PATRIMOINE. La restauration d'un monument de fer forgé emblématique du XVIIIème siècle s'est faite selon la technique traditionnelle du repoussage-relevage sur tôle. Abîmée par les affres du temps, la grille est caractéristique de la veine créatrice des grands maîtres serruriers de l'époque. La remise en état d'une pièce artistique de grande valeur a également emprunté aux techniques modernes comme les relevés numériques et les maquettes 3D.

C'est un ouvrage qui concentre, à lui seul, toute l'excellence artistique du XVIIIème siècle, celui de Louis XV. Un roi qui aura même donné son nom à un style également appelé rocaille (ou rococo). Plus précisément, la grille d'honneur du château de Dampierre-en-Yvelines appartient au début de la série baroque. C'est donc peu dire que sa construction est ancienne, remontant au milieu du XVIIIème siècle, et que le temps a fait son œuvre, à savoir compromettre fortement la pièce originale, avec des éléments disloqués et des dorures effacées.

 

Grille château de Dampierre
L'ouvrage qui a été dessiné en 1758 marque l'idée de la recherche de transparence des propriétés aristocratiques après la grande période des domaines cachés par de hauts murs © Ateliers Saint-Jacques

 

Pour redonner toute sa splendeur à ce monument emblématique, qui se veut une véritable pièce architecturale, les Ateliers Saint-Jacques de la Fondation de Coubertin ont mené, pendant près de deux ans, sa restauration, dans le respect de la pièce d'origine.

 

Un ouvrage unique signé par un architecte de Louis XV

 

Ou tout au moins en lui étant le plus fidèle possible. Car l'ouvrage, dans sa conception originelle datant de 1758, garde une part de mystère : les dessins d'origine pensés par l'architecte de Louis XV Louis Adam Loriot se sont évaporés, ne demeurant qu'un seul et unique cliché photographique datant du début du 20ème siècle. Il n'existe ainsi pas de documentation antérieure aux années 1900. Il a donc fallu faire, dans la minutie, et l'analyse fine.

 

Car la grille du château de Dampierre-en-Yvelines est un ouvrage à nul autre pareil. "Nous avons affaire à un ouvrage tout à fait exceptionnel, car rares sont les pièces de ce niveau de qualité, explique Christophe Bottineau, architecte en chef des monuments historiques et maître d'œuvre du projet de restauration.

 

Grille château de Dampierre
La grille est le témoignage du style rocaille qui a caractérisé l'époque du roi Louis XV © Ateliers Saint-Jacques

 

Il s'agit d'un ouvrage majeur de son époque mais, malheureusement, son dessin ne nous est pas parvenu. Ce que l'on sait, c'est que ce genre de grilles marque un changement de rapport à la nature, avec l'ouverture des domaines sur l'extérieur, qui permet d'inclure le paysage lointain dans les perspectives intérieures. C'est une véritable cassure d'avec les grands murs d'antan, qui ne laissaient pas voir les propriétés, qui se dérobaient au regard. Désormais, l'on est sur la recherche de transparence, avec la démolition de murs et leur remplacement par des sauts-de-loup, ou fossés secs, pour que ni hommes ni animaux ne puissent pénétrer les domaines.

 

Grille château de Dampierre
Sur la grille de Dampierre-en-Yvelines figurent sur la partie haute les armes du duc de Luynes et la couronne Ducale © Ateliers Saint-Jacques

 

La grille va donc devenir cet élément qui clôt, mais qui, dans le même temps, est transparent et permet de voir, depuis l'intérieur du domaine, vers l'extérieur, vers les paysages, vers les lointains, vers le ciel, de même que les gens qui sont à l'extérieur peuvent voir à l'intérieur du domaine. Cette grille a été pensée par un architecte, ce qui donne bien la valeur de ce genre d'ouvrage. Si l'on regarde, par exemple, la grille qui ferme la cour du Palais de Justice à Paris, sur le boulevard du Palais, de la même manière, nous avons le nom de l'architecte et le nom du ferronnier qui exécute les travaux. Mais le dessin, c'est un dessin d'architecture, c'est une composition, ce n'est pas juste un ouvrage technique
."

