REACTIONS. Le Premier ministre vient d'annoncer aux partenaires sociaux les contours de la réforme du compte pénibilité. Le dispositif sera largement allégé, notamment pour le secteur du BTP, et s'appelera "compte de prévention". Si le patronat se félicite d'avoir été entendu, la CFDT voit dans cette simplification un "scandale".

Une "simplification à la hache". C'est ainsi que l'avocat Michel Ledoux, spécialisé en droit social, qualifie auprès de Batiactu le projet de réforme annoncé par le Premier ministre Edouard Philippe aux partenaires sociaux le 8 juillet 2017. Le dispositif, si décrié par les organisations patronales du BTP depuis son lancement sous le quinquennat de François Hollande, devrait en effet être considérablement allégé. Au point de retrancher un très grand nombre de travailleurs du BTP du champ du dispositif.

 

Ainsi, le terme "pénibilité" est abandonné, et le mécanisme prendra le nom de "compte de prévention" (ce qui avait été promis par Emmanuel Macron devant le Medef). Quatre facteurs de pénibilité (sur dix au total) sont sortis de son champs d'application, et ce sont précisément les quatre critères qui concernent en premier lieu le BTP : manutentions de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et risque chimique. Pour le patronat, l'exposition des salariés à ces quatre risques professionnels était très difficile à évaluer précisément.

 

Suppression des deux cotisations

 

Les six critères de pénibilité restant sont ceux qui sont le plus aisés à calculer : travail de nuit, travail répétitif, travail en horaires alternants, travail en milieu hyperbare, bruit, températures extrêmes. Sur la base de ces six variables, les salariés pourront bénéficier d'un départ à la retraite anticipé si une maladie professionnelle est reconnue ou si est constaté un taux d'incapacité permanente supérieur à 10%.

 

Enfin, pour ce qui est du financement, le Premier ministre a annoncé la suppression des deux cotisations, de base et aditionnelle, liées au compte pénibilité. Le dispositif sera ainsi financé par la branche AT/MP.

 

Pour le patronat, une décision "pragmatique"

 

Sans surprise, cette annonce a été applaudie par les organisations patronales. Pour la Fédération française du bâtiment, il s'agit d'un "soulagement". "Réformer de manière approfondie un dispositif d'une complexité et d'un coût exceptionnels était une absolue nécessité", affirme Jacques Chanut, président de l'organisation, dans un communiqué de presse. "Face à ce problème inextricable, que la FFB a dénoncé avec constance et fermeté, le bons sens et le pragmatisme semblent avoir prévalu." Toutefois, la FFB note n'avoir été entendue "qu'en partie", d'une part parce que le risque "bruit" entre dans le champ d'application du nouveau dispositif, d'autre part parce que le compte n'a pas été tout bonnement supprimé.

 

Pour l'U2P (Union des entreprises de proximité), "le pragmatisme l'emporte sur le dogmatisme". "L'U2P prend acte de la suppression des cotisations actuelles et du financement du nouveau dispositif au sein de la branche accidents du travail-maladies professionnelles-ATMP", ajoute l'orgnisation patronale dans un communiqué de presse. L'U2P demande par ailleurs à ce que le "financement soit organisé dans le cadre de la solidarité nationale" et que "ce nouveau dispositif soit rendu universel pour concerner les travailleurs indépendants, au même titre que les salariés".

 

Pour sa part, la CPME, tout en regrettant également que le critère bruit soit toujours concerné par le dispositif, se réjouit des annonces du Premier ministre. "Conformément à ce que souhaitait la CPME, il ne sera plus de la responsabilité du chef d'entreprise d'attribuer ou non les points pénibilité, et le financement du dispositif devrait, nous assure-t-on, être mutualisé". Les patrons craignaient que des conflits sociaux se multiplient dans les entreprises, du fait de désaccords entre employeurs et salariés sur l'évaluation de leur exposition à la pénibilité.


Un compte de prévention qui ne valorise pas la prévention ?

 

Le son de cloche est très différent du côté de la CFDT Construction et bois. "Les annonces du Premier ministre sont proprement scandaleuses", tonne Jean-Marc Candille, secrétaire national, auprès de Batiactu. "Le compte personnel de prévention de la pénibilité représentait beaucoup d'espoir pour les salariés de la filière. Or, avec ce nouveau dispositif, on attend que les salariés soient usés et malades avant de leur permettre de partir à la retraite de manière anticipée : il ne s'agit donc pas de prévention !" Le syndicaliste pointe également le financement de ce compte de prévention. "Ce sont les employeurs qui usent les salariés, mais cela sera la collectivité qui paiera ! Il est scandaleux que le gouvernement ait cédé aux sirènes des employeurs. Eux ont tout fait pour ne pas appliquer ce compte pénibilité, notamment en n'ouvrant aucune négociation pour rédiger des référentiels pénibilité."

 

Ces référentiels avaient été proposés par les pouvoirs publics de manière à simplifier l'application du C3P. Mais certaines organisations patronales, comme la FFB, avaient fait savoir qu'ils étaient trop complexes à rédiger. De nombreuses organisations paronales ont également "joué la montre", n'appliquant pas le dispositif en attendant que le futur président de la République simplifie voire supprime le compte. Un pari qui est aujourd'hui remporté. Quoi qu'il en soit, la CFDT Construction et bois assure que, "s'il le faut", elle se mobilisera.

 

"Ce compte de prévention n'indemnisera que des travailleurs malades", Michel Ledoux, avocat

L'avocat Michel Ledoux, spécialisé en droit social, partage certains des constats de Jean-Marc Candille. "Il y a un paradoxe à qualifier ce compte de "compte de prévention", alors qu'il n'indemnisera que des travailleurs malades", observe-t-il ainsi auprès de Batiactu. Autre raison pour laquelle le compte de prévention ne valorisera peut-être pas la prévention, celle du financement. "Un système incitatif de bonus-malus sera-t-il introduit, comme dans le calcul des taux de cotisation AT/MP ?", questionne Michel Ledoux.

 

Se pose aussi la question, pour l'avocat, d'une éventuelle double peine pour les employeurs qui auront un salarié souffrant d'une maladie professionnelle. "Si le dispositif est financé par l'ensemble des employeurs, ils paieront deux fois : une fois pour la maladie professionnelle de leur salarié, et une fois en tant qu'employeur de la branche. Voilà qui mérite des précisions de la part des pouvoirs publics."

 

La Fédération du négoce de matériaux (FNBM) se réjouit de cette "simplification"
La Fédération française du négoce des matériaux de construction (FNBM) s'est réjouit auprès de Batiactu des annonces du Premier ministre sur la simplification du compte pénibilité. Le secteur du négoce avait la particularité d'avoir fait homologuer par les pouvoirs publics son propre référentiel pénibilité. Aujourd'hui, l'organisation n'a aucun regret à avoir 'joué le jeu' de la première mouture du compte pénibilité. "Nous avons effectivement produit un référentiel et un document unique pour nos adhérents", explique à Batiactu Laurent Martin Saint Léon, délégué général de l'organisation. "Ce travail avait été réalisé pour leur permettre d'être sereins sur ces sujets. Il leur sera tout autant utile pour l'application du futur compte de prévention." La FNBM pointe toutefois une incertitude, qui porte sur le financement du dispositif. "La branche AT/MP est pour l'instant excédentaire, mais cela ne durera pas éternellement. Il existe donc le risque de voir une nouvelle cotisation plus tard."

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