ANALYSE. En cette période de risques liés au covid-19, qu'est-il attendu exactement des employeurs, mais aussi des salariés, au sein des entreprises de construction ? Réponses avec Frédéric Godard-Auguste, avocat associé chez DS avocats.

La reprise progressive de l'activité des entreprises, parfois depuis déjà plusieurs semaines, et à un rythme qui va nécessairement s'accélérer à compter du 11 mai prochain, entraîne de nombreuses problématiques autour de la sécurité des salariés et de la responsabilité de l'employeur.

 

Il est important, en effet de rappeler que, par principe, l'employeur est tenu par une obligation générale de sécurité envers ses salariés (articles L4121-1 du Code du travail et suivants). A ce titre, il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés.

 

Parmi les obligations découlant de l'obligation générale de sécurité qui incombe à l'employeur, celle d'établir, en amont de la reprise, ou le plus rapidement possible si la reprise est déjà engagée, un document unique d'évaluation des risques professionnels.


Risques inédits avec le covid-19

 

En effet, la mise à jour de ce document, dont l'établissement incombe à tout employeur, peu importe l'effectif de la société, est obligatoire lorsqu'une information supplémentaires intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie.

 

Or l'épidémie de Covid-19 a indéniablement fait apparaître des risques inédits qu'il convient d'intégrer dans les pratiques de la Société.

 

 

Formellement donc, la crise du Covid-19 implique pour l'employeur de le mettre à jour, ou s'il n'existe pas encore dans l'entreprise, de l'établir.

 

L'évaluation se déroule en deux temps. En premier lieu, il faut établir un inventaire des risques dans chaque unité de travail (article L4121-3 alinéa 1 du Code du travail). Dans un second temps, il faut définir les propositions d'actions en prévention à mettre en place pour chaque risque identifié (article L4121-3 alinéa 2 du Code du travail). Tout cela sera alors répertorié dans le document unique.

 

Le fonctionnement en "dégradé" crée lui aussi des risques

 

Il convient de garder en tête que les risques sont multiples. En effet s'il est évidemment indéniable que le risque émane de l'exposition au virus en tant que tel (salarié en contact avec le public, salarié en contact avec des collègues, avec une entreprise extérieure, le regroupement de salariés dans des espaces réduits, le passage dans les parties communes etc…), il n'est pas le seul.

 

Ainsi, la crise et le fonctionnement dit "dégradé" de l'entreprise créent des situations à risque qui n'existaient pas nécessairement avant au sein de l'entreprise. C'est le cas par exemple du télétravail qui, s'il constitue une mesure de protection des travailleurs, est susceptible de générer lui-même des risques sur lesquels il convient d'être vigilant : le droit à la déconnexion, le sentiment d'isolement, le risque liés à l'environnement de travail, tel que l'ergonomie des postes de travail ou encore les problématiques de cyber attaques.

 

Concrètement, l'analyse de la situation de travail doit porter de l'entrée à la sortie du travail (déplacement compris) et pas seulement au poste de travail dans lesquelles les salariés peuvent être exposés au virus du COVID-19.

 

Au surplus, il nous paraît indispensable de procéder à l'information des salariés des mesures mises en place au sein de la société afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur les comportements à adopter, et de s'assurer de la preuve de cette information (mail, photographie de l'affichage…)

 

Ces mesures doivent être concrètes.

 

Télétravail quand c'est possible

 

Bien que parfois difficile à imaginer, notamment dans le secteur de la construction, le Gouvernement incite à maintenir le télétravail pour tous les postes le permettant. En parallèle, il est important de privilégier les réunions par visioconférence, par conférence téléphonique et ce, y compris pour des réunions internes. Les déplacements professionnels doivent être limités au strict nécessaire, ce qui signifie néanmoins qu'ils sont possibles.

 

Lorsque la reprise physique est impérative, assurer la sécurité des salariés passe également par l'affichage et le rappel des mesures d'hygiène générales. Le ministère du Travail a d'ailleurs mis à disposition des infographies à destination des entreprises. Le rappel de l'impérieuse nécessité de respecter les règles de distanciation sociale en toute circonstance ne sera pas excessif.

 

Il faut étudier les mesures d'hygiène (nettoyage régulier des surfaces régulièrement touchées, la mise à disposition de kit de désinfection pour tout type d'équipement de travail, la mise à disposition de point d'eau et de savon pour le lavage des mains et/ou gel hydro alcoolique, la mise à disposition des équipements de protection individuelle pour chaque salarié ou encore de masques conformes, imaginer des circuits de circulation sur les chantiers pour éviter de se croiser…).
Néanmoins, d'autres aspects doivent être étudiés tels que les règles et les modalités d'accès à l'entreprise et aux chantiers, l'aménagement des horaires pour éviter l'affluence dans les transports et au sein même des locaux, l'aménagement des postes de travail, la séparation de chaque poste de travail et les règles de présence dans les locaux communs comme la cantine ou la salle de pause.

 

Toutes ces règles ne pourront avoir d'effet que si celles-ci sont respectées par tous.

"Le non-respect des dispositions en matière de sécurité et de santé peut conduire à une condamnation civile et pénale de l'employeur"

 

Moins connue, l'obligation de sécurité existe également du point de vue du salarié. En effet, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. Il ne faudra donc pas hésiter à rappeler à l'ordre le non-respect des mesures essentielles de sécurité.

 

Une raison de plus pour ne pas négliger l'information des salariés sur toutes les mesures prises pour assurer leur sécurité. Cette information permettra de s'assurer que les salariés comprennent et maîtrisent les gestes barrières et limitera les risques en matière de responsabilité de l'employeur.

 

Une responsabilité qui ne doit, là encore, pas être négligée puisque le non-respect des dispositions en matière de sécurité et de santé peut conduire à une condamnation civile et pénale de l'employeur.

 

Du point de vue civil, l'employeur pourrait être condamné jusqu'à une amende de 10.000 € appliquée autant de fois qu'il y a de travailleurs (article L4741-1 du Code du travail).

 

En cas de déclaration de la maladie du Covid-19, le salarié pourrait également solliciter la reconnaissance de sa maladie au titre de la législation professionnelle et solliciter la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Cela serait alors au juge d'apprécier si l'employeur a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires.

 

Enfin, le risque pénal est de plusieurs ordres, allant du délit de mise en danger de la vie d'autrui (sanctionné par une peine d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende - article 223-1 du Code pénal), du délit de blessure (sanctionné par une peine de deux à trois ans d'emprisonnement et de 30.000 à 45.000 euros d'amende selon les cas - article 222-19 du Code pénal), voir même dans le cas le plus grave d'homicide involontaire (de trois à cinq ans de prison ainsi que de 45.000 à 75.000 euros d'amende).

 

D'où l'importance d'être prudent, de respecter, et faire respecter, les mesures sanitaires qui auront été adoptées.

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