 

Une pièce somptueuse de ferronnerie

 

Il s'agit d'un changement complet de rapport entre un château et son village, et son paysage, et ses abords. Aujourd'hui, l'on appose son nom sur notre sonnette. À l'époque, la grille est un lieu de démonstration pour dire chez qui l'on rentre, mais aussi un lieu d'information. Sur la grille de Dampierre-en-Yvelines figurent ainsi, sur la partie haute au-dessus de vantaux, les armes du duc de Luynes et la couronne ducale.

 

Grille château de Dampierre
L'ouvrage était dans un état de dégradation avancé, avec une forte corrosion et une altération des ornementations © Ateliers Saint-Jacques

 

En fonction de ses moyens financiers et de sa grandeur dans la hiérarchie sociale aristocratique, nous avons des grilles qui sont plus ou moins sophistiquées, en fonction de la richesse et de l'importance de la personne dans la société aristocratique. La famille de Luynes est, à l'époque, au plus près du roi et de la reine. La grille apparaît donc comme un ouvrage somptueux, pour montrer le rang de cette famille dans la société aristocratique de la deuxième moitié du siècle.

 

Une fragilité à restaurer dans les moindres détails

 

Il s'agit toutefois d'un ouvrage fragile, d'autant que cette grille, de vocabulaire rocaille, très sophistiquée, est sans doute la réutilisation d'une grille antérieure, pour partie au moins, sur les ossatures principales et les parties basses, qui n'ont pas le même mode d'exécution que les parties hautes. Elle se compose d'un jeu de barreaudage de fer carré, travaillé à chaud, avec une série d'ornements en métal.

 

Grille château de Dampierre
Les travaux de restauration ont été confiés aux ateliers Saint-Jacques de la Fondation de Coubertin © Ateliers Saint-Jacques

 

Par ailleurs, l'étude de l'ouvrage, par analyse critique et par comparaison avec d'autres ouvrages déjà restaurés et de facture similaire, montre que des éléments ont été refaits au XIXème siècle et au courant du XXème, et qui ne sont donc pas d'origine. Mais le premier constat fait lorsque les travaux de restauration sont décidés est clairement l'état de corrosion et d'altération extrêmement avancé de l'ouvrage, qui était pour partie en péril. La première étape a donc consisté en la dépose de l'ouvrage et son transport vers les ateliers Saint-Jacques.

 

Des modifications de valeur apportées au 19ème siècle

 

"Avec les équipes des ateliers, nous avons essayé de comprendre quels étaient les éléments originaux, les transformations et les altérations de la composition, avant de parler de l'état sanitaire, pour, petit à petit, comprendre que nous avions affaire à un ouvrage qui était du XVIIIème, mais sur lequel avaient été introduites des modifications au XIXème siècle, en raison d'une vaste campagne de remise à niveau du domaine de Dampierre dans les années 1840-1850, poursuit Christophe Bottineau.

 

Grille château de Dampierre
Les Ateliers Saint-Jacques sont à l'origine de la restauration du reliquaire de la Couronne du Christ pour Notre-Dame de Paris © Ateliers Saint-Jacques

 

Les modifications apportées sont cependant de très bonne facture. L'objectif a donc été de faire un état sanitaire détaillé, et de remplacer, en refaisant à l'identique, les ouvrages, principalement ceux en tôle de fer, parce que ce sont des éléments très fins qui se corrodent rapidement." Christophe Bottineau s'est appuyé, pour parvenir à la restauration à haute valeur ajoutée de la grille en fer forgé du château de Dampierre-en-Yvelines, sur le savoir-faire exemplaire des Ateliers Saint-Jacques.

 

Les Ateliers Saint-Jacques, un vivier de talents

 

Un véritable vivier d'art et de culture, qui fait partie de la Fondation de Coubertin, fondée en 1950, de la rencontre d'Yvonne de Coubertin et des compagnons du devoir. Aujourd'hui, le lieu forme chaque année une quarantaine de jeunes hommes et femmes de métiers, pour parfaire leur formation technique, avec une ouverture sur l'art et la culture. Les ateliers de maîtrise, pour leur part, comprennent 125 permanents, dispatchés dans des ateliers spécialisés : le bois, avec la menuiserie, et l'historique, le métal, avec la métallerie et la ferronnerie d'art, la pierre, avec la taille de pierre et la marbrerie, et puis la fonderie de Coubertin, pour le bronze.

