, inutile de passer par des étapes intermédiaires ! Nous souhaitons faire les mutations auprès des acteurs et les progrès scientifiques nécessaires le plus tôt possible. Peut-être que cela prendra un peu plus de temps, mais l’idée c’est de ne pas s’arrêter à mi-chemin. Dans le Grenelle, il existait, pour le logement, une étape intermédiaire du THPE (très haute performance énergétique) : nous avons considéré qu’il fallait passer outre. Nous y passerons, certes, mais nous ne nous y arrêterons pas ! Nous préférons regarder tout de suite l’objectif final pour voir les difficultés réelles pour y arriver, et ainsi vérifier que certains produits ou techniques ne seront pas en bout de course dès le départ.



Batiactu : Le Grenelle était-il inévitable ?

A. M. : Oui, et surtout le monde du bâtiment est arrivé mûr au moment du Grenelle. Il a été consentant, on ne lui a rien imposé. Il a même proposé ces changements. Le Bâtiment est donc consentant et pro-actif ! Et quand le secteur prend des challenges, il ne se dégonfle pas et réussit toujours à surmonter les difficultés !



Batiactu : Quelles sont les innovations à attendre en matière d’architecture et de matériaux ?

A. M. : Les objectifs à atteindre pour 2012 passent d’abord par l’architecture. Pour la création de bâtiment à 50kw/h et à énergie positive, il faut faire une conception architecturale pensée dans cet esprit. Et si l’architecture est bien pensée, les surcoûts sont supprimés. Celle qui reste idéale, c’est l’architecture bio-climatique qui tient compte du climat, tout simplement. Quand des arbres viennent épauler les protections solaires au bon endroit, c’est aussi cela l’architecture « intelligente ». A l’inverse, il n’est pas idiot de prévoir des baies vitrées, qui trouvent leur utilité en hiver par exemple, où l’on a besoin d’emmagasiner des calories. Ça semble basique, mais les architectes n’ont pas toujours agi dans ce sens. Il faut dire que ces derniers temps, ce n’était pas leur préoccupation première, puisqu’il suffisait de mettre de la climatisation ou du chauffage pour obtenir les bonnes températures selon les saisons, mais à coup de dépenses d’énergie ! En outre, il existe d’ores et déjà un ensemble de composants et de matériaux, qui assemblés dans une architecture bio-climatique et associés à quelques outils nouveaux comme des pompes à chaleur, de l’étanchéité à l’air ou de la ventilation intermittente, peuvent aboutir à un bâtiment à 50kw/h. Donc on sait faire, mais on ne peut pas en rester là ! Prenons l’exemple de l’isolation : on voit pointer des projets de futurs isolants minces, à base de gaz rares ou de vide ou d’alvéoles de vide… On a donc une génération d’isolants qui se révèlent 5 fois plus performants que les matériaux actuels. Cela va booster ce secteur, mais à quelle échéance ? Je pense que d’ici à 5 ans, en matière d’isolants, on devrait avoir des choses intéressantes. Autre innovation à se développer : les matériaux à changement de phase, qui permettent de réguler et maintenir les températures jour/nuit dans l’habitat ; ou encore les peintures à nano-particules. Vous voyez, nous ne sommes pas à court d’idées, bien au contraire !



Batiactu : Que pensez-vous de l’évolution de l’architecture actuelle, et de la prolifération des tours ?

A. M. : Au-delà d’un éventuel « délire mégalo », la raison fondamentale de l’édification des tours, c’est qu’on s’est aperçu que pour obtenir un bilan carbone de la ville le moins handicapant possible, il fallait privilégier les transports en commun. Pour concilier bâtiment et transport en commun, il faut des densités. La tour est une des solutions, vu la densité du tissu hausmannien. Une tour qui n’est pas desservie par des transports en commun est une aberration. C’est une question de choix de densification. Sur le plan urbanistique, et pour lutter contre l’étalement contraint, je pense qu’il faut, d’une part, densifier les secteurs déjà urbanisés et, d’autre part, organiser l’urbanisation de nouveaux secteurs.



Batiactu : Revenons à un sujet qui touche le secteur du bâtiment aujourd’hui : la crise du logement et les mauvais chiffres de la construction…

A. M. : Exagérer un phénomène de conjoncture, c’est l’accentuer ! Maintenant, je vais peut-être vous choquer, mais il vaut mieux que ça se passe comme cela. Les prix du foncier étaient montés trop haut, créant une césure entre propriétaires et locataires. Les premiers se sont enrichis, en obtenant des plus-values, sans parfois même les réclamer. Les seconds se sont appauvris, voyant leurs loyers et leur pouvoir d’achat augmenter. Au final, c’est bien que les prix baissent.

Du côté de la construction, les carnets de commandes étaient archi pleins, on n’arrivait pas à recruter. Mais les travaux d’amélioration ne risquent pas de ralentir, et vont même aller bon train, compte tenu de la hausse du prix du fuel ou du gaz, entre autres. Je pense que ces phénomènes vont entraîner une sélectivité sur la construction neuve, que les programmes BBC (bâtiment basse consommation) continueront de sortir car ils seront bien ciblés. Il est donc préférable qu’ils sortent avec des terrains dont les prix sont moins chers au départ plutôt que d’être handicapés par cela. On va assister à une sélection des bons programmes par rapport à des moins bons.

Enfin, on constate au CSTB, que dans les périodes où le bâtiment régresse, il y a davantage d’innovations. Dans les périodes de progression du chiffre d’affaires du bâtiment, les industriels font des investissements de volume et cherchent à produire plus sans chercher forcément de l’innovation. C’est parce qu’il y a le Grenelle qu’il y a de plus en plus d’innovations et que les chiffres des avis techniques augmentent. Mais à partir du moment où le volume baisse, chacun veut augmenter ses parts de marché et devenir plus compétitif, donc cela se joue sur le nombre d’innovations. Ainsi, la petite forme de la construction n’est pas une si mauvaise nouvelle que ça pour le bâtiment car elle fait dégonfler la bulle foncière et rend le prix des terrains raisonnable. Et en attendant, elle sélectionne les bons produits et les bons bâtiments !

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