SOCIAL. Les artisans du Jura ont exprimé leur mal-être lors d'une récente manifestation. En cause ? De nombreuses mesures gouvernementales qui les inquiètent fortement.

Ils étaient 350 à battre le pavé à Lons-le-Saunier, dans le Jura. Le 7 septembre 2023, des centaines d'artisans du Bâtiment ont terminé leur journée de travail par une manifestation, organisée par l'antenne locale de la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) et la CNATP (Chambre nationale des artisans des travaux publics et du paysage). Ils se sont rassemblés sur la place de Verdun, où ils ont déversé dans l'espace public leurs déchets, triés. Ils ont ensuite entamé une marche vers la préfecture et y ont déposé un cercueil. "Il symbolise la mort de l'artisanat", explique d'un ton grave Emilien Michel, vice-président de la Capeb du Jura, joint par Batiactu.

 

"C'est la plus grande mobilisation des artisans dans le département depuis 30 ans", affirme-t-il. Les professionnels du secteur de la région dénoncent "une série de mesures injustes et inefficaces" qui impacteraient leurs activités.

 

GNR, TVA, MaPrimeRénov'…

 

La fin de la défiscalisation du gazole non-routier (GNR), qui s'appliquera progressivement à partir de 2024 et jusqu'à 2030 pour le BTP, "agace fortement" les artisans. "Il n'existe pas encore de véhicules électriques adaptés à nos métiers et quand je vois le prix de l'électrique aujourd'hui, c'est beaucoup trop élevé pour une petite entreprise", pointe Emilien Michel.

 

Artisans Bâtiment en colère Jura
Les artisans du Bâtiment fustigent plusieurs mesures envisagées par le gouvernement. © Pascale Negri

 

La Capeb Jura fustige aussi la préconisation de la revue des dépenses publiques de supprimer la TVA à 10% sur les travaux de rénovation non-énergétique des logements de plus de deux ans. La mesure n'est pas adoptée mais l'Etat l'envisage dans son budget 2024.

 

"Cela voudrait dire que la main d'œuvre nous coûterait plus cher mais cette hausse serait difficilement applicable sur nos prix car le budget de nos clients n'est pas extensible", prévient Emilien Michel. Le chef d'entreprise estime que cette mesure, si elle était adoptée, serait un nouveau coup dur pour le Bâtiment, qui a traversé plusieurs crises consécutives ces dernières années.

 

De nombreux sujets brûlants

 

"Nous sommes aussi en colère par le manque de points de collecte de déchets, alors que nous payons la REP Bâtiment [entrée en vigueur en 2023]. Il n'y a presque aucun point de reprise dans le Jura. Nous avons pourtant proposé des endroits à la préfecture et aux éco-organismes mais nous n'avons aucune nouvelle de leur part", assure le vice-président de la Capeb locale.

 

Artisans Bâtiment en colère Jura
Un cercueil a été déposé devant la préfecture du Jura. © Pascale Negri

 

L'autre point de tension, c'est le potentiel élargissement de l'aide MaPrimeRénov' aux "bricoleurs chevronnés", comme l'avait suggéré une porte-parole de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) au journal Le Monde pour parler des passionnés de bricolage qui mèneraient eux-mêmes les travaux dans leurs maisons. Sans surprise, la proposition déplaît fortement à la Capeb Jura. "Le gouvernement se plaint qu'il n'y a pas assez d'entreprises qualifiées pour effectuer les travaux mais c'est normal. La mention 'Reconnu garant de l'environnement' (RGE) est trop compliquée à obtenir pour une entreprise. Nous demandons à ce que l'Etat simplifie les dossiers RGE, afin d'éviter que des bricoleurs, dont des auto-entrepreneurs multi-services, ne gèrent ces travaux", précise Emilien Michel.

 

Problème de recrutement

 

À toutes ces problématiques, s'ajoutent celle du manque de main-d'œuvre dans la région. Les entreprises connaissent, comme dans le reste de l'Hexagone, des problèmes de recrutement. En cause notamment ? "La Suisse, qui propose des salaires plus élevés qu'en France", soupire Emilien Michel. Il prédit, dans un avenir proche, l'accélération des départs des artisans vers ce pays voisin, et des "dépôts de bilan" dans le Jura.

 

Vingt-deux entreprises du département ont déjà cessé leur activité ou déposé le bilan depuis janvier 2023. "Nous n'avions jamais vu cela en si peu de temps. Les chefs d'entreprises en ont ras-le-bol. Ils travaillent 70 à 80 heures par semaine, se sentent débordés, paient beaucoup de charges et passent à côté de leur vie de famille. C'est parfois trop lourd à porter. Même moi, après 18 ans à mon compte, je me pose des questions."

 

Artisans Bâtiment en colère Jura
Beaucoup d'artisans connaissent une situation professionnelle difficile, selon la Capeb Jura. © Pascale Negri

 

Un message de soutien a alors été adressé à ceux connaissant une situation professionnelle difficile. Tous les participants de la manifestation ont, ainsi, versé un chèque de 10 euros à l'Apesa (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë). "Beaucoup de collègues sont en réelle détresse. Ce geste exprime notre soutien à ceux qui souffrent et notre ouverture à la discussion, en cas de besoin."

 

"Nous avons toujours travaillé"

 

Comme lui, les participants à la manifestation se sentent résignés mais ils espèrent toutefois que cette mobilisation fera bouger les lignes. Mais que demande concrètement la Capeb Jura aux pouvoirs publics ? "D'arrêter de tuer l'artisanat du BTP", répond Emilien Michel. "Sans vouloir faire les Calimero, nous avons l'impression que l'on s'acharne sur nous alors que nous avons toujours travaillé, même durant la pandémie de Covid-19." Le porte-parole aimerait que les autorités cessent "de privilégier les grands groupes". "Nous avons le sentiment que l'Etat les soutient davantage."

 

Il s'inquiète aussi de la baisse de la construction neuve, qui devrait impacter leurs activités prochainement. Selon lui, l'augmentation des prix des matériaux et la guerre en Ukraine ont affaibli les artisans. "Aujourd'hui, les prix continuent de grimper mais on ne sait pas trop pourquoi..."

 

 

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