DOUTES. La loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc) introduit le permis d'expérimenter et la réécriture du Code de la construction et de l'habitat. Les acteurs de la sécurité incendie, réunis en colloque le 18 octobre 2018, s'affirment en faveur du dispositif mais regrettent la brièveté du délai imposé par le texte.

La loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), promulguée cet été, prévoit notamment la création d'un permis d'expérimenter. Celui-ci permettra aux constructeurs de déroger à certaines réglementations (incendie, acoustique, accessibilité, thermique...) dans un souci de débrider l'innovation et construire "plus vite, mieux, moins cher". Il débouchera sur la réécriture d'une partie du Code de la construction et de l'habitat (CCH). Mais la rapidité avec laquelle ces évolutions - accueillies plutôt favorablement sur le fond - devront être opérées suscite des doutes, et même de l'inquiétude, chez certains acteurs. C'est notamment le cas pour les professionnels de la sécurité incendie, réunis au cours d'un après-midi de débats, le 18 octobre 2018, à l'initiative du Groupement technique français contre l'incendie (GTFI).

 

"La loi Essoc habilite l'État à prendre deux ordonnances", a rappelé en préambule Emmanuel Acchiardi, sous-directeur à la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). "La première ordonnance, qui instaure un permis d'expérimenter, est déjà préparée, elle est actuellement en Conseil d'État [lire notre article ici, NDLR]. La seconde, qui viendra remplacer la première, constitue la réécriture du CCH." Elle devra être prise avant le 10 février 2020, date qui correspond à un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la loi Essoc.

 

Un délai de six mois pour repenser la réglementation

 

L'initiative sera copilotée par l'État et le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), qui réunit les acteurs du secteur de la construction. Si elle a le soutien de nombreux professionnels qui se plaignent de la complexité réglementaire ambiante, une première question se pose, c'est celle du respect des délais. Est-il envisageable de revoir la philosophie, la cohérence d'une réglementation, en quelques mois seulement ? Philippe Estingoy, directeur général de l'Agence qualité construction (AQC), répond clairement "Non". "Je partage l'ambition de cette loi qui souhaite substituer un objectif de résultat à l'objectif de moyens. Toutefois, je ne crois pas que nous serons prêts pour l'ordonnance 2. Nous ne pouvons pas faire les choses proprement dans ce délai." Et, d'après lui, cela sera d'autant plus vrai en matière d'incendie, sujet particulièrement complexe. "L'une des difficultés c'est que le résultat de l'expérimentation viendra très tard. Nous pouvons démontrer sur le papier que l'on va atteindre un objectif de résultat ; mais pourra-t-on faire le constat qu'on l'a réellement atteint ? C'est plus compliqué en matière d'incendie. On fera peut-être le constat qu'à un moment donné, dans plusieurs années, l'une des constructions autorisées dans le cadre de ce permis d'expérimenter connaîtra le même sort que la tour Grenfell."

 

 

"C'est une gigantesque réflexion de fond"

 

Pour rappel, en matière d'incendie, la loi Essoc ouvre le permis d'expérimenter à deux domaines : le désenfumage et la résistance au feu. Malgré tout, les professionnels de la sécurité incendie sont prudents. "Je suis favorable à cette réforme, mais j'ai des doutes", affirme ainsi Laurent Fuentes, chef du bureau prévention à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. "Pour l'ordonnance 2, nous ne disposons que de quinze mois, qu'il nous faut d'ailleurs ramener à six mois de travail effectif. Cela paraît extrêmement court quand on voit l'ampleur de la tâche. Car il s'agit ni plus ni moins que de retraduire la sécurité incendie en termes d'objectifs, c'est une gigantesque réflexion de fond."

 

Le permis d'expérimenter ne concernera qu'une part minime des projets de construction

 

Pour rassurer les acteurs, la DHUP a en tout cas rappelé que le permis d'expérimenter de la loi Essoc n'a été pensé que pour faciliter la réalisation d'une poignée de cas. Le système de substituer l'objectif de résultats à l'objectif de moyens n'a pas pour vocation à devenir la norme, loin de là. "Nous imaginons que dans 98% des cas, les professionnels travailleront comme ils le font aujourd'hui [c'est-à-dire en suivant les réglementations prescriptives, NDLR]. Ce que nous cherchons à faire avec Essoc, c'est à ne pas brider les 1%, 2%, et j'espère plus, d'innovations qui ne peuvent pas se développer dans le contexte réglementaire actuel." Un élément va dans le sens de cette analyse : alors qu'une première version du permis d'expérimenter existe depuis 2016 et la loi Cap, aucun professionnel n'a encore souhaité l'utiliser.

 

Autre critique formulée à l'égard du permis de déroger : l'innovation ferait aujourd'hui déjà partie des mœurs dans le secteur de la sécurité incendie. "Nous n'avons pas attendu Essoc pour être intelligents sur le terrain", a ainsi assuré Régis Cousin, président de la Fédération française des métiers de l'incendie (FFMI). "La réglementation pose un cadre, et il y a toujours nécessité d'adapter plus ou moins finement le dernier pourcent du projet. Cette intelligence-là se développe depuis bien longtemps. La loi Essoc va venir l'institutionnaliser. Mais n'arriverons-nous pas alors à l'effet inverse, en ajoutant une couche au millefeuilles ?" C'est quoi qu'il en soit les acteurs de la construction eux-mêmes qui décideront du succès de ce dispositif... en premier lieu en en faisant usage !

 

Immeubles de moyenne hauteur : le neuf et l'existant seront audités
L'autre sujet d'actualité concernant la sécurité incendie est la loi Elan, et l'introduction des immeubles de moyenne hauteur (IMH, 28-50 mètres), qui remplaceront les immeubles de quatrième famille.

 

"Les travaux neufs et de rénovation concernant les IMH seront soumis à autorisation et vérification de la conformité en matière de réglementation incendie", nous a informé Anne Voeltzel-Lévêque, directrice sécurité, structures et feu au CSTB, le 18 octobre 2018 à l'occasion d'un colloque organisé par la Société des ingénieurs de la protection incendie (SFPE France). "Aujourd'hui, ce n'est pas le cas pour les immeubles d'habitation de la première à la quatrième famille. Nous attendons à présent les décrets et arrêtés qui viendront préciser ce qu'est exactement un IMH et le niveau d'exigence demandé en matière de risque de propagation du feu par les façades."

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