RÉACTIONS. La réglementation environnementale 2020 va-t-elle apporter un soutien excessif à l'usage du chauffage électrique dans le logement ? Après une alerte lancée par les associations négaWatt et Coénove, Batiactu donne la parole à des responsables de la filière électricité.

La révision, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et de la réglementation environnementale 2020, du coefficient d'énergie primaire, ravive le débat entre le chauffage à l'électricité ou au gaz. Une note récente de la DGEC vient ainsi proposer de fixer ce coefficient à 2,1, contre 2,58 actuellement. Une modification qui constituerait, pour Bernard Aulagne, président de Coénove, "un avantage artificiel et surprenant donné à l'électricité". Pour Olivier Sidler, de l'association négaWatt, le fait de faire passer à 2,1 aurait pour conséquence de faire "comme si le système électrique était très efficace", avec pour conséquence de "réduire les exigences au moment de la construction des bâtiments". Le spectre des radiateurs électriques "grille-pain" se dessinant...

 

Batiactu a donc donné la parole à des acteurs qui défendent l'abaissement du fameux coefficient à 2,1.

 

Dominique Desmoulins, directeur général de l'association Promotelec :

 

"La bataille des coefficients n'est pas récente et n'explique malheureusement pas beaucoup le sens de la règlementation.

 

Dans un premier temps, des faits concrets :

 

- La règlementation thermique 2012, dite RT 2012, a résolument favorisé l'énergie gaz naturel dans les logements neufs, avec ce fameux coefficient, associé à l'absence d'exigence sur le carbone.

 

- La Commission européenne a définitivement conclu à une valeur de 2,1 que l'État français a la possibilité de traduire en droit français au travers de la PPE, une évolution à suivre donc.

 

Dans un second temps, une trajectoire énergétique fixée :

 

L'électricité représente aujourd'hui 25% de la consommation énergétique en France et tous les experts s'accordent sur le fait qu'elle représentera 50% de l'énergie consommée en 2050, une montée en puissance qui sera particulièrement encouragée par la disparition des énergies fossiles dans notre mix énergétique. En effet, et selon la SNBC (Stratégie nationale bas carbone), le gisement de gaz renouvelable sera faible et orienté en priorité vers d'autres utilisations que celle de la consommation dans les bâtiments. Il n'y a donc pas lieu de revenir sur des combats d'arrière-garde, mais plutôt de se tourner vers l'avenir en imaginant ce que seront les usages de l'électricité.

 

Dans un troisième temps, tournons-nous vers l'avenir :

 

L'électricité, énergie décarbonée, a une belle place à prendre avec l'utilisation de chauffages électriques intelligents, pilotables à distance associés à une isolation performante du bâti. La 'crainte' d'une pointe de puissance électrique liée à l'utilisation ancienne des 'grille-pains' disparaîtra puisqu'avec l'installation de ces nouveaux modes énergétiques, cette fameuse pointe sera étalée ou disparaîtra tout simplement.

 

Pour conclure, la recherche d'un avenir limitant au minimum les émissions de carbone est la solution vers laquelle nous devons tous nous concerter avec deux axes d'actions principales :

 

- Redonner sa place à l'électricité dans les logements neufs en privilégiant la baisse des émissions de carbone et la maîtrise des coûts d'exploitation et de construction ;

 

- Maintenir la place de l'électricité dans les logements anciens en favorisant des usages performants de l'électricité et surtout, en faisant des économies d'énergie pour réduire les émissions de CO2.

 

Ainsi, nous serons vraiment en mesure de préserver notre planète et d'être fier de nos décisions politiques au-delà des batailles de coefficient."

 

 

Jean-Pierre Hauet, président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal, association Équilibre des énergies (Eden) :

 

"Avec la RT2012, 75% des logements collectifs neufs sont chauffés au gaz, d'après une étude de Batiétude pour l'année 2017. Cette réalité ne s'accorde pas avec l'objectif de neutralité carbone. Dans des pays gaziers, comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, est d'ailleurs prévue une interdiction du gaz dans les logements pour les années à venir.

