ARCHITECTES. Pour Gabriel Franc, directeur général du groupe qui porte son nom et rassemble plusieurs agences d'architecture, même si les chantiers reprennent, le retard accumulé, le rythme "dégradé" et les nouvelles règles sanitaires vont entraîner des surcoûts importants, qu'il faudra répartir.

Comment votre structure est-elle impactée par la crise du coronavirus ?

 

Gabriel Franc : Le Groupe Franc compte environ 80 architectes et ingénieurs avec des agences à Paris, Le Havre, Caen, et Bordeaux. Nous avons une activité à 360 degrés avec principalement de l'immobilier d'entreprise, des entrepôts, parcs d'activités, résidences, commerce. Nous allons de la conception au suivi des chantiers, et notre chiffre d'affaires représente environ 11 millions d'euros.

 

Avec le confinement, le groupe s'habitue, comme tout le monde, au travail à distance, avec ce que cela représente de perte de productivité. Au niveau de l'activité de conception, nous avons une continuité dans les projets, parce que nos clients sont joignables et disponibles, eux-mêmes moteurs pour rattraper d'éventuels retards. Les limites que nous rencontrons se situent au niveau des services administratifs : mairies, préfectures, élus pour les présentations de projets…

Avez-vous des projets mis en pause à cause de la crise ?

G.F. : Certains projets sont en pause, parce qu'ils dépendent d'investisseurs. Ce sont eux qui freinent actuellement, car ils ne sont pas sûrs de répondre aux conditions de leur financement, à cause des délais allongés sur les permis de construire et les recours. Deux, trois ou quatre mois, c'est suffisant pour remettre en cause les conditions de financement. D'autres projets sont en pause car ils concernent des parcs d'activités, qui reposent sur une commercialisation auprès d'artisans, pour qui c'est très compliqué.

Où en sont les chantiers que vous suivez ?

Tous les chantiers reprennent progressivement. Mais le niveau de dégradation du rythme d'avancée, lui, varie de 30 à 60% selon les situations. Les difficultés concernent le respect des gestes barrières sur le chantier, les problématiques de main-d'œuvre, en chômage partiel, en arrêt maladie, ou qui exerce un droit de retrait… Mais c'est aussi un problème de matériaux et équipements. Un exemple : Arcelor est fermé, on ne trouve pas d'acier pour certaines fonctions. Pour ce qui est du virus, les règles chantier sont très strictes, et donc coûteuses.

 

"Je pressens une augmentation ponctuelle des coûts de construction liée à la main-d'œuvre"

Qui prend en charge ces surcoûts ?

Jusqu'à présents les surcoûts liés aux chantiers sont pris en charge par les maîtres d'ouvrages. Les entreprises ont leurs surcoûts à gérer (équipement, chambres d'hôtels pour les compagnons…) donc les maîtres d'ouvrages prennent en charge celles du chantier. C'est une dichotomie que je constate. Mais je pense qu'à un moment il y aura une distorsion, les entreprises vont dire qu'elles ne s'y retrouvent pas du tout, elles vont réclamer des mesures, comme par exemple des travaux supplémentaires, juste pour tenir.

 

 

Au global je pressens une augmentation ponctuelle des coûts de construction, pas des matières premières, mais liée à la main-d'œuvre : rattrapage du retard avec des heures supplémentaires, et manque de productivité dû aux mesures. J'en ai échangé avec plusieurs promoteurs qui partagent cette vision. Le prix des matériaux va baisser et la part de la main-d'œuvre va augmenter dans les coûts de construction.

 

"Le fait d'entasser les gens dans des open spaces toujours plus restreints va peut-être avoir une fin"

Comment voyez-vous la suite ?

On peut s'attendre à des retard supplémentaires, de l'ordre du coefficient 1,5 par rapport à la période du confinement. Entre les mesures que j'évoquais et l'embouteillage dans les services administratif à prévoir, on ne va pas pouvoir reprendre à pleine intensité avant longtemps.
Par ailleurs certaines agences d'architectes vont vraiment souffrir en fonction des domaines d'activité : l'hôtellerie-restauration, par exemple, ne va pas construire tout de suite.
Pour le logement il y aura un attentisme côté promoteurs, lié à la récession. Pour les agences, ce trou d'air se manifestera avec un décalage, car la chute des commandes se ressent plus tard, quand les projets en cours sont terminés.

Pensez-vous que les commandes seront différentes, par exemple en matière de bureaux ?

Nous avons des retours de clients qui se posent des questions, oui, car les utilisateurs se disent, d'une part, que les gens ne travaillent pas si mal que ça à domicile, et qu'on peut faire alterner les équipes. Plus largement le fait d'entasser les gens dans des open spaces toujours plus restreints va peut-être avoir une fin. On aura cette discussion sur l'ergonomie du travail. On réfléchira plus aux flux, aux regroupements. Et au bien-être des collaborateurs.

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