LIBRE PRESTATION DE SERVICES. Pour certaines entreprises piégées par la crise des assureurs construction en libre prestation de services (LPS), la faute en revient notamment aux assureurs dits "historiques". Ceux-ci seraient trop chers, refuseraient une partie du risque, ce qui aurait amené des petites structures vers des assureurs exotiques 'low cost'. Batiactu a contacté plusieurs de ces assureurs "historiques" pour leur donner la parole.

L'assurance-construction traverse une crise depuis de nombreux mois, du fait de la défaillance de nombreux assureurs intervenant en France sous le régime de la libre prestation de services (LPS). Et, comme à chaque crise, chacun cherche à répondre à la question : "A qui la faute ?"

 

 

Quelles réponses des assureurs "historiques" ?

 

Pour de nombreux professionnels, principalement chefs d'entreprise de TPE-PME, qui ont contacté Batiactu à la suite du lancement de nos divers appels à témoignages, parmi les fautifs on trouverait les assureurs dits "historiques". Il s'agit de ces assureurs ayant pignon sur rue, connus du grand public, dont les noms et les offres sont réputées. Pour eux, ceux-ci pratiqueraient à dessein une politique tarifaire élevée, profitant du nombre limité d'acteurs officiant dans le secteur de l'assurance construction, et rendraient captifs les entreprises et artisans. Un sujet qui avait fait l'objet d'un débat animé aux Journées du courtage, en septembre dernier.

 

Selon une autre version, les 'gros assureurs' auraient vu d'un bon œil l'arrivée des assureurs LPS sur le marché, en leur laissant le champ libre pour les petits clients qui ne seraient pas les plus rentables économiquement.

 

Ces thèses tiennent-elles la route ? Batiactu s'est tourné vers quatre acteurs, qui comptent parmi ces fameux "assureurs historiques", pour leur demander leur réaction. Témoignages.

 

Grégory Kron, directeur général adjoint du groupe SMA :

 

"Une décennale peut coûter entre 2.000 et 3.000 euros pour un artisan. Cela représente une somme significative, mais le prix correspond aux risques assurés et aux garanties importantes qui sont accordées. Les assureurs historiques n'ont jamais refusé d'assurer les petites entreprises. Car des TPE, nous en assurons aujourd'hui des dizaines de milliers. Et la grande majorité de nos nouvelles affaires sont auprès de créateurs d'entreprises. Nous avons lancé de nombreuses campagnes de communication à la radio et dans la presse spécialisée en faveur des artisans, prouvant ainsi l'intérêt que nous leur portons.

 

"Il est vrai de dire que la démarche de recherche d'assurance est parfois compliquée pour un créateur d'entreprise"

 

Il est vrai de dire que la démarche de recherche d'assurance est parfois compliquée pour un créateur d'entreprise. Tous les courtiers ne sont pas des spécialistes de l'assurance construction. De plus, l'assureur effectue des contrôles au moment de la souscription, de la même manière qu'un assureur automobile demande le permis de conduire. Ensuite, le tarif est fixé en fonction du risque. Ce fonctionnement a des vertus, et prend en compte que les entreprises qui génèrent de la sinistralité payent plus cher.

 

Aujourd'hui, ce que nous constatons c'est que la quasi totalité des artisans qui s'étaient rapprochés d'assureurs en LPS n'avaient aucune idée de la situation dans laquelle ils se mettaient. On ne leur en général jamais laissé le choix entre un assureur traditionnel ou un assureur exotique. Dans ce cadre, l'ACPR rappelle que 'chaque professionnel intervenant dans une chaine de distribution d'assurance doit faire preuve de vigilance dans la sélection de ses partenaires'. Cette déclaration rappelle l'importance du devoir de conseil des intermédiaires en assurance, y compris en lien avec les alertes répétées sur la solidité financière ou la localisation de ces assureurs qui ont fait faillite. Il est important d'analyser aujourd'hui les rôles et responsabilités des acteurs qui ont mis en place ce dispositif en LPS sans les garde-fous nécessaires, leurs dirigeants et les autorités de contrôles concernées qui ont manqué à leurs missions."

 

 

 

Patrick Salomé, directeur construction chez Axa France :

 

"Aujourd'hui, il n'y a pas de problème d'assurabilité pour une entreprise de construction, quelle que soit sa taille. Une dizaine d'acteurs solides sont présents sur le marché français. En ce qui concerne AXA France, 50% de notre production dans ce secteur concerne des créateurs d'entreprises. Et 80% de notre portefeuille est constitué de sociétés de moins de dix salariés équivalents temps plein - 70% moins de cinq salariés.

