CONJONCTURE. Les Entreprises générales de France du BTP (EGF.BTP) Île-de-France organisaient ce mardi 6 novembre des tables rondes sur le thème "Qui va construire le Grand Paris ?". Les différents intervenants se sont mis d'accord sur une chose : bien que le méga-projet francilien soit le "chantier du siècle" et qu'il brasse beaucoup d'opportunités, les professionnels doivent mieux anticiper et se coordonner afin d'éviter les risques économiques. Focus.

"Si l'on continue sur la tendance actuelle, Paris sera en 2019 la première métropole mondiale en termes d'investissements." C'est par ces paroles très encourageantes qu'Alexandre Missoffe, directeur général de l'organisation Paris Île-de-France Capitale économique, a introduit les tables rondes organisées par la délégation EGF-BTP de la région parisienne ce mardi 6 novembre. Au sein des locaux de la Fédération française du bâtiment (FFB), la branche dédiée à la construction des Entreprises générales de France avait convié plusieurs intervenants pour débattre sur deux thèmes : en premier lieu, "Quelles ambitions pour quels projets du Grand Paris ?", et ensuite, "Quelles solutions pour répondre à ces défis ?".

 

Dynamiser la région et rayonner à l'étranger

 

"On accueille aujourd'hui de nombreuses délégations internationales, qui sont intéressées par le modèle économique et la structure politique et administrative qu'est le Grand Paris", a poursuivi Alexandre Missoffe. Lancé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, conforté sous celle de François Hollande, et réaffirmé sous celle d'Emmanuel Macron, le méga-projet d'aménagement du territoire francilien, qui se traduit notamment par la construction de 200 km de lignes de métro du Grand Paris Express, se fixe un objectif : désenclaver les territoires, favoriser les flux et les échanges de personnes, de biens et de services, de connaissances et de compétences. Le tout pour obtenir un périmètre dynamique à l'échelle régionale et non plus seulement à l'échelle de la capitale, et faire de l'Île-de-France une vitrine de l'excellence française à l'international. "Nous devons à terme construire une métropole plus soutenable et plus attractive", a conclu Alexandre Missoffe, avant de passer la parole aux intervenants de la première table ronde.

 

 

Les JO, un challenge stimulant... à 7 milliards d'euros

 

Parler de la métropole du Grand Paris est une chose, mais formuler des ambitions et concrétiser des projets en est une autre. Si la méga-collectivité est assurément un vecteur de transformation du territoire, de lourdes échéances pèsent sur ses épaules, à commencer par les Jeux Olympiques de 2024. En effet, au 1er janvier 2024, la métropole devra livrer ses projets de constructions et d'ouvrages d'art en vue de l'évènement sportif. Cette échéance internationale de grande ampleur illustre l'intérêt d'une structure comme le Grand Paris, qui pourra à cette occasion se transformer en vitrine pour l'étranger. Sauf que des problématiques plus terre-à-terre ne doivent pas être perdues de vue : les JO, c'est aussi une facture (pour l'heure) d'environ 7 milliards d'euros d'après les autorités organisatrices, avec un probable dépassement des coûts de l'ordre de 500 millions d'euros selon un rapport de l'Inspection générale des Finances sur le sujet. Même si l'évènement olympique peut être au passage l'occasion de répondre à des enjeux urbains et d'aménagement du territoire, les collectivités doivent pouvoir financièrement s'aligner sur un tel budget.

 

"Penser au quotidien mais également au long terme"

 

Car les enjeux de la ville d'aujourd'hui et de demain ne manquent pas : "L'objectif, c'est de recréer à l'échelle nationale un marché du logement intermédiaire à hauteur de 100.000 unités par an dans les 10 ans qui viennent", pointe notamment Benoist Apparu, président du directoire d'In'li, une filiale du groupe Action Logement. "Et ces opérations de logements sont intimement liées au développement des infrastructures de transports." Hébergement et mobilité des citoyens constituent donc deux sujets indissociables, ce que confirme Christine Leconte, présidente du Conseil régional d'Île-de-France de l'Ordre des architectes : "Penser au quotidien mais également au long terme, c'est un travail que l'on doit faire tous les jours. Il nous faut intégrer un ensemble d'enjeux économiques, sociaux et environnementaux à la problématique du logement. Le rôle des architectes dans tout cela, c'est de préserver la qualité des projets de construction."

 

Pour ce faire, des pistes de réflexion seraient à creuser selon la présidente du Croa de la région parisienne : par exemple, privilégier les filières courtes pour la production et l'acheminement des matériaux et des ressources nécessaires. "Nous pouvons resituer tout cela à une échelle locale. Dans la même idée, il faut replacer les gares du Grand Paris Express dans leurs territoires respectifs : ce sont des infrastructures qui s'inscrivent dans un contexte urbain." Et de conclure : "L'enjeu est d'avoir plus de matière grise sollicitée pour moins de matières premières utilisées entre les phases de conception et de réalisation."

