CONJONCTURE. Les notaires du Grand Paris ont présenté ce 5 septembre 2019 les volumes de ventes dans l'immobilier ancien de la région Île-de-France : alors que le prix moyen au m² a atteint les 10.000 €, les transactions augmentent intramuros, en Petite et Grande Couronne, et les taux d'intérêt historiquement bas ne laissent pas présager d'amélioration. Invité à s'exprimer lors d'un débat, Benoist Apparu, président du directoire d'In'Li, a également livré son analyse.

Acheter à Paris est devenu un luxe. Ce 5 septembre 2019, les notaires du Grand Paris ont présenté les chiffres du marché immobilier dans le résidentiel ancien en région Île-de-France pour le 2e trimestre de cette année, et le constat est sans appel. Alors que la capitale a dépassé les 10.000 € le m² en moyenne depuis déjà plusieurs mois - les arrondissements centraux étant même largement au-dessus de ce chiffre -, le dynamisme du marché ne se dément pas : les notaires ont enregistré 181.840 transactions de logements anciens en région parisienne entre le 3e trimestre 2018 et le 2e trimestre 2019, avec une hausse des prix de l'ordre de 4% en comparaison à la période allant du 3e trimestre 2017 au 2e trimestre 2018. Côté appartements, des records historiques continuent à être battus, avec une augmentation de 3% des ventes sur la même période, ce qui représente un total de 124.220 transactions. En moyenne, le prix au m² atteint 6.120 € à l'échelle francilienne, soit +4,9% sur un an. Et cette tendance va probablement s'accentuer : comme chaque année, l'inflation devrait s'accélérer durant l'automne dans la plupart des segments, avec une projection à 6.340 € le m² pour le mois d'octobre 2019. Côté maisons, il faut aussi s'attendre à débourser toujours plus : un autre record de ventes sur 12 mois a été battu, avec 57.630 transactions sur la même période, soit +4%. Acquérir une maison ancienne en Île-de-France coûte en moyenne 311.200 €, en progression de 1,9% sur un an. Les notaires prévoient une nouvelle flambée à 319.100 € pour octobre prochain.

 

 

Il ne reste plus que trois arrondissements en-dessous des 9.000 € le m²

 

Intramuros, l'activité stagne en revanche quelque peu, bien que les chiffres restent évidemment impressionnants. Les volumes de ventes d'appartements anciens dans la Ville Lumière se sont établis à 36.350 transactions entre le 3e trimestre 2018 et le 2e trimestre 2019, en léger retrait de 1% par rapport à la période séparant le 3e trimestre 2017 du 2e trimestre 2018. Sur la première moitié de l'année 2019, les prix au m² ont atteint les 9.890 €, un bond de 6,3% sur 12 mois. D'après les notaires du Grand Paris, le seuil plus que symbolique des 10.000 € devrait être dépassé, en moyenne, en octobre 2019, avec une projection à 10.280 €, tous arrondissements confondus. A l'heure actuelle, cinq d'entre eux sont déjà au-dessus de 12.000 € le m² : les huit premiers arrondissements, la palme revenant au VIe, qui affiche un prix moyen à 13.920 € le m². A l'inverse, il ne reste plus que trois arrondissements en-dessous des 9.000 € le m² : les XIIIe, XIXe et XXe, le moins cher étant le XIXe avec 8.220 € au m². Durant les six premiers mois de 2019, les notaires ont localisé les plus fortes hausses de prix dans des arrondissements aux tarifs déjà prohibitifs, à savoir les VIe et VIIIe, avec respectivement +10,2% et +13%.

 

 

Quelques chiffres symboliques sur l'état du marché immobilier parisien…

 

Selon les notaires du Grand Paris, le quartier intramuros le moins cher est celui de la Chapelle, avec un prix moyen au m² d'environ 7.400 €. A l'inverse, le quartier le plus onéreux est celui d'Odéon, qui dépasse légèrement les 17.000 € du m². Sur un an, l'inflation la plus spectaculaire s'observe dans les quartiers de Madeleine et de Saint-Thomas-d'Aquin, avec respectivement +18% et +13,4%. Sur 5 ans, c'est de nouveau le quartier d'Odéon qui se fait remarquer, avec une envolée de 35%. Et pour illustrer concrètement les disparités parfois gigantesques qui peuvent exister au sein d'un même arrondissement, notons qu'un duplex de 95 m² avec garage a été vendu dans le quartier de Saint-Thomas-d'Aquin avec un prix au m² de… 35.000 €.

