POINTS DE VUE. Le président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) était l'invité de l'association "Équilibre des énergies". L'occasion pour lui de s'exprimer sur plusieurs sujets agitant actuellement le secteur de la construction.

Le président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), Étienne Crépon, était l'invité de l'association Équilibre des énergie (Eden), ce 12 juin 2019 à Paris. Questionné par les adhérents, il a partagé ses vues sur les principaux défis auxquels est confronté le secteur de la construction en matière de performance des bâtiments et de rénovation énergétique. Tour d'horizon.

 

Réglementation thermique 2012 et réglementation environnementale 2020

 

Étienne Crépon est notamment revenu sur la réglementation thermique 2012, qu'il a signée à l'époque en tant que chef de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). "Le Parlement, quand il a voté les lois du Grenelle, a fixé le cap dans lequel devait être élaboré la réglementation pour la construction", a-t-il rappelé. "Le choix politique de la représentation nationale a été de dire que la réglementation thermique 2012 aurait une pure dimension énergétique ; et que la réglementation suivante [la future réglementation environnementale 2020, NDLR] prendrait en compte les enjeux carbone."

 

 

Pour lui, la RT2012 est "perfectible", mais a eu le mérite de transformer les manières de concevoir et de réaliser les immeubles, tout en diminuant "considérablement" les consommations énergétiques. Le président du CSTB a quoi qu'il en soit tenu à rappeler que son organisme était le bras armé de l'État, qu'il était en mesure d'éclairer le choix du législateur, mais qu'en aucune manière il n'avait le pouvoir de fixer la réglementation.

 

RT 2012 : "Je réfute le terme de 'boîte noire'"

Autre 'idée reçue' qu'Étienne Crépon a tenu à battre en brèche, celle de la création en mode "boîte noire" du moteur de calcul de la RT2012. "Je réfute ce terme de boîte noire", a-t-il affirmé. "Le moteur de calcul est disponible pour tous, il a été validé par l'académie des technologies. Le CSTB n'est par ailleurs pas demandeur d'une quelconque forme de monopole sur cet outil. Nous l'avons réalisé car cela nous a été demandé par notre maître d'ouvrage. Les acteurs de la construction ne sont d'ailleurs pas obligés de l'utiliser, s'ils peuvent prouver qu'ils respectent la réglementation." Et rien n'interdit à des éditeurs de logiciels de se lancer pour proposer un moteur 'concurrent' ; cela dit, pour le président du CSTB, aucun ne s'y est risqué, et ce pour des raisons d'équilibre économique. Au CSTB, la réalisation et la gestion de ce moteur ont plutôt coûté de l'argent qu'elles n'en ont rapporté. "C'est peut-être même pour cela que personne d'autre ne veut y aller", remarque le président.

 

En matière de réglementation construction, le CSTB a également été questionné sur l'incomplétude de ces textes, pourtant souvent assez indigestes (plus de 1.000 pages pour la RT2012). Mais la difficulté est qu'en l'état actuel des choses, il est impossible de procéder à une modélisation parfaite des bâtiments permettant de tenir compte de l'ensemble des critères (de l'acoustique à la qualité de l'air) et de connaître les interactions des uns sur les autres. Juliens Hans, responsable du pôle Energie-environnement au CSTB, précise à ce titre que les calculs prévisionnels d'économies d'énergie ne correspondent pas aux relevés concrets, une fois que les bâtiments sont bel et bien construits. "Nous nous demandons donc s'il ne faudrait pas calculer moins pour garantir plus !", a-t-il remarqué.

 

Rénovation et obligation de travaux

 

Comment massifier les travaux de rénovation énergétique dans le secteur de la construction ? La président du CSTB a donné son analyse sur ce sujet extrêmement discuté parmi les professionnels - dernièrement, des députés proposaient ainsi d'interdire la location de passoires thermiques en France.

 

L'idée d'un passeport de rénovation énergétique, rejoignant celle du carnet numérique du logement, a fait l'objet d'échanges. Étienne Crépon estime que le tout n'est pas de lancer ce dispositif - voté dans le cadre de la loi Elan -, mais de le faire vivre. "Comment sera-t-il tenu à jour par les acteurs, propriétaires, artisans ? C'est une question vraiment complexe, et je ne sais pas si quelqu'un a trouvé la martingale. Avec un propriétaire institutionnel, cela fonctionne. Mais avec un particulier, c'est moins évident."

 

L'obligation de travaux, sujet "horriblement compliqué"

 

L'obligation de travaux, via par exemple le retrait des passoires thermiques du marché locatif, est une idée qui revient régulièrement sur le devant de la scène. Mais Étienne Crépon alerte les acteurs sur le caractère "horriblement compliqué" d'un tel dispositif. "J'ai eu à travailler sur cette question dans une vie antérieure. Et je ne sais pas aujourd'hui de quelle manière pourrait-on fixer cela au plan national compte tenu de la diversité des bâtiments, des usages..."

