SANTE. Une enquête édifiante vient mettre en lumière la détresse de certains étudiants en école d'architecture et de paysage. La santé physique et mentale des jeunes formés reste fragile, par manque de moyens mis à disposition.

La santé des étudiants en école d'architecture connaît une situation "alarmante". C'est la conclusion de la Fédération sportive des Écoles d'Architecture (FSEA) et de l'Union nationale des étudiants en architecture et paysage (UNEAP) qui ont réalisé, entre mai et juillet 2023, une enquête nationale* sur la santé au sein des Écoles d'architecture de France. L'enquête se penche sur le sommeil, la qualité de l'alimentation et l'état de santé physique et mentale des étudiants, mais aussi des conséquences de la surcharge de travail et du stress.

 

En 2018, une première enquête nationale faisait état d'une "situation critique". Quatre ans plus tard, le ministère de la Culture avait annoncé un plan d'action pluriannuel pour la santé des étudiants en architecture et paysage. L'enquête de 2023 des deux entités représentatives des étudiants vient évaluer les éventuels progrès réalisés depuis sa mise en place.

 

Des heures de sommeil manquantes

 

Ce que révèle cette enquête est d'abord le manque de sommeil des étudiants. En moyenne, ils ne dorment que 6h29 par nuit, alors que la durée de sommeil recommandée chez un adulte est de sept à neuf heures. Les étudiants dorment six minutes de plus qu'en 2017, "et toujours une heure de moins qu'une personne entre 15 et 30 ans", montre l'enquête. Le nombre d'heures de sommeil diminue durant la semaine précédant un rendu. Durant cette période, 36% des étudiants dorment moins de quatre heures par nuit.

 

"Pour pallier le manque de sommeil, les étudiants ressentent le besoin de prendre des substituts, tels que des encas, des boissons énergisantes, du café ou des substances dangereuses, comme des médicaments, de l'alcool ou encore de la drogue." La consommation des substances nocives et dangereuses a toutefois baissé depuis cinq ans mais "reste un problème important" puisque 2,1% disent remédier au manque de sommeil par la consommation de drogues. Seul un nombre extrêmement faible (0,5%) affirme ne jamais être fatigué.

 

Le saut de repas pour certains

 

Quid de l'alimentation ? Elle changerait pendant les périodes de travail intense pour la quasi-totalité des étudiants. La qualité de celle-ci, jugée "moyenne" par les élèves, se dégrade en période de rendu ou de travail intense. Un étudiant de l'Ensa Bretagne, en troisième année de licence, témoigne : "En période de rendu, je n'ai pas le temps de faire des courses alors je mange tout le temps la même chose. Pour dépenser un minimum dans la nourriture, je me nourris de produits de moins bonne qualité."

 

D'autres à La Villette (Paris), Saint-Étienne et Strasbourg, pointent un "manque d'offre de repas complet et équilibré dans ou proche de l'école" et de Crous où se restaurer. Pour les porteurs de cette enquête, la "dégradation notable dans les habitudes alimentaires des étudiants en période de rendu est fortement liée à la surcharge de travail et au manque de temps pour cuisiner". Cela pousse des étudiants à manger moins ou à sauter des repas (pour 16% d'entre eux).

 

Santé physique et mentale des étudiants

 

L'enquête note également un léger recul du stress chez les étudiants par rapport à 2017, même si ces derniers le ressentent toujours en majorité. Les impacts physiques (fatigue, anxiété, dérèglement de l'appétit) liés au stress sont, en revanche, en augmentation. "Cela entraîne la prise ou la perte de poids, le dérèglement du sommeil ou des cycles menstruels, des maux de dos ou encore des problèmes de peau", constate les auteurs. L'autre problème est qu'ils sont bien moins de la moitié à avoir du temps pour décompresser, la faute à un "emploi du temps trop chargé" et à la "pression" qu'ils peuvent ressentir. Pour se relaxer, la plupart passe du temps avec leurs proches, amis ou famille, et plus de la moitié exerce une activité physique ou effectue une sortie culturelle.

 

 

Ce phénomène a, comme conséquence, d'impacter leur santé mentale. Une grande partie des interrogés affirment avoir déjà vécu une période prolongée de tristesse, d'anxiété et/ou de dépression. Ainsi, un étudiant sur quatre a déjà eu recours à des médicaments, tels que des anxiolytiques, des anti-douleurs ou des antidépresseurs, pour pallier les problèmes liés à leurs études. Une étudiante de l'Ensa de Bretagne en première année de master raconte : "La licence m'a détruite psychologiquement, il y avait trop de pression, et je n'ai tenu que pour avoir un diplôme". "Les études contribuent à un état de stress et de fatigue qui peuvent empirer des situations personnelles difficiles", ajoute une étudiante aussi en première année de Master à l'Ensa Paris-Est.