 

Il est vrai que certains intervenants, sans expertise, se sont lancés dans le bâtiment avant et pendant la crise de 2008 avec le soutien de ces assureurs en LPS aujourd'hui défaillants. Évidemment, leurs tarifs étaient inférieurs aux nôtres : mais il ne faut pas comparer une offre solide avec un simple papier qui ne couvre désormais plus aucun risque. Nos prix ont pu paraître très importants en comparaison, mais ce sont les bons prix en regard des risques couverts !

 

"Il n'y a pas de problème d'assurabilité pour une entreprise de construction, quelle que soit sa taille"

 

Que s'est-il passé, en réalité, durant cette crise ? C'est le principe de la pyramide de Madoff dans le secteur de la construction. Certains acteurs en LPS ont profité d'une situation tendue économiquement pour de nombreuses TPE en mettant en avant des prix attractifs. Des professionnels ont été dupés par des intervenants qui se sont proclamés experts de l'assurance-construction. Des compagnies ont été relayées par des intermédiaires eux-mêmes non qualifiés, d'autres se présentant comme courtiers alors qu'ils étaient en fait mandataires, en plus sans avoir d'agrément pour l'être. Les personnes touchées par cette crise ont été victimes d'acteurs ayant une approche mensongère.

"Les acteurs touchés doivent trouver des solutions car nous ne sommes pas au bout de nos surprises."

 

Dès la fin 2017, nous avons anticipé le sujet. Nous avons fait passer le mot au sein de notre réseau de distributeurs, afin qu'ils proposent des solutions de reprise aux 'naufragés' de l'assurance construction, qu'ils soient professionnels ou maîtres d'ouvrage. Nous avons aujourd'hui des milliers de demandes de ce type, auxquelles nous proposons des solutions dans 90% des cas - les 10% restants étant des demandes de prises en charge de sinistres déjà déclarés, ce qui n'est bien sûr pas notre métier. Il est ainsi possible de reprendre jusqu'à dix années de passé inconnu. Il est dommage que tant de particuliers et professionnels du secteur n'aient pas pris conscience du problème. Il est pourtant urgent que les acteurs concernés trouvent des solutions afin de protéger leurs biens et leurs fonds propres. Car nous ne sommes pas au bout de nos surprises."

Jean-Michel Savin, directeur du développement et de Maf conseil, au sein de la Mutuelle des architectes français (Maf) :

"Je peux assurer qu'un architecte qui démarre est assuré dans 100% des cas par la Maf. Les conditions sont l'obtention du diplôme HMO et l'inscription à l'ordre des architectes. Si l'on comparait le tableau des nouvelles inscriptions des architectes DPLG et les nouveaux adhérents de la Maf, on trouverait probablement 90% de correspondance - les 10% restant étant des acteurs choisissant eux-mêmes d'aller ailleurs. De fait, très peu d'architectes sont touchés par la crise liée à la libre prestation de services. Ils se comptent sur les doigts d'une main. Et bien souvent ils s'agit de professionnels qui sont des multi-récidivistes en termes de non-paiement.

 

"Nous ne sommes pas trop chers : nous sommes au prix !"

 

C'est plutôt du côté des entreprises que beaucoup se sont laissés séduire par les bas prix proposés par les LPS. On nous dit que nous, assureurs 'historiques', sommes trop chers ? Non, nous sommes au prix !"

Allianz France :

"L'assurance décennale en France est une des garanties obligatoires. De ce fait, il existe un BCT (Bureau central de tarification) qui permet de trouver une solution d'assurance obligatoire si aucun assureur n'accepte de remettre d'offre. D'après nos informations, les assurés qui ne trouvaient pas d'assureurs sont en nombre beaucoup plus réduits que le nombre de contrats qui ont été réalisés par les assureurs en LPS (libre prestation de services).

 

"Nous n'avons jamais conseillé à un client d'aller s'assurer chez des LPS"

En effet, l'arrivée des assureurs en LPS en France a certes permis de réduire de quelques centaines le nombre de dossiers qui devaient être instruits par le BCT. Ces chiffres sont très largement inférieurs aux 100.000 contrats qui auraient été réalisés par les assureurs opérant en LPS en France. Ce développement a été essentiellement basé sur une politique tarifaire agressive de ces opérateurs qui méconnaissaient le risque Construction en France.

 

Allianz France n'a jamais conseillé à ses clients d'aller s'assurer chez des assureurs en LPS, ni directement, ni via son réseau d'agents généraux."

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