DENSIFICATION. A l'heure où le foncier disponible devient une denrée rare dans les métropoles, la surélévation est une alternative de plus en plus mûrie par les bailleurs sociaux ou les propriétaires privés. Pour l'architecte Didier Mignery qui en fait sa spécialité avec Upfactor, le modèle prouve déjà ses vertus de rénovation énergétique et de maîtrise des coûts fonciers, et pourrait permettre de lever le tabou de la densification.

Vous avez fondé Zoomfactor en 2002 , et créé la start-up Upfactor en 2017, pourquoi ce choix ?

 

Upfactor est née d'une opportunité. Le premier projet de surélévation que nous avons réalisé avec Zoomfactor était situé dans le 14e arrondissement, nous étions face à une occasion assez rare de rajouter 3 étages à un bâtiment qui n'en avait qu'un. L'histoire est assez drôle car le bâtiment se situait en face de nos premiers bureaux. Nous avions ce pignon, cette dent creuse en face de nous et c'est de là qu'est née l'idée d'Upfactor. La réalisation de ce premier projet a été déterminant mais complexe notamment du fait de sa durée : 10 ans. Ce projet constituait un marché énorme certes mais a aussi apporté son lot de difficultés à lever, en s'appuyant sur un process extrêmement organisé et basé sur des technologies nouvelles pour adresser ce marché de la surélévation

Quels sont les aléas qui ont justifié ces 10 ans de chantier ?

Les problématiques liées au permis de construire, les recours du voisinage, mais aussi des difficultés de process, d'organisation de chantier, de choix d'entreprises et de financements. Il y a beaucoup d'études à avancer en amont, et le propriétaire n'est pas toujours prêt à prendre ce risque. C'est pourquoi Upfactor apporte un préfinancement des études aux copropriétés.

Au vu de cette première expérience, quels sont les outils que vous avez développé en conséquence ?

Nous avons notamment créé un logiciel permettant de détecter les potentiels de surélévation. En utilisant l'open data, les données en open source mises à disposition par les métropoles, ainsi qu'un système d'information géographique en 3D qui applique automatiquement les règles d'urbanisme, le plan local d'urbanisme bâtiment par bâtiment, adresse par adresse. Cette démarche offre de vraies stratégies d'intervention, que l'on s'adresse à des bailleurs sociaux, de grandes foncières, des propriétaires d'immeubles ou des copropriétés.

En matière de surélévation, Paris présente-t-il des spécificités en matière de paysages, de contraintes urbanistiques et en état d'esprit ?

Nous prenons comme point de départ le fait que Paris a un énorme potentiel de surélévation, qui se trouve quadruplé en Ile-de-France. Nous estimons entre 9.000 et 10.000 bâtiments "surélevables" dans la capitale, soit 2 à 3 millions de mètres carrés. Mais nous sommes aussi conscients que la surélévation ne peut pas se faire partout. Paris a une image architecturale, une dimension patrimoniale très importante, mais son potentiel reste gigantesque.

Quel projet emblématique retenez-vous, et quels enseignements celui-ci vous a apporté ?

Une opération assez extraordinaire qui démontrait ce que nous étions capables de faire en réexploitant le patrimoine. Nous travaillions pour Efidis, une filiale de CDC Habitat à qui nous avons réalisé un scan de son patrimoine. Sur 186 immeubles parisiens, et suite à certaines évolutions réglementaires, nous avons repéré 28 bâtiments éligibles. En croisant ces potentiels avec le maître d'ouvrage, les perspectives de rénovation énergétique et de travaux sur le patrimoine, six sites prioritaires ont été identifiés. Cela correspondait à 11.500 m² de surfaces supplémentaires, soit 183 nouveaux logements sans achat foncier. Cela permet d'espérer des économies d'environ 20 à 30% du prix de revient du logement social.

 

Chantier de surélévation à Malakoff
Chantier de surélévation à Malakoff © Twitter @Didier_Upfactor

En quoi la surélévation peut-elle être un outil pour la rénovation énergétique ?

C'est un moyen d'améliorer la note énergétique des bâtiments, puisqu'en apportant des édifices neufs, ce sont des énergies supplémentaires avec une meilleure isolation, des énergies renouvelables qui, au total, constituent une manne financière pour la rénovation énergétique des parties anciennes. Dans le cas d'une copropriété, celle-ci obtiendra un financement en vendant son toit à un promoteur qui réalise des logements neufs. L'argent est ainsi réinvesti dans un projet de rénovation énergétique.

Quelle importance consacrez-vous à l'efficacité énergétique dans vos projets ?

C'est une condition sine qua non à nos projets. Comme nous créons des logements neufs, ils ont l'obligation de respecter la RT2012, et d'être parfois en avance en se conformant au label E+C- ou à l'utilisation de matériaux biosourcés. Dans une copropriété lyonnaise qui présentait une mauvaise étiquette énergétique, le projet de surélévation a permis de financer la transition énergétique, en passant du chauffage électrique individuel à une chaufferie collective basée sur une pompe à chaleur.

La surélévation peut convaincre pour des motifs d'économies sur le foncier et de rénovation énergétique, suscite-t-elle encore des réticences sur l'aspect de la densification ?

C'est un sujet très intéressant et qui faisait peur aux collectivités locales. Nous avons été récemment contactés par une collectivité de l'est parisien pour l'aider à planifier des stratégies de densification par la surélévation à grande échelle. Il s'agit de réfléchir à la façon de revisiter des opérations anciennes, en apportant des petites touches de densification dans des zones qui ont besoin d'être revitalisées. L'enjeu pour les cinq prochaines années, est qu'Upfactor soit un outil d'aide à la décision, en faisant comprendre que la relecture du patrimoine existant est une démarche vertueuse qui va dans l'économie de moyens. La notion d'étalement est aujourd'hui dépassée, l'enjeu aujourd'hui est de contenir l'urbanisation, de préserver au mieux les qualités des villes et d'ajouter ce qu'il manque.

 

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