PROSPECTIVE. Les géants de l'Internet américain représentent-ils une menace sérieuse pour les majors français de la construction ? La question a été débattue lors des dix-neuvième rencontres de la construction organisées par les Entreprises générales de France (EGF.BTP).

"A quoi ressemblera un chantier en 2030 ? Si je suis pessimiste, je me dis qu'il sera mené, non pas par des entreprises générales, mais par les Gafa [Google, Amazon, Facebook, Apple, NDLR] ou des sociétés qui sont aujourd'hui des start up innovantes en forte croissance." Ce sont les propos tenus par Laure Ducoulombier, responsable de la chaire construction 4.0 chez Bouygues construction. Ce thème a été l'un des nombreux abordés, le 5 juin 2019, aux rencontres de la construction 2019 organisées par les Entreprises générales de France (EGF.BTP), axées cette année sur l'innovation.


L'intégration de toute la chaîne de valeur

 

A quoi pourraient ressembler la méthode de travail de ces sociétés qui porteraient atteinte aux marchés des majors de la construction ? "Elle se caractérise par l'intégration de toute la chaîne de valeur, des ressources jusqu'à la construction, et en parallèle la création d'usines, le rachat de sociétés...", analyse Laure Ducoulombier. Le recours à la pré-industrialisation serait déterminant dans ce modèle.

 

Heureusement, la voie "pessimiste" n'est pas la seule imaginable. L'entreprise générale serait ainsi tout à fait en mesure d'intégrer ces nouvelles technologies, que l'on peut voir dans le schéma présenté, visible ci-dessous :

 

Le chantier du futur selon Laure Ducoulombier, de la chaire construction 4.0
Le chantier du futur selon Laure Ducoulombier, de la chaire construction 4.0 © F.L. pour Batiactu

 

Cela implique donc la collectes des données (les 'datas'), la connexion de l'encadrement de chantier, la suppression de tâches trop pénibles, dans le but de baisser les coûts de production comme cela a été fait dans d'autres industries.

 

 

Pour l'ex-président d'EGF.BTP (Daniel Rigout a depuis été élu), Max Roche, les entreprises générales se doivent d'investir ces champs ; et il ne croit pas vraiment à la menace que représenteraient les Gafa. "Faire un chantier ne se résume pas à livrer des paquets, les déballer et les assembler", a-t-il rappelé. "Je n'ai aucun doute sur le fait qu'une entreprise générale sera seule capable à l'avenir de construire des bâtiments, Amazon en est totalement incapable aujourd'hui. Nous avons à notre portée les moyens technologiques disponibles, et pouvons faire des progrès dans la chaîne de logistique."

 

L'idée est de s'adapter à un contexte nouveau où les chantiers sont "plus nombreux", tout en se devant d'être "plus furtifs" pour les riverains, et "moins cher" pour les clients. Quels sont les principaux domaines innovants qui peuvent permettre, dès maintenant, de résoudre cette équation ? Chloé Clair, directrice technique innovation de Vinci, en a décelé au moins quatre : "Grâce à la puissance de calcul, nous pouvons passer de la conception paramétrique au 'generative design', possiblement avec l'aide de l'intelligence artificielle", explique-t-elle. Ainsi, en intégrant un certain nombre de contraintes dans un projet, il sera possible de modéliser automatiquement différentes possibilités techniques et architecturales. "Si on s'empare de cet outil avec notre propre intelligence, nous aurons de formidables moyens d'optimisation", ajoute-t-elle. Le Scan 3D est également un moyen d'aller plus vite, "récupérer le réel, le transformer en objets 3D pour l'intégrer ensuite à la maquette numérique". Pendant la construction serait aussi envisageable un "scan en temps réel de nos tâches". Autres leviers évoqués, les capteurs en relation avec les objets connectés, et la cobotique - où la main de l'homme garde le contrôle, mais travaille avec l'aide de la robotique.

 

L'environnement, un atout pour les entreprises générales ?

 

La préfabrication, voie royale vers l'industrialisation, est un domaine où tout, ou presque, reste à faire. "Il y en avait déjà dans les années 60", rappelle Max Roche. "Mais les démarches actuelles, comme celle d'EnergieSprong [lire notre article ici, NDLR], sont beaucoup plus abouties en termes d'effets sur l'environnement notamment."

"Sans des entreprises générales innovantes, nous allons dans le mur !"

 

La montée en puissance de l'aspect environnemental dans les projets renforce justement le rôle des entreprises générales, selon le même : "Nous prenons un engagement avec le maître d'ouvrage public sur des résultats. Nous en sommes garants de par l'intégration de la conception et de la réalisation, avec la prise de risque que cela implique." Valérie David, directrice du développement durable et de l'innovation transverse chez Eiffage, insiste également sur le rôle de leader qui incombe aux entreprises générales. "Nous sommes attendus sur le climat, car si les entreprises générales ne savent pas faire, personne ne saura" assure-t-elle. "Et nous n'avons que quinze ans, d'après le Giec, pour maintenir la hausse des températures à 2 degrés. Il faut voir cela comme des opportunités de marchés pour trouver des solutions. Sans des entreprises générales innovantes, nous allons dans le mur !"


Industrialisation ne rime pas forcément avec standardisation

 

 

L'une des alertes sur ces sujets - préindustrialisation, innovation - est le risque de standardisation des constructions, et, en filigrane, la diminution du rôle des architectes. "Il faut tuer l'idée que l'industrialisation correspond à la standardisation", assure de son côté Robin Rivaton, à qui le gouvernement a demandé un rapport sur l'intégration du numérique dans la construction. "L'exemple de la menuiserie est parlant : voilà un objet innovant que l'on sait produire à l'échelle industrielle. Et je rappelle que la préfabrication ne concerne pas que le bois, mais aussi le métal et le béton."

 

Quoi qu'il en soit, même si la situation semble urgente, l'innovation ça prend du temps, comme l'a rappelé Cécile Delolme, vice-présidente de l'université Paris-Est. "L'innovation de rupture se fait en croisant les disciplines, les approches, les compétences."

 

Les lauréats nationaux des trophées des clés d'or
Entreprises générales de France (EGF.BTP) a profité de son assemblée générale pour remettre ses prix "Clé d'or", qui récompensent "des réalisations en entreprise générale particulièrement exemplaires".

 

Clé d'or : Immeuble de bureaux Paris-Laborde, Eiffage construction tertiaire

 

Clé d'argent : Logement social des hautes noues à Villiers-sur-Marne, Bouygues bâtiment Île-de-France - Habitat social

 

Clé de bronze : Musée des arts de Nantes, La plateforme photonique du CEADE Grenoble, Bouygues bâtiment grand ouest

 

Prix de l'innovation : La plateforme photonique du CEADE Grenble, Demathieu Bard.

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