DÉBAT. A quoi ressembleront les usages des transports dans trente ans ? C'est à cette difficile question de prospective que se sont attelé une floppée d'experts, lors d'une table ronde qui s'est tenue au dernier congrès de la fédération Cobaty.

La prospective est un exercice difficile. Pierre Giorgini, spécialiste des télécommunications et président-recteur de l'université catholique de Lille l'a rappelé, lors du congrès Cobaty 2019 qui s'est tenue à la Cité des sciences le 11 octobre, à Paris. La principale difficulté à prédire l'avenir d'un secteur économique est de savoir s'il sera confronté à une disruption ou non. L'expert a pris l'exemple de l'invention que l'on pourrait qualifier de 'disruption des disruptions' : Internet. "Nous n'avons pas cru en Internet car nous n'avions pas prévu l'effondrement des coûts fixes qu'il permettrait, alors que nous avions à l'époque tout sous les yeux."

 

Les acteurs ont une meilleure connaissance de l'offre

 

Plusieurs spécialistes et responsables du secteur des transports ont toutefois tenté d'imaginer l'avenir des transports, lors d'une table ronde qui a toutefois posé plus de questions qu'elle n'a apporté de réponses. "Aujourd'hui, ce qui évolue en matière de transport, c'est que d'une part les utilisateurs ont une meilleure connaissance de l'offre", a expliqué David O'Neill, directeur exécutif et conseil de Kisio (filiale de Kéolis). "Mais nous disposons également d'une meilleure connaissance de la demande, notamment grâce aux données GPS." Ainsi, on est aujourd'hui en mesure de savoir qui utilise le périphérique parisien : un tiers de parisiens, 20% de personnes venant de la petite couronne, et tout le reste venant de toute l'Île-de-France. "Mieux connaître la demande nous permet d'être plus en phase avec l'offre", résume David O'Neill.

 

 

A priori, malgré le développement de nouveaux modes de transports (tramway, vélo, trottinettes et autres...), aucun miracle ne serait à prévoir dans les prochaines décennies. La prédominance de la voiture va être grignotée, certes, mais "la congestion restera un sujet, les modes hybrides ne se substitueront pas au RER et au métro", assure Samuel Maillot, ingénieur transport et mobilité urbaine chez Roland Ribi & associés. Et concernant spécifiquement la voiture, un parc intégralement électrique ne deviendrait possible qu'au prix de la construction de 5 à 6 EPR, avec les questions d'acceptabilité sociale que cela impliquerait. Des modes plus fantaisistes, mais qui font 'rêver', comme les drones, seraient eux aussi aussi très consommateurs en électricité (suivant les technologies actuelles), de l'ordre d'une dizaine de voitures électrique pour un équipement.

 

Le Grand Paris express, déjà une ombre au tableau ?

 

Bien sûr, le Grand Paris express a été évoqué, ayant le mérite de relier des zones les unes avec les autres sur un principe de rocade. Pour autant, alerte Patrick Braouezec, vice-président de la Métropole du Grand Paris (MGP), ces nouvelles lignes ne doivent pas une fois de plus éloigner les gens de leur emploi et augmenter le temps de trajet subi. "Je lutte contre l'idée du Paris en grand développée par Roland Castro", a-t-il assuré en introduction. Il préfère l'idée d'une ville "polycentrique", où l'on permet aux gens d'éviter la mobilité subie, en développant le télétravail ou en rapprochant l'habitat des lieux de travail. Et pointe un risque qui est déjà en partie devenu réalité : les ménages modestes qui devraient être les premiers à profiter des nouvelles gares seront-ils les premiers à être chassés de leur quartier du fait de la hausse des prix ?... "La femme - ou l'homme - de ménage qui met 1h45 à aller nettoyer des bureaux à La Défense pourrait, même avec le Grand Paris express, mettre toujours autant de temps à aller au travail, car elle ou il n'aura pas les moyens de rester vivre près d'une gare..." Ainsi, peu importe de quoi sera fait le transport de demain si la mobilité subie reste majoritaire. "La mobilité en soi n'est pas source de liberté", remarque-t-il.

 

Une ligne C du RER "en travaux depuis 25 ans"

 

Si les nouveaux modes tels que le GPE ne répondent pas à toutes les problématiques, le salut peut-il venir de la rénovation de l'existant ? "Nous n'avons pour l'instant pas les moyens humains pour le faire comme il le faudrait", assure Marianne Duranton, conseillère régionale d'Île-de-France. "Et même si l'on met beaucoup d'argent sur la table, les rénovations ne se feront pas d'un coup de baguette magique." Elle prend l'exemple de la ligne C du RER francilien. "Elle est en travaux depuis 25 ans, le chantier avance de seulement 200 mètres par an ! Et il reste 30 ans d'opérations devant nous..."

 

Autant de constats peu réjouissants qui laissent espérer, en fait, une véritable disruption... "Nous sommes plongés dans la théorie de la complexité : théorie du chaos, a-prédictabilité...", avertit Pierre Giorgini. "Nous n'entrons pas dans l'inconnu mais dans l'inconnaissable. Comment analyse-t-on des tendances en entrant dans l'inconnaissable ?" Question restée ouverte, à laquelle il faut visiblement une boule de cristal pour apporter un début de réponse.

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