EXPLICATIONS. Alors que les règles de construction neuves interdisent pratiquement le recours à d'autres types de générateurs que la pompe à chaleur (Pac) et que certains annoncent qu'il est incontournable et indispensable d'en généraliser l'usage, depuis quelques mois, une nuisance nouvelle émerge : le bruit. Quelles solutions ?

Toute utilisation d'énergie crée des nuisances. Après le dioxyde de carbone, les décibels sont-ils en train de prendre le relais ? La réglementation environnementale autorise quasi-exclusivement les pompes à chaleur en résidentiel individuel neuf ; le collectif sera prochainement conduit à utiliser les mêmes générateurs. En rénovation, les propriétaires de logements alimentés en fioul ou gaz se retrouvent contraints de suivre la même démarche : le changement chaudières au fioul n'est plus permis et le remplacement des chaudières au gaz n'est plus financièrement aidé. Sauf à retenir le chauffage à effet Joule et un équipement au bois -pellets ou bûches-, seule la prescription d'une pompe à chaleur permet de cocher les cases "énergie" et "carbone".

 

Mais depuis quelques temps déjà est apparu un défaut dans ce bel ordonnancement : la multiplication des implantations d'unités extérieures des systèmes air/eau et air/air a entraîné un décollage des plaintes pour trouble de voisinage. Explications et solutions.

 

De très fortes contraintes

 

Pour comprendre comment peuvent survenir de tels conflits, il faut reprendre les choses une à une pour se rendre de compte de leurs effets en synergie.

 

Avant cela, un retour sur la réglementation sur les nuisances sonores de voisinage s'impose. L'article R. 1334-31 du Code de la Santé publique, créé par le décret d'août 2006, stipule ce qui suit : "Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité." La gêne est traitée par deux autres séries d'articles du Code de la Santé publique : l'article R. 1336-5 pour ce qui concerne les usages domestiques, et les articles R. 1336-5 et R. 1336-6 et suivants pour les usages professionnels, sportifs et culturels. À cela s'ajoute l'article R. 623-2 du Code pénal sur les "bruits nocturnes troublant la tranquillité d'autrui". Ainsi, "personnes, choses ou animaux" ne peuvent produire des émergences sonores de plus de 5 dB(A) par rapport au niveau de référence local au cours de la journée, c'est-à-dire de 7h à 22h, et de 3 dB(A) la nuit, de 22h à 7h.

 

Il faut aussi compter sur des arrêtés préfectoraux sur les précautions prises pour limiter le bruit lors d'installation de nouveaux équipements individuels ou collectifs dans les bâtiments, ainsi que sur certains arrêtés municipaux qui demandent aux résidents de régler les émissions acoustiques des appareils et machines pour qu'ils ne soient pas perceptibles dans les logements et locaux voisins.
Pour ce qui concerne la transmission de bruit par les pompes à chaleur à l'intérieur des constructions, des arrêtés ministériels fixant les critères d'infraction ont été pris en juin 1999 en application de deux articles du Code de la Construction et de l'Habitat (R111-1-1 sur les bâtiments d'habitation nouveaux et le L111-11 sur les contrats de louage d'ouvrage). Ils précisent que dans la pièce principale d'un logement équipé d'une Pac individuelle, le niveau de pression acoustique (LnAT) ne peut dépasser 35 + 3 dB(A) ; dans le cas d'une Pac collective, la tolérance est moindre : 30 + 3 dB(A).

 

Être thermicien et acousticien

 

Les pompes à chaleur sont-elles conçues pour répondre à de tels critères ? Les industriels du secteur de la pompe à chaleur n'ignorent rien de ce problème. Début 2022, une enquête de Promotelec auprès des possesseurs de Pac sur les points d'amélioration possibles révélait que le niveau sonore arrivait en troisième place - derrière le coût d'installation et l'accès aux aides publiques - et était cité par 35% des sondés.

 

À la lecture des fiches techniques qui rapportent les résultats obtenus en laboratoires acoustiques, la plupart des Pac émettent à des niveaux de 50 à 60 décibels dB(A). Dans un environnement diurne en moyenne à 60, 65 dB(A), les problèmes seraient contenus. Sauf que les structures d'aides aux particuliers comme l'Association Anti-bruit de voisinage, basée à Marseille voit remonter des litiges de pratiquement partout en France.

