ALERTE. Alors qu'un membre du Gouvernement prendra la parole, ce 21 septembre 2018, sur la crise que traverse l'assurance construction, les professionnels de l'assurance réunis lors des journées du courtage appellent l'ensemble des acteurs à urgemment se "mettre autour de la table". Des centaines de milliers d'entreprises, maîtres d'ouvrages publics et privés sont touchés ou le seront dans les années à venir.

"Des milliers d'emplois sont en jeu dans le secteur de la construction, et sans assurance peu de sociétés pourrons tenir plus de deux mois." C'est un professionnel du secteur du BTP qui l'assure à Batiactu. Les résultats très concrets et mortifères de la crise de l'assurance construction viennent donc s'étaler petit à petit aux yeux de tous, alors que pour la première fois un ministre en exercice va prendre la parole à ce sujet : Julien Denormandie, secrétaire d'État à la Cohésion des territoires, ce 21 septembre dans les locaux de la Fédération française du bâtiment.

 

Pour rappel, depuis plusieurs années, de nombreux acteurs (assureurs, courtiers grossistes) intervenant massivement dans l'assurance-construction en France se sont effondrés. L'une de leur particularités est d'intervenir en libre prestation de services (LPS), c'est-à-dire depuis un autre pays de l'espace économique européen.

 

De 250.000 à 500.000 contrats concernés

 

Les professionnels de l'assurance, pour l'instant, sont très pessimistes sur les possibilités de rétablir la situation rapidement et de tirer les leçons de la crise, qui n'est peut-être toujours pas terminée. C'est ce qui ressort en tout cas d'une table ronde qui s'est tenue sur le sujet, le 20 septembre, lors des Journées du courtage, à Paris. En termes de chiffres, le nombre de contrats concernés par la chute de divers acteurs (Elite, CBL, SFS, Alpha, Gable...) irait de 250.000 à 500.000, selon les estimations. Dont une très grande partie restent en déshérence, c'est-à-dire n'ont pas été repris par un assureur aux reins financiers assez solides pour assumer des décennales.

 

 

"Il faut aller vite, car le ver est dans la pomme", a assuré Bertrand de Surmont, président de la Chambre syndicale des courtiers d'assurance (CSCA). "Si l'on ne récupère pas d'une manière ou d'une autre, à la vitesse de l'éclair, ces contrats en déshérence, nous serons tous complices, et il ne faudra pas venir se plaindre ensuite quand le sujet deviendra politique. Ou bien nous nous entendons ensemble, ou bien le politique interviendra par la contrainte." Du côté de Christian Bellissen, directeur général d'Ergo France, acteur intervenant en LPS, même pessimisme : "Je ne vois pas comment une situation telle que celle que nous venons de vivre pourrait ne pas se reproduire." Le même expert, spécialiste du sujet, dénombre aujourd'hui trois acteurs en LPS, solvables mais sans notation financière, intervenant en France dans l'assurance-construction : Millenium insurance company (Gibraltar), Qudos (Danemark) et Casualty & General (Gibraltar).

 

Les assureurs "historiques" pointés du doigt

 

Reprendre les contrats en déshérence ne se fait pourtant pas sans heurts, puisque les acteurs concernés devront alors payer deux fois pour assurer les chantiers passés, et cette fois-ci auprès d'assureurs dits "historiques", aux ratios de solvabilité sûrs. Ces mêmes acteurs que de nombreux intervenants estiment être à l'origine de la crise actuelle. C'est évidemment un point qui a été abordé durant la table ronde : la frilosité de ces grands assureurs auraient ouvert la voie aux sociétés en LPS pour n'avoir plus assuré, ou alors à un prix considéré comme prohibitif, certains professionnels de la construction et certains types de travaux (comme les piscines).

 

"La LPS a le mérite d'apporter de la concurrence. Si vous avez un cartel d'assureurs construction traditionnels qui refusent une partie du risque [...], ils ont aussi directement ou indirectement une responsabilité", B. Delas, ACPR

 

Un diagnostic que même Bernard Delas, d'habitude porté à une forme de retenue du fait de ses fonctions, effectue : "La LPS a le mérite d'apporter de la concurrence. Si vous avez un cartel d'assureurs construction traditionnels qui refusent une partie du risque, applique une politique de tarifs non-concurentielle, alors même qu'ils ont de bons résultats techniques par ailleurs, ils ont aussi directement ou indirectement une responsabilité", a-t-il affirmé.

 

Propos qui ont évidemment fait tiquer Vincent Figarella, responsable de SMA Courtage, présent à la table ronde. "Le problème fondamental n'est pas celui de la LPS : c'est le fait que dans le secteur de la construction, de nombreuses entreprises se créent et qu'une grande partie d'entre elles ne survivent pas au-delà de quelques années", a-t-il expliqué. "Pour l'assureur, il s'agit donc d'éviter de prendre des primes pour payer des sinistres à 100%, sans franchise parce que des entreprises peu sérieuses disparaissent. Le débat, pour moi, est le suivant : l'assurance décennale doit-elle être une caution qui donne la permission à des entrepreneurs déresponsabilisés, ayant parfois lourdement recours à la sous-traitance, de générer des sinistres dans les années à venir ? Par ailleurs, je rappelle que depuis 2005, les assureurs sont nombreux sur ces marchés : je ne pense pas qu'il y ait de défaut de concurrence."

 

Que doivent faire les entreprises qui sont passées par la LPS ?

 

Ce à quoi un entrepreneur nous explique que lors de la création de son activité, il y a plusieurs années, un assureur historique avait refusé de l'assurer, si ce n'est à un prix qu'il considérait comme prohibitif. "Du coup, nous avons opté pour un assureur en LPS. Nous l'avons fait durant sept ans, et aujourd'hui ce même assureur historique ne veut plus de nous car nous sommes passés par la LPS durant toutes ces années..." Pour le dirigeant de SMA courtage, pourtant, des solutions existent pour reprendre le passé, et les primes demandées ne correspondent pas systématiquement à l'ensemble des primes déjà versées. "Pour faciliter la transition d'un assureur à l'autre, nous pouvons par exemple étaler le paiement sur plusieurs années", a-t-il expliqué. "Nous proposons également de ne couvrir, pour le passé, que les sinistres majeurs, qui représenteraient un risque pour la solvabilité de l'entreprise."

 

Reste à savoir si les pouvoirs publics désireront s'emparer du sujet, et si oui à quel moment. Car pour l'instant, effectivement, aucun début de solution, à court terme, ne semble s'imposer, alors que des doutes existent d'ores et déjà sur les capacités de certains acteurs en activité.

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