Les associations de locataires agitent sous le nez de Bercy une bombe à retardement : à la veille de la limite de paiement de la taxe d'habitation, près d'un million de foyers pourraient réclamer un trop-perçu sur plus d'une dizaine d'année.

L'objectif d'une bombe à retardement est d'exploser au bon moment. Celle-ci devrait réussir à l'atteindre, la conférence de presse ayant été programmée à deux jours de la date butoir de versement de la taxe d'habitation. A l'origine de ce scandale, le refus des gouvernements, depuis 1990, de traiter les réclamations relatives à la surestimation de la valeur locative d'un logement HLM.

La valeur locative d'un logement HLM a été fixée soit en 1970, pour les logements antérieurs, soit à la date de construction, pour les ultérieurs. Problème, les HLM étaient considérés comme des habitations de grands standing en 1970, mais ne le sont plus aujourd'hui, en raison notamment de leur dégradation. Or la valeur locative détermine tout à la fois la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) payée par les propriétaires, la taxe d'habitation (TH) payée par les locataires et la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) payée par les propriétaires, mais récupérée sur le locataire, au titre des taxes récupérables.

Donc, tout dépend de cette valeur locative, surannée. Les offices publics d'HLM, qui paient la TFPB, conscients de cette obsolescence, ont demandé, au début des années 1990, la révision de cette valeur auprès de l'administration fiscale. Lorsque cette dernière répondait, c'était pour expliquer qu'une révision foncière plus générale avait été votée en 1990, allait régler ce problème et qu'il était donc préférable d'attendre ses effets. Nouveau couac, la révision foncière sera retardée jusqu'en 1999, pour être alors abandonnée. Conséquence logique, pendant dix ans, les locataires ont trop payé, au regard de la valeur de leur habitat.

Mais le scandale n'est pas tant dans la lenteur administrative que dans la volonté " éminemment politique ", comme le souligne Aminata Koné, de la Confédération Syndicale des Familles (CSF). " Il est inadmissible que dans un Etat de droit, l'Etat lui-même soit à l'origine d'un déni de justice par rapport à l'égalité de traitement des citoyens ".

Pour la CSF et la Confédération Nationale du Logement (CNL), il existe des preuves que les ministres successifs de l'Economie et des Finances ont " verbalement " demandé à leur administration de rejeter toutes les demandes. D'abord, les nombreuses interventions à l'Assemblée Nationale depuis 1994 où les réponses des ministres des Finances rappellent les motifs de refus de traitement favorable, ensuite, la levée de l'ordre au Journal Officiel du 18 octobre 1999 par Dominique Strauss-Khan en réponse à M. Bocquet, après avoir enterré définitivement l'intégration de la révision de 1990.

" Pourquoi un tel refus des gouvernements, pourquoi l'Etat s'est-il mis tout seul dans cette situation d'illégalité ? ", se demande Aminata Koné. Parce que revenir sur la valeur locative a un coût. Mais également parce que tous les offices publics d'HLM n'ont pas formulé de demande en ce sens, sous prétexte que cela diminuerait leurs revenus. Mais également parce qu'il n'est pas rare que le dirigeant de ces offices soit également le dirigeant de la collectivité locale, qui perçoit la taxe foncière.

Responsabilité des offices HLM

Deuxième volet du scandale. Depuis 1999, la levée de l'ordre par Dominique Strauss-Khan a permis de débloquer la situation. Alors, un certain nombre d'organismes ont pu obtenir des dégrèvements, qui peuvent être importantes puisque portant sur toutes les années antérieures. Sur une période dix ans, ils ont obtenu 150 millions d'euros, soit 1 milliard de francs, de dégrèvement au titre de la seule TFPB. La rétroactivité est effective automatiquement dès lors que l'on peut retrouver une trace de demande de révision antérieure. Le troisième problème est qu'un grand nombre de ces organismes n'a pas redistribué aux locataires la part lui revenant de droit, et qui correspond à la TEOM.

Pour le seul département de Saône et Loire, l'OPAC, qui ne gère que 3.000 logements sociaux, a été remboursé, à sa demande, de 250.000 francs. Cela ne représente que 80 francs pour dix ans et par foyer, mais ne tient pas compte de la TH, bien plus forte que la TEOM, qui a pourtant augmenté de 120% en dix ans, représentant désormais 21% de la taxe foncière et étant devenue le quatrième impôt local par son montant.

Aujourd'hui, les locataires se retrouvent contraints à présenter une demande auprès des organismes HLM pour bénéficier du reversement de dégrèvement de la TEOM, et une autre auprès des centres des impôts pour obtenir les dégrèvements de la TH. Or, l'article 1507-II du code Général des Impôts indique clairement que " lorsque la valeur locative fait l'objet de contestations au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties ou de la taxe d'habitation, les décisions et jugements pris à l'égard de l'une de ces taxes produisent leurs effets à l'égard de l'autre ".

Donc, le locataire ne devrait même pas avoir à faire de demande, sachant que la majorité de ces derniers ne sont même pas au courant de leurs droits ou n'ont pas les moyens de se faire entendre des services de la Direction Générale des Impôts.

La CSF et la CNL demandent expressément au gouvernement de donner des instructions claires aux offices HLM pour qu'ils procèdent au remboursement systématique des " trop versés " et à Francis Mer qu'il donne lui aussi des instructions claires aux centres des impôts pour qu'ils procèdent à l'examen de tous les dossiers en respectant les droits des locataires.

" L'affaire du contentieux HLM n' a éclaté qu'en 1999 et il a fallu batailler pour que 'l'Etat de droit' soit respecté. Pour autant son aboutissement n'est pas encore total et il va falloir encore batailler pour que la justice fiscale, élément essentiel de la justice sociales, soit rendue à des locataires HLM ", ont conclu les deux confédérations, précisant que si aucun accord à l'amiable n'était trouvé, le recours au tribunaux serait automatique.

Pour François Duverlie, Directeur financier de l'OPHLM d'Avignon, le " contentieux HLM " n'est pas un problème. Son organisme a pris le problème à bras le corps et a assisté les locataires dans leurs démarches. " Nous avons vu notre taxe foncière baisser de 180.000 euro, pour un parc de près de 6.000 logements ", ce qui représente 300 euros par logement et souligne assez combien la valeur locative devait être révisée. "Nous avons également reçu 450.000 euros au titre des dégrèvements, sur une période de 10 ans, que nous avons reversés au cas par cas à tous nos locataires ". La CSF et la CNL regrettent que cet exemple soit rare.

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