 

Deux sources : le compresseur et le ventilateur

 

Sur les unités extérieures des Pac air/eau et air/air, les bruits proviennent essentiellement de deux sources : le compresseur et le ventilateur. Quelques fabricants, bien conscients du problème, ont déjà retravaillé le design des appareils, notamment celui des pales de ventilateurs, plus nombreuses (quatre au lieu de trois) et plus grandes pour à la fois les rendre plus efficaces tout en réduisant leur régime de rotation.

 

Quant aux compresseurs, la majorité utilisent des moteurs à commutation électronique et "brushless" qui les rendent à la fois moins bruyants et pilotables à vitesse variable. De même, les phases indispensables de dégivrage, réputées les plus bruyantes, ont été améliorées sur certains modèles pour être plus courtes.

 

Cependant, la réalité est tout autre. En premier lieu, le fonctionnement d'une pompe à chaleur est intermittent ; en second lieu, les modalités d'installations sont généralement très éloignés des conditions de mesure en chambre anéchoïque (ou chambre sourde). Il faut donc compter avec le dimensionnement des unités extérieures des Pac, avec leur placement.

 

Le dimensionnement permet de maîtriser une partie de la gêne, celle liée à la mise en marche régulière de la Pac - même si la fréquence des démarrages reste liée aux températures extérieures. Surdimensionnée ou sous-dimensionnée - c'est-à-dire trop ou insuffisamment puissante par rapport au calcul de déperdition - on risque de produire des "courts cycles" (soit des démarrages intempestifs) ou des séquences de fonctionnement très longues. Ce type de fonctionnement mal maîtrisé va s'avérer très gênant pour le voisinage. Il faut noter que cela vaut pour le chauffage comme pour la climatisation estivale : fenêtres ouvertes, les riverains peuvent rapidement s'agacer…

 

Le placement des unités extérieures de Pac est un sujet de controverses infinies. Le problème est bien connu et les industriels informent déjà les installateurs sur ce sujet depuis longtemps. Pour les aider, le site internet de l'Afpac (Association française pour la pompe à chaleur) propose trois fiches de recommandations acoustiques, et deux fiches de recommandations : une pour l'installateur, l'autre pour l'utilisateur. Mais ces documents datent de quelques années, sont relativement redondants et mériteraient d'être remis à jour. Les conseils donnés ne prennent pas en compte la généralisation en cours de ce type d'équipement dans les lotissements pavillonnaires, les plus problématiques.

 

La densité urbaine conduit-elle à l'impasse ?

 

Globalement, ces documents nous apprennent qu'une Pac installée au milieu de nulle part… ne crée pas de gêne. Dès qu'elle se trouve le long d'un mur, à l'angle de deux murs ou dans une courette, les choses s'aggravent sensiblement : les émissions sont alors amplifiées de 3, 6 ou 9 dB(A). Il faut retenir qu'un saut de 3 dB(A) équivaut, à l'écoute, au doublement du niveau sonore. Ce qui signifie qu'une Pac installée dans une courette est susceptible de faire 8 fois plus de bruit qu'installée dans un espace ouvert.

 

Des remèdes à ces phénomènes acoustiques sont préconisés depuis longtemps. Il s'agit d'écarter les unités des murs extérieurs pour éviter les résonances, de couvrir les murs des matériaux absorbants, de planter une haie d'arbustes à bonne distance devant le ventilateur, voire d'encoffrer le tout en ménageant des ouïes pour permettre de capter les calories de l'air… Avec des résultats incertains.
Aux bruits dits aériens, mais il faut ajouter les bruits solidiens, ceux provoqués par les vibrations émises par le compresseur et le moteur du ventilateur et qui se transmettent par les structures. Pour contrecarrer ces phénomènes, il est généralement recommandé de poser le tout sur une dalle de béton plane ou sur des supports muraux (de solides équerres) où l'unité est désolidarisée par des plots anti-vibratiles, épais et absorbants - des "big foots" - ou des boîtes à ressorts.

 

Des aménagements qui peuvent renchérir la facture

 

Ces aménagements pour corriger ces défauts pouvant produire des excroissances plutôt disgracieuses le long des maisons, des industriels proposent aujourd'hui des "enjoliveurs", des capotages percés et teintés de manière esthétique. Certains sont plus radicaux : un fournisseur propose de ne plus poser la Pac au sol ou au mur, mais dans un coffre ajouré qui émerge en toiture. La difficulté liée à ces équipements tient aux compétences nécessaires et aux chantiers généralement menés lot par lot : dans certains cas, le chauffagiste doit travailler avec le maçon pour réaliser les supports, dans d'autres, il travaillera avec un charpentier et un couvreur. Ce qui renchérit la facture de l'installation.

