ANALYSE. Pandémie de Covid-19, entrée en vigueur de la Réglementation environnementale 2020, zéro artificialisation nette des sols, décarbonation et transition énergétique, recyclage des déchets et économie circulaire... Les enjeux ne manquent pas pour le secteur de la construction, qui doit en parallèle surmonter les risques et contraintes qui y sont liés. Dans un dossier dédié au BTP, le spécialiste de l'assurance-crédit Euler Hermes identifie les opportunités tout en analysant la manière dont le secteur peut anticiper et réagir aux difficultés.

La crise sanitaire et économique du Covid-19 qui a chamboulé les économies du monde entier et perturbé l'ensemble des chaînes d'approvisionnement a démontré les interdépendances et les fragilités de nombre de pays et de secteurs d'activité. Le bâtiment et les travaux publics n'y ont pas échappé ; certes, malgré un premier confinement synonyme d'arrêt quasi-total de l'activité, la filière a su rebondir dès l'été 2020, ce qui lui a permis de retrouver, à peu de choses près, son niveau d'avant-crise en ce début 2022, notamment grâce à l'élan de l'entretien-rénovation.

 

 

Les enjeux n'ont cependant jamais été aussi nombreux dans un monde qui change vite et qui n'est pas à l'abri de soubresauts plus ou moins violents. Entrée en vigueur de la Réglementation environnementale 2020, zéro artificialisation nette des sols, décarbonation et transition énergétique, recyclage des déchets et économie circulaire, tensions sur les matières premières, difficultés de recrutement... Les risques et contraintes que le secteur de la construction doit encore surmonter ne manquent pas. Dans une dossier thématique, le spécialiste de l'assurance-crédit Euler Hermes analyse la manière dont la filière peut réagir et s'adapter aux problèmes, illustrant ainsi une certaine résilience de sa part mais aussi des vulnérabilités à compenser.

 

Une réglementation lourde et des délais de paiement à surveiller

 

La filiale du groupe Allianz commence tout d'abord par dresser un panorama du secteur. Avec près de 700.000 entreprises employant plus de 1,5 million de salariés à la fin du 2e trimestre 2021, le BTP réalise 176 milliards d'euros hors taxe de chiffre d'affaires - dont 125 milliards pour les seules entreprises du bâtiment, et 34 milliards réalisés à l'étranger (dont la moitié en Europe). Porté par le marché de l'individuel et celui de la rénovation, le bâtiment a retrouvé une certaine forme ; c'est moins vrai pour les travaux publics, dont les prises de commandes restent timides et l'inflation, pesante. Les investissements auraient encore du mal à suivre, en dépit du plan France Relance qui encourage à développer les infrastructures de transports.

 

Les tendances conjoncturelles sont donc mitigées, et le tissu économique de chacun des deux segments diffère radicalement : quand le bâtiment est à une écrasante majorité composé d'auto-entrepreneurs, d'artisans et de TPE-PME, les travaux publics restent dominés par les trois majors que sont Vinci, Bouygues et Eiffage. "En-dehors de quelques géants, le secteur se caractérise donc par la multitude de microsociétés, et des structures souvent familiales - même parmi les acteurs de taille significative, que ce soit en gros-oeuvre, travaux publics ou négoces de matériaux", peut-on lire dans le dossier d'Euler Hermes.

 

Une myriade d'acteurs qui doivent composer avec une réglementation lourde et tentaculaire, qui impacte inévitablement les savoir-faire et les techniques de mise en oeuvre. D'autant que ces textes et les normes qu'ils produisent changent régulièrement, "ce qui oblige en théorie les entreprises du BTP à assurer une veille réglementaire", quand elles en ont le temps et les moyens bien sûr... Vient se greffer à cette situation le phénomène des délais de paiement : d'après l'Observatoire Euler Hermes, la construction "pratique des délais de paiement dans la moyenne nationale", à savoir 75 jours. Mais, "dans la pratique, on assiste à une importante diversité de situations et à des écarts importants", nuance l'assureur. Un sujet que Bercy suit de près.

 

Rénovation, infrastructures et grands projets portent l'activité

 

Si elles doivent évidemment être surveillées et contenues, ces fragilités n'empêchent pas le secteur de se préparer aux nombreux enjeux qui s'offrent à lui dans un contexte de transition écologique, d'urbanisation croissante et de mobilité accrue. "Ces orientations entraînent des besoins importants en infrastructures", note Euler Hermes, qui renvoie à des évolutions identifiées par Léonard, la structure de prospective du groupe Vinci : les voies dédiées au transport de marchandises ou aux services de mobilité partagée, les routes connectées et productrices d'énergie, mais aussi des projets plus atypiques comme le concept d'Hyperloop porté par Elon Musk, le patron du constructeur automobile Tesla.

 

Pour revenir à des considérations plus terre-à-terre, les grands projets se multiplient aussi, au premier rang desquels le Grand Paris. "Près de 140 milliards d'euros devraient être injectés [dans les grands projets] par les pouvoirs publics d'ici 2030", selon l'assureur, qui cite également le tunnel euralpin Lyon-Turin, le canal Seine-Nord ou encore la modernisation de quelque 630 kilomètres de voies ferrées. Pouvoirs publics et professionnels de la construction se penchent en outre sur la pénurie de logements, surtout dans des zones tendues comme les métropoles, ainsi que sur la transition énergétique du parc immobilier, comme en témoigne le succès du dispositif Ma prime rénov'.

