ASSURANCE CONSTRUCTION. Alors que l'effondrement de la société Elite insurance vient de frapper de nullité 60.000 contrats en France, le ministère de l'Économie explique auprès de Batiactu les pistes qu'il envisage pour que ce genre de situations ne se reproduise pas.

Du jour au lendemain, 60.000 contrats d'assurance français ont été résiliés, issus du portefeuille d'Elite insurance, assureur basé à Gibraltar, actif plusieurs années en France dans l'assurance construction. L'entité se retrouve aujourd'hui placée en quasi-liquidation. "Jusque là, il ne restait que des contrats insolvables [Elite ayant été déclarée insolvable fin 2019, NDLR]. Aujourd'hui il n'y a plus de contrats du tout", résume Christian Bellissen, l'un des responsables du blog Insurwatch, spécialisé sur la question des difficultés rencontrées par certains assureurs intervenant en libre prestation de services (LPS). L'ACPR, gendarme français des assurances, a en effet communiqué le 16 septembre 2020 la décision des assureurs d'Elite de ne plus prendre en charge tout sinistre déclaré à compter du 15 septembre 2020 - les sinistres ayant été déclarés précédemment, et qui n'ont pas encore été traités, ayant très peu de chance de l'être.

 

La France veut "aller plus loin" pour améliorer la supervision des assureurs dans l'UE

 

Le ministère de l'Économie, contacté par Batiactu, observe que la décision prise par la Cour suprême de Gibraltar, concernant Elite, "confirme l'insolvabilité de l'assureur, comme on pouvait le craindre". En réponse, les pouvoirs publics sont toujours dans l'optique de "renforcer la coordination des autorités de supervision et mieux contrôler les activités transfrontalières d'assurance en Europe". La France considère avoir obtenu de premières avancées "lors de la revue des autorités de supervision européennes en 2019", et compte dans les prochaines semaines faire des "propositions" à la Commission européenne "pour aller plus loin, avec plusieurs de nos partenaires". Elles "pourraient trouver leur place dans la révision de la directive Solvabilité 2 qui s'engage".

 

 

Au plan national, l'État nous indique soutenir la proposition de loi de la députée Valéria Faure-Muntian, déposée début 2020, instaurant la création d'une association professionnelle permettant aux courtiers de pratiquer une forme d'auto-régulation. Objectif : faire en sorte qu'à l'avenir des contrats ne soient pas placés auprès d'acteurs n'ayant pas les reins assez solide pour tenir leurs engagements assurantiels. La création de cet organisme, initialement prévue dans le cadre de la loi Pacte, avait été retoquée en mai 2019 par la conseil constitutionnel. "Sur le plan national, l'enjeu est aussi que les réseaux de distribution prennent la mesure exacte des risques des produits qu'ils proposent", précise Bercy.

 

Une décision rendue possible par le droit de Gibraltar

 

Comment cette décision de résiliation subite de 60.000 contrats a-t-elle été rendue possible ? "A Gibraltar, en droit des faillites, le liquidateur a la possibilité de dénoncer les contrats à partir d'une certaine date", explique Christian Bellissen. "Ce mécanisme avait déjà été utilisé fin 2016 par le liquidateur d'Enterprise, assureur basé à Gibraltar et actif, en LPS, en assurance auto." Les conséquences d'une telle décision ont un tout autre poids, toutefois, lorsqu'elle est prise en assurance construction où les garanties courent jusqu'à dix ans.

 

Pour Esther Bendelac, avocate au barreau de Paris, la situation d'Elite depuis juillet 2017, à savoir l'interdiction de souscrire de nouveaux contrats (situation de 'run-off'), ne laissait la porte ouverte qu'à deux types de scénarios. "Soit des tiers réinjectent dans la société des fonds considérables pour rétablir la solvabilité", explique-t-elle à Batiactu. Soit cela n'est pas le cas, l'activité ayant alors de grandes chances de finir par capoter. En effet, la société ne dégage plus de revenus supplémentaires, ne souscrivant plus, et n'a déjà pas les moyens d'assurer ses engagements initiaux (si tel avait été le cas, elle n'aurait pas été placée en run-off). "Le run-off signifie que vous n'avez plus d'activité que sur les contrats en cours, et dans le secteur de la construction vous vous situez dans une récurrence lente, l'assureur doit être présent tout au long des dix années. Or les exemples passés montrent que les compagnies qui se trouvent dans cette situation n'ont pas suffisamment de fonds pour régler les sinistres sur la période. Elles se retrouvent sur l'autoroute vers la liquidation", analyse Esther Bendelac.

 

Quelles pistes pour les entreprises et maîtres d'ouvrage touchés ?

 

Y a-t-il encore de l'espoir pour les assurés, dont le sinistre avait déjà été déclaré, de récupérer quelque chose ? Les administrateurs d'Elite fournissent quelques pistes sur un site dédié. "Les procédures déjà en cours devraient logiquement entrer dans le champ de la faillite, mais il y a de fortes chances pour que cela revienne à des portions extrêmement congrues", estime Christian Bellissen.

 

Pour ce qui est du passé inconnu, c'est-à-dire les sinistres qui ne se sont pas encore produits, une première solution est à envisager : replacer les risques auprès d'autres assureurs, moyennant une surprime - il faut donc payer deux fois pour couvrir le même risque, ce qui n'est pas à la portée de toutes les bourses, pour par exemple une dommages ouvrage. "La nouvelle compagnie d'assurance qui reprend le passé couvre un risque dont le fait générateur est antérieur à la souscription", décrypte Esther Bendelac. "Elle n'a pas initialement pris le risque, ne l'a pas coté, elle majore donc la prime." Une autre solution pourrait être de se retourner vers son courtier, ou d'autres intervenants du chantier s'il y en a, et s'il sont eux-mêmes bien assurés. Mais il faut s'attendre, dans ce cas, à une bataille juridique probablement longue et coûteuse.

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