Le "monstre" pousse lentement vers le ciel avec des façons de grand échalas. Chaque jour, ses sept grosses pattes de béton toisent le paysage d'un peu plus haut. Moins d'un an après les premiers coups de pioche, le squelette du futur viaduc le plus haut du monde écrase déjà Millau et ses alentours de toute sa masse.

Pile "P2". Depuis la route départementale, c'est un fin poteau qui émerge à peine de la tranchée au fond de laquelle serpente le Tarn. A ses pieds, c'est une énorme colonne grise qui fait se dévisser le cou lorsqu'on se pique d'en observer la fin. Au sommet, perchée à plus de 90 m au-dessus de la rivière, une curieuse coiffe de bois et de ferraille dans laquelle une grue déverse patiemment ses tombereaux de béton.

Sans cesse rehaussé par un essaim d'ouvriers en casques blancs, ce moule grimpe vers le ciel au rythme de l'extension du pilier. Quatre mètres tous les trois jours. Quelque 130 m en 100 jours. Vertigineux.

Barbe blanche de patriarche et sourire de fierté au coin des lèvres, Jean-Pierre Martin suit l'ascension de la "P2" avec un soin particulier. "Ce sera la plus haute des sept piles du pont", affirme le grand patron du chantier. "D'ici un an, si les délais sont respectés, elle culminera à 240 m de haut et offrira au viaduc de Millau sa place dans le livre des records".

De part et d'autre de "P2", des camions chargés de béton jusqu'à la gueule se succèdent pour alimenter la croissance des six autres piles du futur viaduc. Toutes les heures, deux centrales à béton crachent les 80 m3 de liquide nécessaires pour rassasier l'appétit d'ogre du chantier.

Culée sud. Un haut tremplin de béton adossé au causse du Larzac. A ses pieds, les sept piles en construction tracent en pointillé les 2.400 m que le viaduc enjambera d'une seule traite. Au bord de ce précipice, le "Meccano" géant de l'assemblage du tablier du pont a commencé.

Un à un, les semi-remorques partis de l'usine Eiffel de Lauterbourg (Bas-Rhin) viennent y déposer, par tronçons de 15 m de long sur 4,20 m de large, les parallélépipèdes d'acier qui formeront le plancher du viaduc. Dans le crépitement bleuté des robots à souder, le tablier étire sa forme profilée comme une aile d'avion. Dès que cette "aile" aura atteint 171 m d'envergure, en principe en janvier, débutera la phase délicate du "lançage".

"Grâce à un système de vérins, nous allons pousser le tablier au-dessus du vide, au fur et à mesure de son assemblage", dit Jean-Pierre Martin. "Au total, 1.700 m du tablier seront lancés depuis la culée sud et 700 m depuis la culée nord, jusqu'à ce qu'ils se rejoignent au-dessus du Tarn".

Sept pylônes d'acier viendront alors coiffer les piles pour arrimer les haubans qui porteront le tablier. Nous serons alors en 2005, et le groupe Eiffage proche du terme de la course contre la montre lancée pour livrer dans les temps le viaduc aux automobilistes.

"Jusque-là, le calendrier est tenu. Nous avons même un peu d'avance", se réjouit Jean-Pierre Martin. Un an après son coup d'envoi, "son" chantier tourne comme un ballet minutieusement réglé de 500 personnes.

"Le viaduc est une priorité pour Eiffage, qui ne peut se permettre le moindre échec. J'ai donc tous les moyens nécessaires à sa réussite", se félicite-t-il. "Et puis c'est un chantier très gratifiant pour tous ceux qui y travaillent. Non seulement parce qu'il est grand, mais aussi parce qu'il est beau. Car il faut quand même avouer qu'il a de la gueule ce viaduc, non ?"

Philippe Alfroy


Principales caractéristiques de l'ouvrage

- Concessionnaire pour une période de 75 ans, le groupe français de bâtiment et de travaux publics Eiffage consacre à sa construction 320 millions d'euros, entièrement prélevés sur ses fonds propres.

- Avec un tablier posé à 270 m au-dessus du Tarn, le viaduc de Millau sera le plus haut pont du monde. Sa plus haute pile en béton atteindra 240 m de haut et le plus haut de ses pylônes culminera à 343 m.

- Son tablier en acier sera long de 2.460 m et pèsera 36.000 tonnes, soit cinq fois la masse de la tour Eiffel.

- Ses sept piles et deux culées nécessiteront un total de 85.000 m3 de béton, soit 205.000 tonnes.

- Un maximum de 500 personnes travaillent en même temps sur le chantier.

- Le viaduc devrait être ouvert à la circulation courant 2005.


Pour en savoir plus : www.viaducdemillau.com

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