CONJONCTURE. Très inquiètes de la baisse des "coûts-contrats" qui se profile pour les formations en apprentissage, les Chambres de métiers et de l'artisanat craignent de fortes répercussions pour les cursus et, partant, pour les entreprises artisanales. Une morosité partagée par les entrepreneurs, tiraillés entre pessimisme et optimisme.

En cette rentrée 2023, les Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) tirent la sonnette d'alarme. Alors qu'une baisse des niveaux de prise en charge (NPEC) des "coûts-contrats" de l'apprentissage est envisagée par le Gouvernement, qui cherche à faire 540 millions d'euros d'économies dans le système de formation professionnelle, le réseau consulaire craint de fortes répercussions pour le financement des cursus et, partant, pour les entreprises artisanales.

 

 

"Je voudrais placer cette rentrée sous le signe de l'inquiétude et de la combativité car il faut à mon sens sauver le système de l'apprentissage dans l'artisanat", lance Joël Fourny, président de CMA France. La question des coûts-contrats devrait être tranchée dans les prochains jours, mais le responsable considère que l'avenir des petites entreprises passe clairement par la formation professionnelle.

 

"Je le dis très solennellement : c'est l'apprentissage qui est en péril si nous maintenons les coûts tels qu'ils sont annoncés aujourd'hui, et par ricochet un grand nombre d'entreprises artisanales seront menacées de faillite. Nous sommes dans une situation d'alerte rouge, et je pèse mes mots", ajoute Joël Fourny.

 

Le CAP plombier menacé

 

Concrètement, des CAP (certificats d'aptitude professionnelle) pourraient voir leurs financements baisser de 8%, à l'image des formations de plombier ou de vitrailliste. Les professionnels rappellent qu'un certain nombre de métiers artisanaux sont pourtant en tension et que l'apprentissage peut justement remédier à cette problématique.

 

La situation est d'autant plus paradoxale que la réforme de 2018 - loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel - est saluée par les acteurs pour ses "résultats extrêmement positifs" et qu'un réel mouvement a depuis été amorcé : la barre symbolique des 200.000 apprentis a d'ailleurs été franchie au niveau national.

 

"Je ne comprends pas pourquoi nous sommes en train de voir les choses différemment, au risque de casser la dynamique en place", reprend Joël Fourny. "Cela fait des années que nous répétons que l'apprentissage n'est pas une dépense mais un investissement, pour l'avenir de nos jeunes, de nos métiers et de notre économie."

 


"Cette décision est injuste, incompréhensible et inacceptable"

 


Aux dires de CMA France, 57% des formations menacées deviendraient déficitaires si cette réforme passait, ce qui représenterait 55% de ses effectifs actuels d'apprentis. Le réseau pourrait alors se trouver contraint de faire des économies, et donc de perdre en qualité de formation.

 

"Cette décision est injuste, incompréhensible et inacceptable. D'autant plus quand on sait que le besoin de main-d'œuvre est extrêmement important, qu'il y a un enjeu de reprise des entreprises, et que le président de la République vise l'objectif d'un million d'apprentis en France", déplore le président de l'organisation.

 

Les CFA aux effectifs les plus faibles et ceux situés en zones rurales menacés

 

 

Plusieurs courriers officiels, cosignés avec d'autres organisations professionnelles, ont été envoyés cet été aussi bien à Emmanuel Macron qu'à Élisabeth Borne, et les réponses se font maintenant attendre. Le réseau consulaire se dit prêt à revoir la méthode mais dénigre une approche purement comptable du sujet.

 

Et de mettre en garde : "Le pire des scénarios nous amènerait à ne plus signer de contrats d'apprentissage dans les formations déficitaires lors de la prochaine campagne de recrutements, en mars 2024. Comment l'imaginer ? Donnez-nous les moyens de continuer à former !", plaide Joël Fourny.

 


"Que veut-on produire comme compétences en France ?"

 


"S'il n'y a pas d'apprentis, il n'y aura pas de chefs d'entreprises pour reprendre les 700.000 entreprises artisanales à céder dans les 10 prochaines années", abonde le directeur général de CMA France, Julien Gondard. Rien que dans le bâtiment, et d'après une étude de 2021, de 43.000 à 46.000 entreprises ont été potentiellement fermées, faute de repreneurs. Et ce, alors que 70% d'entre elles étaient en bonne santé financière au moment de leur cession.

 

"La question est simple : que veut-on produire comme compétences en France, et que veut-on donner comme perspectives aux entreprises artisanales en France ? S'il n'y a pas une approche stratégique, la conséquence sera une coupe arithmétique. On ne connaît pas de structure, dans un monde libéral, qui puisse survivre avec des pertes d'exploitation. Et à partir du moment où nous serons dans une logique gestionnaire, nous fermerons les centres de formation les plus éloignés", ajoute Julien Gondard.

 

Autrement dit, les CFA aux effectifs les plus faibles et ceux situés en zones rurales seraient les premières victimes d'une telle décision. Le Gouvernement aurait rétorqué à CMA France que celle-ci était déjà dans les tuyaux depuis plusieurs mois, mais le réseau assure avoir répété depuis autant de temps qu'il fallait reporter cette baisse des NPEC et organiser une véritable concertation sur le financement de l'apprentissage, en négociant les coûts-contrats directement avec les branches, sur la base de leurs besoins et en pilotant le tout de manière stratégique.

 

Sécuriser et stabiliser

 

En attendant de voir ce qu'il ressortira de ce bras de fer, la morosité ambiante semble partagée par les artisans, tiraillés entre pessimisme et optimisme. La conjoncture suscite toujours une forte inquiétude (63%) chez les entrepreneurs pour la deuxième année consécutive.

 

Manque de visibilité, limitation des investissements, nécessité de prendre le virage des transitions écologique et numérique... Malgré ces nombreux défis, les chefs d'entreprises sont certes stressés mais combatifs (53%). "On est dans une logique permanente de gestion et d'adaptation", confirme Joël Fourny.

 


"On est dans une logique permanente de gestion et d'adaptation"

 


Globalement, les difficultés de 2023 sont quasi-identiques à celles de 2022. L'inflation des matières premières et la baisse des carnets de commandes demeurent les principaux motifs d'inquiétude. La situation est cependant contrastée : 48% des artisans ont vu leur situation se dégrader entre 2022 et 2023, quand 40% ont constaté une stagnation, et 12% une amélioration.

 

Leur priorité reste la sécurisation de leur activité et la stabilisation de leur trésorerie. Pour les prochains mois, c'est l'instabilité économique qui génère le plus d'inquiétude (40%), suivie par la crainte de ne pas avoir suffisamment de trésorerie (25%). En revanche, 11% comptent faire monter en compétences leurs collaborateurs, 15% souhaitent embaucher un apprenti, et 31% veulent eux-mêmes suivre une formation.

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