 

Un décalage entre l'outil de production et les besoins de production

 

Ainsi, les réflexions sur le logement ne manquent pas, dans une conjoncture où l'offre et la demande sont en décalage. "On assiste à une explosion complète de tous les types de productions en Île-de-France", reprend Benoist Apparu. "En 2012, nous produisions 42.000 logements par an en région parisienne. Aujourd'hui, en 2018, nous en construisons plus de 100.000 chaque année. Certes, c'est un résultat extraordinaire au regard des besoins de l'Île-de-France, mais nous avons quand même un problème : il y a un décalage entre l'outil de production et les besoins de production. L'outil, à l'heure actuelle, est en mesure de construire environ 65.000 logements par an. Il est par conséquent en surchauffe."

 

Les difficultés d'adaptation entre l'offre et la demande engendrent de fait la montée des prix observée aujourd'hui dans le secteur. La capacité de production de masse serait néanmoins assurée pour les 10-15 ans à venir. Et l'ancien ministre du Logement de terminer son analyse en évoquant un projet ancien mais intéressant : "Je n'ai qu'un regret pour le projet du Grand Paris : c'est l'abandon, du moins la mise en suspens, de l'idée de créer une ville continue entre Paris, Rouen et Le Havre, qui aurait pour 'rue principale' la Seine. Napoléon, lorsqu'il était Premier consul, avait été le premier à évoquer cette ambition. L'objectif étant de doter Paris d'un port ouvert sur le monde."

 

"La qualité sociale ne doit pas devenir la variable d'ajustement"

 

Au-delà des grands chantiers promus à l'époque bonapartiste, le logement est malgré tout confronté aujourd'hui à des difficultés concrètes. "Le vrai problème du logement à l'heure actuelle, c'est l'explosion du foncier dans Paris intra-muros et en Petite Couronne", note Jean-Luc Porcedo, directeur général Villes & Projets chez Nexity. Mais Christine Leconte, quant à elle, insiste une nouvelle fois sur la notion de qualité : "La qualité sociale ne doit pas devenir la variable d'ajustement, et c'est parfois ce que l'on peut reprocher à la conception-réalisation."

 

La transition était toute trouvée avec la seconde table ronde, consacrée aux solutions à mettre en œuvre pour tenter de répondre à ces défis. Max Roche, président d'EGF-BTP, livre son analyse : "Le marché repart fortement en Île-de-France, d'où effectivement une forte pression sur les entreprises, qui aboutit à une pénurie de main-d'œuvre, de moyens, d'engins et de matériaux. Les EGF ont constaté une hausse d'environ 10% de leurs prix de revient ; c'est pourquoi nous demandons aux maîtres d'ouvrage et aux promoteurs de jouer la transparence pour qu'elles puissent planifier leurs coûts."

 

L'anticipation serait ainsi devenue le premier impératif des professionnels du bâtiment. Sauf que les maîtres d'ouvrage plaident eux aussi pour une prise en compte de leurs difficultés : "On est aujourd'hui dans un goulet d'étranglement", avertit Patrick Tondat, directeur général adjoint des services en charge des lycées à la région Île-de-France. "Il manque 20.000 places dans les lycées de la région parisienne suite au baby-boom des années 2000. Nous devons donc construire de nouveaux établissements, mais les projets proposés sont coûteux, et nos budgets ne sont pas extensibles !"

 

Anticipation, lucidité et collaboration, les 3 maîtres-mots

 

Christophe Bacqué, le président d'Emerige Résidentiel, souligne pour sa part les prévisions qui se profilent : "On nous annonce pour 2019 une baisse de 20% de la production de logements en Île-de-France." Une tendance qui doit être pris au sérieux pour certains, mais que d'autres évacuent en mettant en avant les opportunités induites par le Grand Paris. "Les prix ont certes augmenté de 10% mais après avoir baissé de 10% il y a quelques années, donc finalement ils se rééquilibrent", tempère Pierre Paulot, directeur de la maîtrise d'ouvrage chez Immobilière 3F, une autre filiale du groupe Action Logement. "Il y a tout un contexte à prendre en compte, avec une échéance électorale qui se rapproche : celle des municipales de 2020. Dans cette optique, certaines collectivités gèlent leurs chantiers. Mais le projet du Grand Paris et l'échéance des JO sont de formidables opportunités pour notre profession, et nous devons les saisir avec enthousiasme."

 

En conclusion de ces échanges, Max Roche a insisté sur la visibilité à long terme dont doivent pouvoir bénéficier les professionnels du bâtiment : "Il faut de l'anticipation de la part du maître d'ouvrage en amont du projet, ainsi que de la lucidité et de la collaboration chez l'ensemble des acteurs. Nous, entreprises générales, avons un rôle économique et social à jouer, et nous ne pouvons le jouer que dans de bonnes conditions."

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