 

Grille château de Dampierre
Les travaux ont mélangé la technique du repoussage sur métal aux méthodes très actuelles des relevés 3D © Ateliers Saint-Jacques

 

Ces quatre ateliers fonctionnent comme des entreprises, sans aucun passe-droit, ni financement public, et vont chercher des projets en répondant classiquement à des appels d'offres.

 

Travailler avec la méthode du repoussage sur métal

 

C'est dans cette configuration que les Ateliers Saint-Jacques ont gagné celui pour la restauration de la grille du château de Dampierre-en-Yvelines, mais aussi celui de la restitution, en 2008, de la grille royale du château de Versailles, qui avait disparu à la Révolution Française. L'on doit aussi aux ateliers le reliquaire restauré de la Couronne du Christ pour Notre-Dame de Paris, livré en décembre 2024. À Dampierre-en-Yvelines, la technique du repoussage sur métal a été le véritable garant de la restauration de la grille, en épousant une manière de faire au plus proche des méthodes originelles qui ont œuvré à la création de l'ouvrage.

 

Grille château de Dampierre
Cette pièce exceptionnelle a subi des transormations au 19ème siècle, sans toutefois en altèrer la qualité archicturale © Ateliers Saint-Jacques

 

"Ce savoir-faire épatant consiste, à travers une feuille de métal, à donner du volume à une ornementation, en ayant un résultat très fin, notamment, sur toute la partie du fronton de la grille, détaille José Fonseca, le directeur général de la Fondation de Coubertin. Si nous n'avions pas employé cette technique du relevage-repoussage, il aurait fallu créer des moules, et créer des éléments en fonte d'acier, ce qui aurait alourdi considérablement l'ouvrage. Cette technique, vieille de plusieurs siècles, continue aujourd'hui à être d'actualité, car elle nous permet, sur des ouvrages métalliques, de l'ornementer avec des éléments qui donnent du volume à cet ouvrage, sans forcément rajouter beaucoup de poids. La méthode est la même, quasiment, qu'au XVIème et XVIIème siècles.

 

Grille château de Dampierre
Le rendu final se veut le plus proche du dessin de son concepteur, l'architecte de Louis XV Louis Adam Loriot © Ateliers Saint-Jacques

 

Il s'agit d'abord de faire un développé à plat sur une feuille d'acier, en se basant sur le dessin, au préalable, avec la capacité de pouvoir travailler avec des scanners 3D, des imprimantes, ou du moulage, qui permettent ensuite de faciliter la prise de mesure, le relevé sur chantier, et, in fine, le travail de repoussage. Nous avons donc joint à cette technique, plusieurs fois ancestrale, en tout cas centenaire, des outils d'aujourd'hui, avec un geste, qui demeure, finalement, le même.

 

Grille château de Dampierre
La reproduction de gestes ancestraux a permis de retrouver le lustre d'une pièce maîtresse du 18ème siècle © Ateliers Saint-Jacques

 

Il existe, notamment chez les architectes des bâtiments de France, chez les passionnés de métier, une réelle volonté de faire perdurer les gestes et les savoirs, quand ces derniers ont du sens. Par exemple, aujourd'hui, il serait incohérent que nos jeunes menuisiers et ébénistes aplanissent toutes leurs pièces de bois au rabot et à la varlope, parce que c'est ce qui se faisait avant l'arrivée de la mécanisation dans les ateliers.
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Une grille entièrement démontée, sablée et décapée

 

La grille a été entièrement démontée, sablée et décapée dans les ateliers, avec, dès le départ de l'opération, la découverte d'ornementations beaucoup plus abîmées qu'escompté. Au total, 70% des ornementations ont dû être refaites avec de l'acier neuf, plus contemporain, tout en respectant le type d'acier utilisé à l'époque. La partie finition a consisté en la pose d'une peinture d'un coloris vert sombre, avec la pose de feuilles d'or sur les ornementations.

 

Grille château de Dampierre
La grille a été totalement démontée, sablée et décapée, avant d'être remise en place en février 2024 © Ateliers Saint-Jacques

 

Cette dernière opération, sous-traitée par les Ateliers Saint-Jacques, qui ne possèdent pas la maîtrise de cette technique, a permis, au final, un rendu au plus proche de l'état originel connu. Au total, un an de travaux, et 5.000 heures de travail, auront été nécessaires pour redonner toute sa splendeur à une grille, qui condense à elle seule le meilleur de deux époques : celle qui l'a vue naître, et celle qui l'a vue renaître.

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