Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective a publié un rapport sur "La crise du système électrique européen" qui prévoit de revoir les mécanismes de soutien aux renouvelables, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Explications avec Damien Mathon, délégué général du SER.

L'Europe de l'énergie est aujourd'hui en crise, avec une demande électrique en baisse en lien avec le ralentissement de l'activité et les mesures d'économie d'énergie, le bouleversement des gaz de schiste aux Etats-Unis qui libère de grandes quantités de charbon de ce côté de l'Atlantique, et enfin l'augmentation rapide des EnR subventionnées "hors marché". Une situation qui entraîne, à la fois, la chute des prix de gros avec l'arrêt de centrales thermiques à gaz devenues non rentables, et paradoxalement la hausse de la facture des ménages et entreprises qui financent les dispositifs de soutien aux renouvelables. Afin d'apporter une solution, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) a rédigé un rapport contenant sept recommandations pour le marché électrique européen.

 

Les EnR à l'origine de tous les maux ?
Il préconise tout d'abord de ne fixer qu'un seul objectif chiffré au paquet Climat-Energie 2030 : celui de la réduction "lisible, stable et de long-terme" de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les auteurs du rapport proposent ensuite de "reconsidérer les politiques de soutien aux énergies renouvelables en remplaçant les tarifs d'achat pour les technologies qui ont atteint la maturité technologique (éolien et solaire photovoltaïque) par des mécanismes de type 'marché+prime' et par des appels d'offres portant sur des quantités limitées". Ils estiment que les renouvelables doivent être soumises aux mêmes responsabilités que les énergies conventionnelles et que les paiements d'électricité au tarif d'achat doivent être stoppés "lorsque les prix de gros sont négatifs ou lorsque les lignes sont saturées".

 

Une position que ne partage pas Damien Mathon, délégué général du Syndicat des Energies Renouvelables (SER) : "Nous ne sommes pas d'accord sur le constat d'impact des EnR : la production française représente le cinquième de la production allemande, leur effet perturbateur ne peut être que marginal !", nous précise-t-il. "La déprime du marché électrique est évidente, symptomatique de la crise, de l'atonie de la consommation. Et le prix du charbon impacte également ce marché. Mais on ne peut pas accuser les EnR françaises de tous les maux", explique le responsable du SER. Le syndicat estime également que la maturité supposée des technologies reste questionnable, la baisse des coûts se poursuivant notamment dans le photovoltaïque. Cependant, l'ensemble des acteurs du secteur des renouvelables a déjà entamé les discussions portant sur l'introduction de mécanismes de marché. "L'évolution progressive des mécanismes de soutien est inéluctable, mais nous disons qu'il faut envisager cette transition avec des perspectives échelonnées sur plusieurs années, avec une date limite fixée à moyen-terme, peut-être 5 ans", nous confie Damien Mathon. Le SER craint qu'un nouveau changement dans la politique énergétique ne déstabilise définitivement le secteur, entraînant la suppression de milliers d'emplois et la non-atteinte des objectifs du premier paquet climat-énergie de 2020…

 

Création d'un marché carbone européen
En revanche, le SER tombe d'accord avec les auteurs du rapport du CGSP sur d'autres recommandations. "La création d'un marché européen du carbone avec un vrai signal-prix pour orienter les consommateurs vers des sources d'énergie décarbonées : nous ne pouvons qu'acquiescer", détaille le délégué général. La valeur idéale de la tonne de CO2, qui s'échange aujourd'hui entre 3 et 5 euros, serait de 45 euros environ. Outre ces propositions, le rapport évoque également l'extension du marché journalier ("dayhead market") à tous les pays européens en améliorant le marché infra-journalier et en construisant de nouvelles interconnexions, rejoignant en cela les constatations de RTE. Le document insiste sur le rôle réaffirmé que doivent jouer les Etats membres de l'UE dans le choix de la structure générale de leur approvisionnement électrique, en se concertant davantage quant aux investissements dans de nouvelles capacités de production ou en renforçant les coopérations de R&D pour des technologies encore jeunes. Enfin, les auteurs recommandent d'autoriser les contrats à long terme afin de favoriser les investissements dans des énergies à faibles émissions de carbone.

 

Si des changements n'étaient pas entrepris "la situation pourrait se détériorer dans le futur", préviennent les auteurs du rapport. Le faible prix de gros de l'électricité découragera les investissements - pourtant nécessaires à la décarbonation du secteur - tandis que le prix de détail continuera d'augmenter. Ce dernier aggravera les situations de précarité énergétique en Europe et creusera encore davantage le fossé de compétitivité entre industries européennes et étrangères, aux Etats-Unis ou en Chine. Le débat sur la transition énergétique n'est donc pas encore clos.

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