A l'occasion des 10 ans de Batiactu, nous avons souhaité donné la parole aux acteurs et actrices du BTP qui ont contribué à l'histoire du secteur de la construction durant une décennie. Christian Louis-Victor nous dévoile sa vision du secteur.

Présidents de fédération dans le bâtiment ou l'immobilier, industriels, institutionnels, architectes… ils ont évoqué, en toute liberté, le passé, le présent et l'avenir d'une filière dont ils sont ou ont été les porte-drapeaux.

 


Batiactu : Quel est votre regard sur la décennie écoulée ?
Christian Louis-Victor : La décennie écoulée a indéniablement marqué, par le passage d'un siècle à l'autre et pas seulement en terme calendaire, la prise de conscience des problématiques liées à l'énergie et à la disparition programmée des énergies fossiles consommables, à des coûts compatibles avec les conditions économiques actuelles.
La consécration de la Chine «usine du monde» prélevant à marche forcée les matières premières nécessaires à sa production, de l'Inde «nouveau bureau» du monde, de l'Europe fière de l'euro mais déstabilisée par des situations économiques et financières extrêmement contrastées relevant de comportements économico-culturels historiquement opposés en sont les autres facteurs déterminants.
Le tout a été traversé par un séisme financier aux conséquences économiques et sociales dont l'impact se fera ressentir durablement dans le «vieux monde». Voilà la photographie du décor, à mes yeux, de la situation dans laquelle la première décennie de ce nouveau siècle s'est écoulée.

 

Ces évènements sont néanmoins fantastiquement porteurs de nouvelles dynamiques pour modifier les comportements irresponsables antérieurs.
Je pense que l'homme a pris conscience qu'il fallait qu'il redevienne l'acteur, mais aussi le metteur en scène de son propre destin. Mais à l'heure où le temps redevient un objet d'affrontement idéologique, sous les effets, entre autres, des réseaux sociaux de toutes sortes, comme wikiLeaks, aboutissant à la «dictature de l'urgence», la volonté de réforme et les modalités du dialogue et de la concertation seront déterminantes.

Batiactu : Selon vous, quel(le) est sur ces 10 ans :

- l'événement le plus marquant ?
C. L.-V. : Pour nos professions, le Grenelle de l'environnement a été, je le trouve, plutôt bien mené. Le comité stratégique pour le plan bâtiment, présidé par Philippe Pelletier, a été riche en échanges au meilleur niveau des acteurs concernés, ce qui pouvait augurer la sortie de textes consensuels et directement applicables par les professions devenant pro-actrices des dispositions arrêtées. On peut néanmoins déplorer que n'étant pas lui-même rédacteur des décrets, la prise en compte sous la pression de différents lobbies et circonstances politiques, les dispositions finales n'ont pas abouti à une véritable politique d'équilibre des Energies ce qui aurait été une véritable démonstration du succès d'une approche plus participative à des processus de décisions qui touchent et toucheront l'ensemble de nos concitoyens et leur cadre de vie pour longtemps.
Au plan international, la création de l'euro a été l'aboutissement d'un projet inouï, créer une monnaie commune, notamment avec l'Allemagne fédérale, si fière de son mark, si solide sur ses fondamentaux économiques et financiers et si intransigeante pour le respect des équilibres budgétaires, est indéniablement l'aboutissement du projet phare de la fin du 20è siècle.

 

- l'innovation la plus révolutionnaire ?
C. L.-V. : Il n'y a pas sur la décennie qui s'est écoulée d'innovation révolutionnaire à mes yeux, mais 10 années de fertilisation accélérée des projets initiés sur la dernière décennie du 20e siècle. A ce titre, l'avènement de la mobilité numérique en est l'aboutissement technologique le plus révolutionnaire, car ayant un impact déterminant en termes d'effets de comportements sociétaux.
Pour la première fois, il s'est vendu plus de livres numériques qu'en papier aux Etats-Unis. L'explosion de l'accès à tous les services pratiques basés sur la géo-localisation est un exemple aussi frappant de cette innovation.
Les années 90 ont été l'explosion de la circulation de la voix, celle de la dernière décennie a été l'explosion de la circulation des données en grande quantité.

 

- le projet phare ?
C. L.-V. : A mes yeux, il n'y a pas un projet phare, mais un objectif essentiel pour l'humanité : rétablir les grands équilibres économiques mondiaux. Cet échec serait une cause de troubles sociaux particulièrement graves, car non localisés, et dont le caractère prophylactique contaminerait mêmes les démocraties les plus solides, tout du moins celles qui pensent l'être.

 

Batiactu : Pour les 10 prochaines années, quel serait votre rêve, même le plus fou ?
C. L.-V. : Pour ce qui est de mon rêve le plus «fou» pour les dix prochaines années, l'utopie n'étant plus ce qu'elle était, le rêve d'un modèle radicalement différent qui mettrait fin à l'histoire en instaurant une société idéale n'étant plus de mise, je souhaiterais que les hommes et les structures dirigeants de ce monde prennent conscience de la nécessité de l'organisation au plan mondial de l'instauration d'un pragmatisme économique et social intégrant les hommes sans exception de races, de religions et de régions, comme des «consomme-acteurs» à part entière valorisant la créativité d'où qu'elle vienne, la maîtrise des techniques et des coûts au bénéfice d'une meilleurs production mieux répartie. En résumé, faire place au grand retour d'un nouvel équilibre mondial alliant performance collective et bonheur individuel.

 

Dans le domaine qui nous concerne plus directement au plan professionnel, l'abandon des attitudes doctrinaires de ceux que j'appelle les docteurs de la foi de la densité, et de «l'urbanocentrime», serait une réelle avancée permettant d'intégrer ce que l'on pourrait appeler l'intelligence des territoires et la culture de ceux qui veulent y vivre et s'y épanouir dans un cadre de vie et un urbanisme apaisé.

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