SANTÉ. Les besoins élémentaires ne sont pas encore assez pris en compte sur les chantiers, occasionnant ainsi une perte de productivité alors que des solutions existent. L'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics veut sensibiliser sur le sujet à travers une campagne de communication et des actions de terrain.

Aller aux toilettes, prendre une douche, faire une pause-déjeuner (à l'abri) : ce sont des besoins élémentaires, et pourtant les dispositions qui y sont relatives semblent encore loin d'être évidentes sur les chantiers. Du 9 octobre au 20 novembre 2023, l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) sera à la manoeuvre d'une nouvelle campagne de communication pour sensibiliser sur le sujet de l'hygiène dans le secteur de la construction.

 

 

La thématique est revenue sur le devant de la scène depuis l'année 2020 et l'apparition du Covid. "Le premier effet que je retiens est l'augmentation de la fréquence des nettoyages ; un changement très apprécié dans la profession", analyse Paul Duphil, secrétaire général de l'organisme. Aujourd'hui, la situation varie cependant sensiblement d'une entreprise à une autre : tandis que certaines ont conservé ces acquis, d'autres considèrent qu'ils ne sont plus de leur ressort. "Il y a encore des marges de progrès dans le domaine et c'est pourquoi nous lançons une campagne de communication sur le sujet", poursuit le responsable.

 

Sensibilisation, enquêtes et diagnostics

 

Une campagne qui reste "classique" dans son format : des opérations de communication, des éléments d'information et de sensibilisation, ainsi que des actions de terrain. Le but : faire prendre conscience de cette problématique - "donner envie au lieu de contraindre" - et rappeler les solutions qui existent.

 

Des lettres de prévention et des affiches seront distribuées, pendant que des annonces seront publiées dans la presse et sur les réseaux sociaux, de même que des vidéos et des bannières publicitaires. Des webinaires devraient par ailleurs être organisés, le tout renvoyant vers un site Internet dédié : www.hygienebtp.fr. Quant aux actions de terrain, elles se traduiront par une enquête effectuée auprès des compagnons lors de leurs visites médicales, et par quelque 200 diagnostics réalisés in situ qui laisseront place à des préconisations sur-mesure.

 

L'OPPBTP peut compter sur le soutien d'un grand nombre de partenaires, publics comme privés : la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment), la FFB (Fédération française du bâtiment), la FNTP (Fédération nationale des travaux publics), Acim-DLR (Association des constructions industrialisées et modulaires, membre de la Fédération des distributeurs, loueurs et réparateurs de matériels de BTP et manutention), les syndicats CFDT, CFE-CGC, CGT ou FO, la DGT (Direction générale du travail), la Cnam (Caisse nationale de l'assurance maladie), la Carsat (Caisse de l'assurance retraite et de la santé au travail), l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité) ou encore les SPST-BTP (Services de prévention et de santé au travail du BTP).

 

"Il nous reste des enjeux culturels sur l'hygiène à dépasser dans le BTP"
-Paul Duphil

 

Ce ne sera pas de trop pour éveiller les consciences sur des besoins pourtant élémentaires. "Il nous reste des enjeux culturels sur l'hygiène à dépasser dans le BTP", estime Paul Duphil. "Il y a de fortes interactions entre l'hygiène corporelle, alimentaire, mentale et environnementale", renchérit Malika Benamar, responsable des organisations de chantiers à l'OPPBTP. "Les bases-vie et les installations d'hygiène font partie des mots-clés que nous avons identifiés ; il y a également les problématiques de l'eau et des toilettes, des pauses et des repas, et des vêtements de travail."

 

Si les entreprises se sont fortement mobilisées sur ces sujets durant la pandémie de Covid, il semblerait malheureusement que les enseignements qu'on a pu en tirer sont aujourd'hui parfois bien lointains. Et ce, alors que "ces enjeux renvoient à la dignité des personnes, au respect des règles juridiques et peuvent altérer l'image du chantier, de l'entreprise, et plus largement du BTP".

 

40% des chantiers n'ont pas d'installations hygiéniques correctes

 

Selon les chiffres de la Cnam, 40% des chantiers n'ont pas d'installations hygiéniques correctes ; 25% n'ont pas de base-vie mutualisée, raccordée et entretenue quotidiennement ; et 70% des chantiers de maisons individuelles sont dépourvues de cabines de toilettes. Un signal malvenu en 2023, a fortiori dans un contexte économique morose où la filière, qui compte déjà 1,4 million de salariés, recherche encore de la main-d'œuvre.

