COVID-19 ET CHANTIER. Un plaquiste de 54 ans a saisi le Conseil des Prud'hommes de Bordeaux après avoir été licencié pour faute grave, fin octobre, par son entreprise, la société girondine TPSL, que Batiactu a pu joindre.

Début décembre, dans une enquête publiée par Batiactu, le secrétaire général de l'OPPBTP Paul Duphil estimait que le port du masque sur les chantiers pour lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 "fonctionn[ait] bien, il n'y a pas de contestation sur ce point". Pourtant, parallèlement, Frédéric Mau, secrétaire fédéral à la CGT, était plus nuancé, observant que "dans la vraie vie, les choses ne sont pas toujours telles qu'indiquées dans le guide" et que "les salariés mett[ai]ent le masque autant qu'ils le [pouvaient]", soulignant parfois l'inconfort de cet équipement de protection et mêmes des risques liés à des situations bien précises.

 

Mais alors, en cas de manquement, que se passerait-il ? Pour un plaquiste de 54 ans en Nouvelle-Aquitaine, la réponse de son entreprise a été un licenciement pour faute grave. Une affaire qui va se retrouver devant le conseil des prud'hommes de Bordeaux, que l'ouvrier vient de saisir pour contester son éviction, qu'il juge "violente et disproportionnée", selon son avocat.

 

Plusieurs rappels à l'ordre

 

L'entreprise de BTP girondine TPSL - qui réalise principalement des travaux de VRD mais aussi du bâtiment, activité pour laquelle le salarié était en CDI depuis 2018 - lui a notifié son licenciement pour faute grave le 28 octobre 2020. La raison invoquée : l'ouvrier avait refusé de porter un masque de protection sur le chantier de construction d'une école de Villenave d'Ornon, près de Bordeaux. L'entreprise l'avait ainsi une nouvelle fois surpris sans masque, à la mi-octobre, malgré trois rappels à l'ordre oraux de la part du conducteur de travaux pour qu'il se couvre le visage.

 

Dès le lendemain, le plaquiste était convoqué par courrier à un entretien préalable de licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire. Dans la lettre de licenciement, citée dans la requête de saisine des Prud'hommes, TPSL explique que ce n'était "pas la première fois (…) au cours de ces dernières semaines" que l'employé était rappelé à l'ordre sur le non-port du masque.

 

 

Responsabilité de l'employeur

 

L'employeur estime ainsi que le salarié a fait "preuve d'insubordination et de désinvolture". De plus, son attitude met "en danger [sa] santé ainsi que celle des autres collaborateurs de l'entreprise". Contacté par Batiactu, Frédéric Triscos, qui dirige TPLS, le confirme. Et il précise : "Nous avons essayé d'être le plus juste possible, mais ce genre de situation n'est jamais évidente. Notre responsabilité en tant qu'employeur est de maintenir la santé et la sécurité des salariés. Nous avions 4 salariés sur ce chantier et d'autres corps d'état intervenaient. Nous ne pouvons pas prendre le risque de porter la responsabilité que l'un de nos employés contracte le virus, et le transmette."

 

Le salarié licencié n'aurait pas gardé son masque après la mise en garde, tandis que ses trois collègues, eux aussi rappelés à l'ordre et ayant reçu un avertissement, auraient respecté la consigne, explique le dirigeant. "Nous devons tous être en responsabilité, insiste-t-il, elle ne peut pas reposer uniquement sur les épaules de l'employeur alors que nous le sommes tous et portons tous le masque, même dans la rue et dans les commerces..."

 

"Argument hygiéniste" non justifié pour l'avocat du plaignant

 

Contacté par l'AFP, l'avocat du plaignant Me Landete trouve de son côté "la violence et la disproportion terrible de la mesure", choquante. Il dénonce ainsi "un traitement inhumain" pour ce "père de deux enfants en bas âge", qui a toujours "donné satisfaction" dans son travail.

 

Cet "argument hygiéniste" ne saurait "justifier en aucun cas" ce licenciement pour faute grave. Il conteste par ailleurs la lecture de l'entreprise, assurant que son client se trouvait alors seul dans la zone de travail (un couloir éloigné de plusieurs dizaines de mètres de l'employé le plus proche). Il tient également à rappeler le travail "très physique" effectué par l'ouvrier de 54 ans, qui "monte et descend de son escabeau toute la journée, en portant des charges lourdes", tout en ayant des difficultés à respirer à cause du port du masque.

 

Une décision inédite qui pourrait marquer le monde du BTP

 

Frédéric Triscos assure pourtant que l'entreprise "essaie de mettre un peu d'intelligence" dans l'application du guide OPPBTP et des mesures de protection anti-covid. "Si un salarié est en extérieur, seul, avec une distance convenable, nous acceptons qu'il ne soit pas appliqué à la lettre. Mais le contexte était tout autre puisqu'il se déroulait dans un bâtiment clos, avec d'autres salariés et de la coactivité." Et donc potentiellement du passage.

 

Le Conseil des Prud'hommes ayant été saisi tout récemment, le dirigeant n'en a pas encore été officiellement informé par l'instance. L'audience ne devrait pas se tenir avant plusieurs mois. L'avocat du plaignant réclame plus de 28.000 euros à l'employeur. Et quoiqu'il en soit, si l'affaire est effectivement jugée, cette décision pourrait marquer le milieu du BTP.

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