 

Une trop grande masse de travail

 

Pour les auteurs de cette étude, les "chiffres sur ces problèmes de santé sont de plus en plus alarmants". Le nombre d'étudiants ayant ressenti le besoin de consulter un spécialiste de la santé (psychologue, médecin généraliste ou kinésithérapeute) a doublé en cinq ans. Un étudiant en deuxième année de licence à Paris-Est parle de "mobilier inadapté pour les sessions de travail en atelier et en amphithéâtre" qui cause "des maux de dos et de la fatigue musculaire". Une jeune femme de l'école de Grenoble confie : "En période de rendu, l'alimentation saine et le sport n'ont plus leur place, ce qui génère énormément de stress". Pire, certains indiquent ne pas avoir les moyens de consulter.

 

La bonne nouvelle de cette enquête ? Vingt-une associations sportives représentant les écoles d'architecture et de paysage de France se sont constituées ces dernières années. "Bien que de nombreux étudiants reconnaissent les bienfaits du sport sur la santé, ces derniers ne parviennent pas à maintenir une pratique régulière tout au long de l'année scolaire. En effet, 41% des étudiants consacrent moins de deux heures par semaine au sport, tandis que 21% d'entre eux n'en pratiquent aucun. Ainsi, six étudiants sur dix ont une pratique sportive considérée comme insuffisante par l'Organisation mondiale de la Santé", affirme l'enquête.

 

"La culture de la charrette existe toujours dans les écoles"

 

Les problèmes ne s'arrêtent pas là. La culture de la charrette existe toujours dans les écoles, affirment près des trois-quarts des répondants. S'il y a cinq ans, certains la jugeaient "stimulante", elle est aujourd'hui surtout considérée comme "épuisante", "malsaine", "dangereuse" et "banalisée". "Il y a un certain tabou à en parler et les profs disent faire en sorte que tout le monde l'évite, mais en pratique, vue la charge de travail, discours positif ou non, rien n'y change, on se retrouve parfois obligées de le faire", assure une étudiante en première année de licence à Lyon. Celle-ci n'est pas la seule à penser que la charge de travail est peu prise en compte par les enseignants. Une majorité de répondants l'indique. Une personne interrogée appartenant au master 1 de Strasbourg déclare "faire une ou plusieurs nuits blanches d'affilées, tout en bossant non-stop la journée" pour être prête à rendre un rendu.


Pas encore d'impact du plan d'actions national

 

In fine, l'état de santé des étudiants en architecture et en paysage a très peu changé en cinq ans. "On ne remarque pas (ou pas encore) l'impact des mesures prises ces dernières années. Les quelques améliorations notables sont bien trop faibles et leurs évolutions trop lentes", affirment la FSEA et l'UNEAP. "Les emplois du temps trop lourds et la pression exercée sur les étudiants ont encore un impact trop grand sur leur santé." L'union et la fédération appellent les écoles à "travailler" sur la question de l'alimentation des étudiants. D'autres actions pourraient être mises en place pour protéger la santé des jeunes. Intégrer le sport dans la maquette pédagogique, promouvoir des approches d'apprentissages équilibrées voire même ajuster les horaires scolaires sont des pistes proposées par les auteurs de l'enquête. Reste à voir ce que les écoles ont prévu ces prochaines années pour favoriser le bien-être des personnes formées…

 

* L'échantillon de l'étude représente un peu moins de 7% de l'ensemble des 21 Écoles nationales supérieures d'architecture et de paysage de France (ENSA.P/ESA). Au total, 1.504 étudiants ont répondu. L'échantillon représente en majorité les promotions de Licence (73%) mais touche également une partie des Master (28%). "Soixante-quatorze pour cent des participants à l'enquête sont de sexe féminin, contre 23% de participation de la part du sexe masculin et 3% de personne ayant répondu "autres" ou n'ayant pas répondu. Bien que légèrement supérieur à la composition des écoles d'architecture, 60% d'étudiantes contre 40% d'étudiants (pour l'année 2020-2021 d'après Archigraphie 2020 du CNOA), l'échantillon de l'enquête est représentatif de la réalité", précise les deux porteurs de l'enquête.

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