 

 

Or les talents de demain veulent pouvoir compter sur des conditions de travail dignes et agréables. "L'hygiène pour tous est aussi un gage de performance", reprend Malika Benamar. "Les jeunes ont plus d'attentes sur le parallèle dressé entre la vie personnelle et la vie professionnelle, la société évolue et les convergences sont plus importantes entre la santé publique et la santé au travail." Autrement dit, l'hygiène est donc aussi un facteur d'attractivité pour les 153.000 jeunes actuellement en formation dans la filière.

 

"L'hygiène est un moyen de lutter contre l'absentéisme"
-Sébastien Krajinovic

 

"Il faut aborder le sujet sous l'angle du gain plus que sous celui du coût : l'hygiène est un moyen de lutter contre l'absentéisme, car se laver les mains permet de lutter contre les épidémies de gastroentérite, de grippe… Et lutter contre l'absentéisme, c'est conserver sa capacité de production", témoigne Sébastien Krajinovic, directeur de la société Jarnias Paris. Sans oublier la lutte contre les TMS (troubles musculo-squelettiques) et les accidents du travail.

 

Les entreprises de la construction peuvent ainsi faire d'une pierre deux coups : préserver leur image de marque et motiver les jeunes à les rejoindre. "Les nouvelles générations étant de plus en plus exigeantes et les entreprises du BTP cherchant à recruter, c'est un vrai moyen d'attirer en prouvant que la profession n'est plus archaïque", ajoute le dirigeant, selon qui l'hygiène est un "pré-requis".

 

Des solutions adaptées à tous les chantiers

 

En 2022, un partenariat entre l'Acim-DLR et l'OPPBTP a permis de créer un groupe de travail sur l'ingénierie des installations de chantiers et de réaliser un guide pour rendre les installations "utiles, utilisables et utilisées". Pour Hervé Montagne, à la tête de la commission Sum (sanitaires et unitaires mobiles) de DLR, "le standard a augmenté depuis le Covid sur le marché des sanitaires", mais pour autant "la France est fort en retard sur les cabines de toilettes par rapport à ses voisins européens".

 

Pour rappel, il existe cinq familles de matériels d'hygiène sur chantier : les cabines sanitaires autonomes, les bases-vie modulaires, monoblocs, mobiles et démontables. "On estime qu'il faut un toilette à partir d'un compagnon sur un chantier", souligne Hervé Montagne, sachant que le coût moyen est de 6-7 € par jour de location.

 

La base-vie mobile est présentée comme une solution "tout en un" dans la mesure où elle peut comporter un vestiaire, un sanitaire, une douche et un réfectoire. Ces équipements bénéficient en outre d'une autonomie sanitaire et énergétique de plus en plus poussée, grâce à des réservoirs d'eau propre et des panneaux solaires bien utiles lorsqu'il n'y a pas de raccordement possible.

 

"Le marché de la cabine autonome a augmenté de 40 à 50% pendant le Covid, et il est resté à +30% depuis"
-Hervé Montagne

 

"Le marché de la cabine autonome a augmenté de 40 à 50% pendant le Covid, et il est resté à +30% depuis", note Hervé Montagne, preuve selon lui du potentiel du marché. "Le Covid a permis d'augmenter la surface des bases-vie par rapport au nombre de personnes, mais depuis ce chiffre a de nouveau baissé", nuance Pierre Bruneau, président de la commission normes de l'Acim.

 

D'après lui, "à chaque chantier, on trouve sa solution d'hygiène" puisque le système de modules et demi-modules permet d'adapter la configuration de l'équipement à la taille du chantier et au nombre de compagnons. Trois questions doivent au préalable être posées pour trouver la bonne réponse : est-ce que le chantier va durer moins ou plus de 4 mois ? Est-ce que le chantier est facilement accessible ou a-t-il des contraintes d'accès ? Et est-ce que les équipements sont raccordables ou pas ?

 

"Nous développons aussi des modules pour le personnel féminin, pour lesquels la demande est en progression ; des modules pour les poubelles, le lavage/séchage du linge, les produits et outils ménagers...", liste Pierre Bruneau. Autant de développements produits qui démontrent tout l'intérêt, pour les salariés comme pour les employeurs, de ces notions de bon sens. Reste l'aspect économique : en moyenne, une base-vie représente 1 à 2% du coût d'un chantier.

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