 

C'est pourquoi nous plaidons pour un rééquilibrage du coefficient d'énergie primaire. Tout en rappelant que, pour nous, ce concept de coefficient n'a plus de sens en ce qui concerne le nucléaire ou les énergies renouvelables (comment quantifier cette donnée pour l'uranium ou le vent ?...). Nous devons construire des réglementations en nous basant sur l'énergie finale, consommée et payée, par l'utilisateur. Aujourd'hui, c'est toute la pénétration de l'électricité que l'on empêche alors que la PPE veut développer son rôle.

 

La commission européenne propose 2,1, adoptons-le ! Ce ratio correspond d'ailleurs, en gros, au rapport de prix entre les deux énergies. On nous dit que cette évolution n'encouragerait pas à l'innovation dans l'électricité ? C'est tout l'inverse. Aujourd'hui, on n'en fait plus en logements collectifs, donc rouvrir le marché dynamiserait l'innovation. Nous ne sommes pas pour autant des ayatollahs : le chauffage au gaz et les chauffe-eau thermodynamiques, nous sommes pour.

 

Enfin, on nous dit que le passage à 2,1 sortirait des milliers de passoires énergétiques, les DPE classés F et G. Mais on oublie de dire que ces logements chauffés à l'électricité sont classés F et G à cause de ce 2,58. Ce sont des bâtiments mieux isolés en moyenne que les logements chauffés au gaz, et cela il faut en tenir compte. Au point que la qualité d'un bâti RT2005 chauffé à l'électricité est meilleure que celle d'un logement RT2012 chauffé eu gaz !"

 

Chantal Degand, directrice adjointe du pôle solutions innovantes bas carbone, EDF :

 

"La RE2020 représente l'opportunité d'ouvrir un chemin pour la filière construction, avec pour ligne d'horizon la neutralité carbone en 2050, fixée par la stratégie nationale bas carbone. La réglementation doit cesser de viser seulement une baisse de la consommation d'énergie : la RT2012 était déjà exigeante. Il faut à présent s'attaquer aux émissions de CO2, avec des équipements plus performants et une énergie décarbonée.

 

La DGEC, qui préconise la baisse du facteur d'énergie primaire à 2,1, souhaite ainsi prendre en compte l'évolution du mix énergétique dans les années à venir - en plus de répondre aux exigences européennes. Une telle décision permettra aux pompes à chaleur et aux radiateurs électriques de se développer. Il faut rappeler qu'aujourd'hui la RT2012 ne permet plus de solutions en logement collectif pour l'électricité. Or, soulager le coefficient d'énergie primaire est une manière de donner davantage de place à l'énergie décarbonée - comme c'est déjà le cas pour le bois, favorisé par la RE2020. Pour rappel, au gaz, on se situe en matière d'émissions de gaz à effet de serre à 10-12 kilos de CO2/m²/an dans le neuf, contre seulement 3 pour l'électricité. Le biogaz va bien sûr se développer, mais va surtout nourrir le secteur du transport, de l'industrie, il ne restera pas beaucoup de place pour le Bâtiment, et si c'est le cas plutôt en rénovation.

 

Pour ce qui est de l'argument des pointes de consommations, c'est effectivement un sujet qui revient souvent. Je rappelle que le chauffage électrique représente, au moment des pointes, entre 30 et 40% de la consommation. L'éclairage et la cuisson représentent deux autres postes importants. Des économies d'énergie significatives sont encore attendues, par exemple avec le remplacement progressif des lampes à incandescences par des LED, ou en installant davantage de pompes à chaleur (PAC), qui divisent par 4 les consommations. Il y a un vrai gisement d'économies.

 

Quant aux fameux radiateurs 'grille-pain', ils ont existé et équipent encore certains logements, mais les progrès techniques effectués sur ce champ par la filière sont colossaux. La fiche des certificats d'économie d'énergie (CEE) reconnaît que l'économie moyenne réalisée entre l'installation de la dernière génération de radiateurs électriques et le parc actuel serait de l'ordre de 16%."

actionclactionfp