 

…et un ordre de grandeur avec le reste de la France

 

Schématiquement, on peut résumer la situation de la manière suivante : en moyenne, le m² coûte 10.000 € à Paris, 6.000 € en Petite Couronne, 3.000 € en Grande Couronne et environ 2.000 € dans le reste de la France. Le 2e trimestre 2019 s'est soldé avec 1.017.000 transactions réalisées dans tout l'Hexagone, ce qui constitue là aussi un record.

 

 

"Il faut accélérer la production de logements, et notamment de logements intermédiaires", a déclaré lors de ce débat Benoist Apparu, ancien ministre du Logement, maire de Châlons-en-Champagne et président du directoire d'In'Li (groupe Action Logement). "Actuellement, il y a environ 80.000 constructions de logements en Île-de-France par an, ce qui est deux fois plus qu'il y a 10 ans. Les volumes sont donc considérables. Mais l'écart qui se creuse progressivement entre Paris et la province est problématique : on a des tendances globalement 'en plateau' en province, et des écarts de pouvoir d'achat significatifs avec la capitale. Et ces écarts grandissent année après année. C'est pourquoi la définition des zones de croissance n'a plus aucun sens. Pour moi, c'est le sujet principal auquel les pouvoirs publics doivent répondre."

 

Tous les indicateurs progressent aussi en Petite et en Grande Couronne

 

 

On traverse le périphérique pour analyser la situation de l'immobilier ancien en Petite Couronne, où globalement l'activité des appartements s'est très bien portée au 2e trimestre 2019 par rapport au 2e trimestre 2018 : +9% tous départements confondus, +9% pour les Hauts-de-Seine, +14% pour la Seine-Saint-Denis et +4% pour le Val-de-Marne, sachant que le prix moyen au m² est de 4.790 € pour la Petite Couronne, soit un accroissement de 4,5% en un an. Les maisons ont également profité d'une situation confortable bien qu'un peu plus timide sur la même période : +5% pour la Petite Couronne, +14% pour les Hauts-de-Seine, 0% pour la Seine-Saint-Denis et +6% pour le Val-de-Marne, sachant que le prix de vente moyen s'établit à 376.000 € en Petite Couronne (+3,3%). A noter : toujours à l'échelle de la Petite Couronne, les projections pour octobre 2019 tablent sur un prix moyen au m² de 4.960 € pour les appartements, et un prix de vente moyen de 388.600 € pour les maisons.

 

Concernant la Grande Couronne, on retiendra que le marché des appartements est tout autant dynamique, sur la même période et avec les mêmes paramètres : +19% tous départements confondus, +26% pour la Seine-et-Marne, +21% pour les Yvelines, +26% pour l'Essonne et +3% pour le Val-d'Oise, avec un prix moyen au m² de 3.000 € pour la Grande Couronne, soit +1,6% en un an, et avec une projection à 3.090 € le m² en moyenne à l'horizon d'octobre. Les maisons, elles, voient leurs volumes de ventes tirés par la Seine-et-Marne et l'Essonne : respectivement, ces deux départements enregistrent +17% et 15%, alors que les Yvelines se contentent de +5%, et le Val-d'Oise d'un timide +2%. Tous départements confondus, la hausse est de 11%, avec un prix de vente moyen établi à 284.400 € en moyenne, ce qui représente un gain de 1,2% sur 12 mois. Pour le mois d'octobre, les professionnels misent sur un prix de vente moyen de l'ordre de 290.600 €. La commune du Vésinet, dans les Yvelines, fait d'ores-et-déjà parler d'elle : dans cette ville de Grande Couronne, il faut débourser en moyenne un million d'euros pour acquérir une maison. On le voit, la tendance n'est donc pas près de s'inverser.

 

"Le problème est aussi démographique", a souligné Benoist Apparu. "Plus il y a de monde, plus il y a de demande et de tensions sur le marché. Le rôle d'un politique, c'est d'avoir un regard à long terme, comme sur les problèmes de démographie et d'aménagement du territoire. On observe depuis quelques années un retournement de population, et l'apparition de difficultés économiques et sociales dans le quart Nord-Est de la France, dont la population se reporte vers le Grand Ouest. Il faut donc revenir à des politiques d'aménagement du territoire pour rééquilibrer ce territoire. Les enjeux de production de logements et de limitation des tensions sur le foncier doivent aussi prendre en compte le changement climatique, car l'étalement urbain en est la principale cause, puisqu'il entraîne l'artificialisation des sols, l'extension des réseaux de transports… Le lien entre logement et transports est évident. On est en contre-cycle complet de ce qu'il faudrait faire : c'est dans les zones détendues qu'il y a aujourd'hui le plus d'étalement urbain !"