 

Julien Hans, à la tête du pôle Energie-environnement au CSTB, a de son côté avancé des pistes pour parvenir à la fameuse massification des rénovations, sans passer par la contrainte. "Le problème que nous en avons sur ce marché, c'est : comment je sécurise des investissements, comment je donne envie, comment je rends la démarche facile pour quelqu'un qui voudrait davantage de confort, de surface, d'économies d'énergie et qui voudrait faire un geste pour l'environnement", explique-t-il. "Si les gens ne rénovent pas, aujourd'hui, c'est parce qu'ils ne savent pas qui est leur premier interlocuteur qui leur proposera une offre globale." Et pas seulement l'installation de solaire photovoltaïque ou le remplacement d'une fenêtre. "Si on voulait vraiment changer de braquet, il faudrait se pencher sur la formation des acteurs et l'accompagnement des clients. Par exemple, mettre en place un programme de rénovation des maisons individuelles tous les sept ans environ, au moment des mutations. On multiplierait par deux le nombre de logements rénovés globalement par an." L'augmentation de la surface habitable, effectuée dans le cadre d'une offre globale de rénovation, permettrait aussi aux propriétaires de financer l'intervention en vendant les m² supplémentaires le jour où ils déménagent.

 

Rénovation : "Qu'il y ait un ensemblier qui donne envie est indispensable"

 

Étienne Crépon abonde dans le sens de l'importance d'effectuer une rénovation globale, prise en main par un homme-orchestre. "Une communication en faveur de la rénovation purement axée sur le retour sur investissement, non garanti, sur 30 ou 40 ans, ne peut pas fonctionner. Il faut absolument donner envie, et pour cela il y a besoin d'une vision globale. Est-ce le rôle de l'architecte, de l'entreprise, du bureau d'études ? Je laisse le soin aux fédérations concernées d'en discuter, étant volontairement agnostique sur le sujet. Mais qu'il y ait un ensemblier qui donne envie est indispensable."

 

Quartier énergétique et bas carbone

 

Pour Étienne Crépon, c'est à l'échelle du quartier qu'il faudrait raisonner pour obtenir les meilleurs résultats en termes d'énergie et de carbone. "Je laisse toutefois aux juristes le fait de déterminer comment je peux transférer ou déléguer la responsabilité de respecter la réglementation à un tiers, que cela soit un voisin ou le responsable d'une association syndicale à l'échelle du quartier. C'est une question d'une complexité phénoménale", a-t-il prévenu. Mais sur le plan scientifique, technique, l'échelle du quartier sera celle qui permettra "le maximum d'optimisation d'atteinte d'une performance au coût le plus réduit pour l'ensemble de la collectivité".

 

La préfabrication des moyens de production

 

La préfabrication dans le secteur a progressé sur ces dernières décennies, mais pas assez au goût de certains acteurs. Malgré tout, les performances possibles aujourd'hui ouvrent de nombreuses perspectives. "Nous travaillons aujourd'hui avec une entreprise qui est en capacité, face à un bâtiment existant de quelque surface que ce soit, d'en faire un relevé précis, de concevoir les panneaux en usine et de venir les poser élément par élément. Au lieu de durer neuf mois, le chantier dure ainsi neuf jours", a illustré Étienne Crépon.

 

La menace des Gafa ?

 

Les géants du numériques, les Gafa, représentent-ils un risque pour les entreprises de construction classiques ? Un sujet qui agitait déjà la dernière réunion d'Entreprises générales de France (EGF.BTP). Pour Étienne Crépon, le risque existe, même s'il émet des doutes sur le fait de fonder une économie de type Uber dans le secteur du BTP. "La rénovation dans le bâtiment est un acte très complexe, et il faudra beaucoup d'ingénierie, de matière grise, pour y développer une activité rentable. Mais il existe, oui, le risque des plateformes qui proposent de s'occuper de tout, choisir les sous-traitants, les produits..."

 

La conviction du CSTB dans son ensemble est en tout cas que "le secteur du bâtiment va avoir, dans les années à venir, ses modèles économiques et organisationnels complètement transformés", détaille son président. L'institution va d'ailleurs remettre en place une direction de la prospective. "Au-delà des travaux scientifiques, il s'agira de nous projeter à l'horizon 20-30 ans, plancher sur les scénarios possibles d'évolution du fonctionnement du marché de l'immobilier. Comme dans tous les travaux de ce type, nous nous tromperons. Mais nous aurons du moins identifié tous les scénarios extrêmes possibles."

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