 

Cependant, toutes ces interventions risquent d'être réduites à néant par une donnée pratiquement impossible à contourner par des moyens techniques : la densité de construction. Nombre de lotissements se déploient sur des parcelles foncières réduites ; de 400 à 250m². Dans ces conditions, l'équipement quasi-systématique des constructions avec des pompes à chaleur se révèle être un casse-tête ; l'argument classique de la diminution du niveau de bruit en raison de la distance par rapport au point d'émission ne compte plus tant elle est faible.

 

Ce problème ne se limite par aux nouvelles constructions. Il concerne aussi les centre villes où se multiplient les systèmes thermodynamiques : installations de froid des supérettes, boulangeries ou boucheries ; développement des espaces tertiaires avec bureaux climatisés et salles informatiques… Dans ces cas, les puissances étant plus importantes, les installations déployées en un grand nombre d'unités, le bruit peut être permanent, à la fois aérien et solidien.

 

Si la plupart des Pac pour le chauffage des logements sont certifiés par Eurovent au regard de leur niveau de bruit mesuré en laboratoire, en revanche, il reste une partie du catalogue qui passe au travers des mailles du filet de la norme acoustique : les pompes à chaleur de piscine. Certaines affichent des niveaux de 70 à 72 dB(A)…

 

Étudier l'environnement

 

Le développement des solutions thermodynamiques étant ce qu'il est, comment éviter les drames ? Car drames il y aurait. Des associations de lutte contre le bruit de voisinage parlent de conflits durs, avec parfois des conséquences psychiques liées à l'absence de solution et à la permanence du bruit. On parle de pathologies psycho-acoustiques.

 

La démarche idéale est de demander conseil à un bureau d'études spécialisé en acoustique. Ce qui, compte tenu du prix relativement élevé de la prestation, vaut plutôt pour un aménageur ou un promoteur immobilier, moins pour un particulier. Car l'important est de réfléchir au problème en amont ; après construction et installation, il est trop tard et la réparation sera techniquement lourde, voire impossible. Les ingénieurs développeront leur étude de faisabilité où apparaîtra le risque pour le voisinage. Dans tous les cas, évoquent les acousticiens, il faut que l'installateur refuse de se laisser guider par le client ; son réflexe serait de placer l'unité au plus mauvais endroit.

 

Cette intervention consistera à examiner les plans des lotissements et de préconiser le point d'installation de la pompe à chaleur ayant le moins d'impacts pour les tiers : pignon aveugle, mise en œuvre à l'intérieur de la buanderie de la construction derrière une grille de ventilation ne gênant pas l'aspiration d'air extérieure… Mais les spécialistes le font remarquer : la solution type ne fonctionne généralement pas. Pour le moins, il s'agit d'éviter les erreurs les plus flagrantes : installation sous une fenêtre, en limite de propriété, pratiquement sous les fenêtres du voisin… Par ailleurs, la construction des maisons individuelles se déroulant parfois sur plusieurs années, il faut une vigilance accrue pour éviter les dérives.

 

L'indispensable entretien régulier du module extérieur

 

L'un des outils intéressants pour le concepteur de la construction et l'installateur serait certainement la mise à disposition d'une fiche technique acoustique du matériel. Elle devrait mentionner les débits aérauliques nécessaires au bon fonctionnement ainsi que les courbes d'émissions sonores sur l'ensemble du spectre audible - basses, médiums et aiguës -, de même que le niveau d'abattement techniquement prévu au passage jour-nuit ; chez certains industriels, il est parfois de -5 dB(A). En ayant ces informations en main, la mise en œuvre étant affaire de détail, il serait peut-être possible de parvenir à un résultat optimal.

 

Les industriels et installateurs insistent aussi sur l'indispensable entretien régulier du module extérieur soumis à une usure forte en raison de son exposition à tous les intempéries. La révision de ses composants essentiels et de son fonctionnement devrait garantir une maîtrise durable de la gêne acoustique.

 

À tout cela s'ajoute la formation des promoteurs immobiliers et plus particulièrement des entreprises de bâtiment. L'enseignement professionnel s'y est déjà adapté en intégrant les notions d'acoustique dans le référentiel de cours, et les intervenants sont plus sensibilisés à ce problème qui prendra de l'importance au fil des ans.

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