 

"Paris se boboïse"

 

D'autres chiffres émanant des études notariales d'Île-de-France méritent d'être soulignées, par exemple sur les places de stationnement : ce marché, estimé entre 10.000 à 12.000 unités vendues chaque année, affiche un prix moyen de 20.200 € en région parisienne, et 28.600 € à Paris. Mais, en 20 ans, les prix des parkings franciliens ont progressé moins rapidement que ceux des logements, avec respectivement +65% et +193%. En outre, les augmentations de tarifs des parkings ont été plus contenues intramuros, avec +67% en 20 ans, qu'en Petite Couronne (+82%) et qu'en Grande Couronne (+75%). Preuve que les Parisiens prennent de moins en moins la voiture, mais que les banlieusards, eux, l'utilisent de plus en plus, ce qui permet d'expliquer assez logiquement les problèmes récurrents de circulation en Île-de-France.

 

"Si on arrête l'artificialisation des sols, on engendre de la densité, et c'est pourquoi il faut construire en hauteur. En cela, les politiques municipales de végétalisation sont une pure catastrophe. Il faut aussi construire des logements plus petits", insiste l'ancien ministre du Logement. "Dans ce domaine, le logement intermédiaire est l'une des réponses, notamment à la désolvabilisation d'une partie de la clientèle. La problématique se pose dans les zones sous tensions, où il faut recréer un marché du logement intermédiaire, allant de 12 à 17 € le m² dans Paris."

 

Par ailleurs, la gentrification de la capitale est dorénavant considérée comme un phénomène indiscutable. Dans Paris, près de 9 acquisitions de logements anciens sur 10 sont effectuées par des catégories socio-professionnelles aisées (CSP+), qui regroupent concrètement les artisans, les chefs d'entreprises, les cadres et les professions intermédiaires. En 20 ans, la part des CSP+ dans le total des acquéreurs est passée de 60% en 1998 à 73% en 2018 à l'échelle de la région, et de 69% à 86% à l'échelle de la Ville Lumière. Ceci au détriment des employés et ouvriers, lesquels n'ont plus les revenus nécessaires pour se loger dans un tel contexte économique : en 20 ans, leur part dans le total des acquéreurs est passée de 27% à 19% à l'échelle de la région, et de 15% à 5% intramuros. Et, là encore, cette tendance risque de s'aggraver. Dernier point : les nationalités représentées dans les profils des acquéreurs. Dans la région capitale, les Portugais représentent 13,8% du total des acheteurs d'origine étrangère, talonnés par les Chinois, qui pèsent 12%. Toutes nationalités confondues, les investisseurs étrangers représentent 7,8% du total des acquéreurs dans Paris, un chiffre qui grimpe à 16,4% pour les Ier et IIIe arrondissements.

 

Où l'immobilier francilien s'arrêtera-t-il ?

 

"Pour les prochains mois, les paramètres ne devraient pas vraiment changer", estime Thierry Delesalle, notaire parisien. "Le carburant pour investir dans l'immobilier, autrement dit les taux d'intérêt, n'est pas cher, et la confiance des Français dans la pierre, considérée comme le placement-roi (à défaut de placements alternatifs plus intéressants), reste grande." Bien que la réforme des retraites qui s'annonce puisse être source d'inquiétudes, la part d'acquéreurs devrait toutefois continuer à progresser, et donc continuer à déséquilibrer le marché. "Les chiffres de la construction sont également en retrait en Île-de-France, et ils impactent aussi le marché. Enfin, il faudra surveiller le Brexit : nous avons beaucoup de dossiers de Français expatriés en Grande-Bretagne qui reviennent en région parisienne, pas forcément que dans Paris d'ailleurs. La tension du marché risque d'empirer et d'entraîner une tension des prix encore plus forte qu'aujourd'hui."

 

En conclusion des échanges, Benoist Apparu a rappelé que les décisions politiques, quelles qu'elles fussent, s'inscrivent dans le temps long : "La réalité des délais, c'est qu'une loi d'urbanisme, il faut une quinzaine d'années pour l'appliquer et obtenir les premiers résultats. Et on a clairement aujourd'hui des documents d'urbanisme en trop. Mais la réalité de ce qu'il faudrait faire, à savoir construire des logements plus petits et à plus forte densité, est complexe à tenir."

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