 

"Lancé dans le cadre du plan France Relance, de nombreux projets, très concrets et ciblant une grande partie de la population française, ont été annoncés et lancés en 2020", complète le dossier. De même, l'investissement local a été soutenu par une enveloppe budgétaire de 570 millions d'euros de l'État en direction des collectivités. Une autre enveloppe "exceptionnelle" de 950 millions pour les exercices 2020 et 2021 est censée financer la mise aux normes de bâtiments publics et le développement numérique des territoires ruraux.

 

Bien préparer la mise en place de la Rep

 

 

Un autre dossier, toujours sur la table des acteurs publics comme privés, est celui de l'éco-contribution du secteur de la construction. Initialement prévu en janvier 2022, le lancement de la filière Rep (responsabilité élargie du producteur de déchets) a finalement été reporté et étalé sur au moins trois ans, pour calmer la gronde des professionnels face à des hausses de prix importantes engendrées par la reprise économique post-pandémie. Pour Euler Hermes, "il est fondamental pour la filière de connaître en amont le montant des éco-contributions, afin de les prendre en compte et d'anticiper la gestion de son carnet de commandes".

 

Dynamisé par la crise sanitaire, le e-commerce se généralise par ailleurs et concerne donc aussi le BTP. Si les plus petites structures n'ont pas forcément ni les moyens ni l'intérêt d'établir une vitrine de leur activité sur la Toile, les distributeurs de matériaux et loueurs d'engins proposent désormais des plateformes professionnelles avec services associés.

 

Les cyberattaques, le nouveau risque majeur

 

Pour réagir voire anticiper les difficultés, la vigilance s'impose sur certains sujets. Le numérique embarque justement aussi son lot de risques. Là aussi, la pandémie de coronavirus a malheureusement fait bondir le nombre de cyberattaques, particulièrement auprès des entreprises, qui ont souvent découvert à ce moment-là seulement leur manque de protection. Les types de fraudes sont nombreux et appellent à la plus grande vigilance. La "carambouille" consiste par exemple "à vendre un bien qui n'appartient pas à l'escroc, qu'il ait été loué ou acheté à crédit sans s'acquitter de sa dette". Présentée comme "un grand classique", cette pratique délictueuse s'observerait surtout pour les reventes d'engins de chantiers.

 

Attention aussi à la fraude aux faux fournisseurs - un escroc se présentant comme un faux fournisseur demande à changer ses coordonnées bancaires de manière à détourner un règlement -, à l'arnaque "au président" - un escroc se fait passer pour le patron ou un haut responsable de l'entreprise en demandant d'effectuer rapidement un virement vers un compte frauduleux - ou encore aux "ransomwares", ou rançongiciels en bon français. Ce type de virus crypte des données et rend leur accès impossible tant que la victime n'a pas payé la somme exigée par les pirates.

 

Les attaques informatiques peuvent lourdement impacter le chiffre d'affaires des grands groupes, qui ont toutefois les moyens de renforcer leur sécurité informatique. En revanche, les plus petites entreprises peuvent véritablement ne pas se relever d'une cyberattaque. "L'enjeu de la sécurité informatique est d'autant plus important depuis l'émergence du BIM ('Building information modeling'). Les données échangées sur ces plateformes, si elles étaient hackées (piratées), entraîneraient des risques financiers mais aussi, dans certains cas, un danger potentiel pour la sécurité des bâtiments", explique l'assureur.

 

Explosion des litiges

 

La construction reste en outre confrontée à des risques plus "traditionnels", comme les aléas climatiques qui entraînent retards de chantiers et bouleversements des plans de charge. Ce "risque séculaire" pourrait néanmoins aller en s'aggravant avec "la multiplication des phénomènes météorologiques violents liés au réchauffement climatique". Les litiges ne cessent eux aussi de progresser : d'après une enquête de l'association CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), le nombre de chantiers de construction ou de rénovation d'un logement faisant l'objet de deux litiges et plus a explosé de 112% en seulement deux ans. Les litiges concernant les retards sont pour leur part passés de 9% à 20% sur le même laps de temps.

 

Dernier risque à anticiper, et non des moindres : la question du financement. Euler Hermes observe que, "hormis les majors et quelques ETI (entreprises de taille intermédiaire), la grande majorité des entreprises du secteur sont peu capitalisées, ce qui entraîne la méfiance des prêteurs : le haut de bilan reste souvent fragile". Croissance économique et hausse de l'activité peuvent alors augmenter le chiffre d'affaires et le besoin en fonds de roulement ; or si la croissance de ce dernier est supérieure à celle de l'excédent brut d'exploitation (le chiffre d'affaires avant impôts et taxes), la trésorerie commence alors à connaître des tensions.

 

Les conséquences peuvent alors être une hausse des charges financières, des retards voire une cessation de paiement, des difficultés d'approvisionnement... "La question est particulièrement préoccupante dans le BTP, à cause de l'effet domino lié à la cascade de sous-traitance", prévient l'assureur. Ajoutant : "La défaillance d'une entreprise peut rapidement remonter tout la chaîne".

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