ENVIRONNEMENT. La transformation du CITE en prime est en cours, et certains doutent déjà de sa capacité à massifier les travaux de rénovation énergétique. D'autres acteurs viennent, de leur côté, mettre en avant le fait que la dimension carbone semble mise de côté. Un nouvel axe de progrès pour le dispositif lors des discussions parlementaires ?

De nombreux acteurs de la filière construction ont émis des doutes sur le fait que la future prime qui remplacera le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) permette d'atteindre les objectifs de rénovation énergétique. Mais un nouveau front de débats pourrait s'ouvrir, concernant les conséquences en matière d'émissions de gaz à effet de serre de cette mouture qui compte privilégier les travaux chez les ménages modestes et très modestes.

 

Ne pas relâcher les efforts sur le carbone

 

"Cette transformation du CITE correspond à un projet social tout à fait indispensable", explique à Batiactu la députée Marjolaine Meynier-Millefert, copilote du plan de rénovation énergétique des bâtiments. "Mais nous ne devons pas relâcher pour autant nos efforts sur le volet environnemental." Pour la copilote du plan de rénovation énergétique des bâtiments, les ménages modestes consommant déjà peu d'énergie, voire pas assez puisqu'ils ont parfois du mal à se chauffer, ne permettront pas "de réduire notre consommation énergétique et de rester dans les clous de notre stratégie nationale bas carbone 2050".

 

 

Un point de vue appuyé par plusieurs experts de l'efficacité énergétique, notamment Alain Maugard. "Cibler les ménages dans le besoin est bien sûr une bonne chose. Mais n'oublions pas l'effet rebond !" C'est un constat connu : des ménages habitués à se chauffer à 19 degrés, s'ils acquièrent des équipements plus efficaces, se chaufferont plutôt à 21-22 degrés, comme la moyenne des Français. Ce qui se traduira par une dépense d'énergie significative, avec les conséquences que l'on peut envisager en termes d'émissions carbone. Autre point soulevé par le copilote du plan de rénovation énergétique : "Dans le CITE actuel, on verse 30% de crédit d'impôt pour réaliser 100% de travaux. Avec la prime, à budget constant, on va financer jusqu'à 90% des travaux pour les ménages les plus précaires pour 100% de travaux. C'est factuel : il existe un risque de diminuer par trois l'effet volume de l'aide financière dans ce cas de figure." Deux effets cumulés qui pourraient grever le bilan carbone de la rénovation énergétique, sachant que les ménages les plus aisés consommaient la moitié du CITE.

 

La question des déciles 9 et 10 reviendra sur la table

 

Comment lutter contre cet effet carbone ? Marjolaine Meynier-Millefert envisage un retour des déciles 9 et 10 dans le dispositif. "Ces ménages aisés sont d'ailleurs souvent ceux qui participent le plus aux émissions de gaz à effet de serre", observe-t-elle auprès de Batiactu. "Ils devraient donc participer à l'effort environnemental. Rééquilibrer le dispositif dans le PLF, en revoyant peut-être le pourcentage d'aide à la baisse, en conditionnant éventuellement l'aide à des travaux plus ambitieux me paraît très important. Je crains qu'une prime ne soit, pour ces ménages, pas aussi incitative et qu'au final le levier fiscal soit moins efficace."

 

L'Association française des industries des produits de construction (AIMCC) avait déjà évoqué cet aspect carbone dans un récent communiqué de presse, insistant comme la députée sur l'absence d'aides pour l'offre globale de rénovation, "ce qui va à l'encontre de l'ensemble des orientations prises par tous les acteurs de la filière et de l'objectif de la France pour réduire ses émissions CO2". De son côté, Équilibre des énergies (Eden) prône que le financement concerne surtout des solutions "peu émettrices en CO2", dans un communiqué de presse également récent. "Les aides attribuées dans le PLF à des solutions fossiles - les chaudières à gaz fossile - apparaissent anachroniques et inadaptées à nos objectifs de décarbonation. D'autant que ces chaudières à très haute performance énergétique (THPE) sont déjà largement mises en valeur par une prime dans le cadre des certificats d'économies d'énergie (CEE) allant jusqu'à 1.200 euros."

 

Pour Coénove, de l'installation de pompes à chaleur à la pointe énergétique d'hiver carbonée, il n'y a qu'un pas
L'association Coénove, réunissant des acteurs de la filière gaz et interrogée par Batiactu à ce sujet, "salue tout d'abord le geste fort que constitue la réforme plusieurs fois promise du CITE et sa transformation en prime pour les ménages les plus modestes". "Il s'agit d'une action essentielle contre la précarité énergétique. Toutefois, comme toutes les réformes importantes, elle suscite des interrogations."

 

Coénove estime ainsi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre passe "d'abord par l'efficacité énergétique", se traduisant par la baisse des consommations. "A cet égard, l'accélération du renouvellement du parc de chaudières individuelles gaz (composé aujourd'hui d'à peine 30% de chaudières THPE) pour arriver à 100% en 2030 est un enjeu essentiel pour la décarbonation du bâtiment et ferait économiser plus de 6Mt de CO2. La suppression du CITE pour cette solution pour les classes moyennes est donc incompréhensible et contre-productive." Coénove regrette également ce qu'elle considère être des incitations à l'installation en série de pompes à chaleur air-eau. "C'est une fausse bonne idée : une électrification massive de l'usage chauffage aggravera encore la pointe électrique constatée aujourd'hui et nécessitera le recours à des moyens de production électrique non décarbonés, sans parler des problèmes d'alimentation liés aux réseaux électriques locaux."

 

Le Bâtiment a-t-il assez de main-d'œuvre pour répondre au défi ?
C'est un point que soulève la députée Marjolaine Meynier-Millefert : le secteur du Bâtiment semble sous-dimensionné par rapport à l'objectif d'amener le parc de bâtiments à un niveau BBC. "L'appareil de production du secteur va devoir être multiplié par trois ou quatre dans les décennies à venir pour parvenir à l'objectif de 750.000 rénovations par an", nous explique-t-elle. "La filière doit s'étoffer, et pourtant de nombreuses entreprises ne parviennent pas à recruter. Nous devons convaincre dans tous les territoires, dans tous les lycées, que si ces jeunes veulent participer activement à la lutte contre le réchauffement climatique, ils peuvent le faire en s'engageant dans les métiers du bâtiment et de la rénovation !"

 

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